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République Centrafricaine : pourquoi et comment il faut en finir avec la Transition

 [ Par Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO |Mis à jour|vendredi 3 octobre 2014 ]

 
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« Nul ne devient président de la République sans l’avoir furieusement désiré, et sans estimer que ses capacités seront à la hauteur de sa tâche. Dès lors, chacun est en droit d’en juger, non sur les intentions mais sur les résultats. » (1)

Que Madame Samba-Panza aime le pouvoir, dans l’état actuel des choses, relève plutôt d’une évidence que d’un procès d’intention. Il n’a échappé à personne qu’elle nous a gratifiés du spectacle d’une jubilation incontrôlée lors de la proclamation de sa désignation par le Conseil national comme Chef d’Etat  de la Transition. La voilà depuis lors partie pour sillonner le monde en quête de reconnaissance et pour  convaincre ceux qui en douteraient encore qu’elle joue maintenant dans la cour des grands. Le palet est au bout du parcours comme à la marelle ! Non seulement elle s’y voit, mais, bien mieux elle est déjà au haut de l’affiche : servie, mais, -hélas !-, desservie également et en proportion par les outrances de son service de la communication.

 

Mme Samba-Panza multipliant les voyages et les visites d’Etat à ses « homologues » (sic) se sait et se conçoit Président (2) de la République à part entière. Elle en a bien naturellement oublié qu’elle a reçu une mission définie dans ses objectifs et son formalisme qui est de gérer une transition. L’ouverture intempestive sur l’extérieur est un détournement de procédure et une porte fermée quant à l’essentiel : le rendez-vous en interne avec toutes les actions qui, dans la feuille de route, ont été envisagées et programmées pour une sortie de crise.

 

Où en sommes-nous de l’instauration de la sécurité et de la libre circulation des personnes et des biens sur tout le territoire national ?

Puisque des renforts extérieurs nous ont été accordés pour nous aider à y pourvoir, quel bilan le Gouvernement est-il en mesure de dresser à l’heure où la Misca, la Sangaris et l’Eufor arrivent au terme de leur mission en Centrafrique ?

 

Nous ne pouvons, à cette question, que répondre par la négative…

Le bilan est nul parce que la fin de la Transition, qui doit correspondre à la mise en place d’un Pouvoir démocratiquement élu, ne sera point maintenue à la date de la mi-février.

 

Le bilan est nul parce que « la guerre continue » et parce que les armes circulent encore tandis que les chefs de guerre de tous bords continuent également à faire régner leur loi : la loi du plus fort !

 

Le bilan est nul parce que l’unité nationale  est toujours sous la menace du projet insistant de la partition du Pays. Le Centrafrique est une unité à sauver et, à cause de ceci, un défi face aux forces centrifuges, dont la « fédéralisation » qui, à mes yeux,  exacerbe les frustrations et  l’esprit de revanche des régions et zones nationales oubliées des plans successifs d’aménagement du territoire ; une fédéralisation qui exacerbe aussi les appétits égoïstes de nos régions déjà peu portées spontanément vers le partage et qui chercheront plutôt à garder pour elles seules l’accès aux richesses de leur sol et de leur sous-sol.

 

Quant à l’entrée en lice de la Minusca :

 

  • Comment le Gouvernement entend-il utiliser les Casques Bleus ?

Les Forces onusiennes viennent consolider le travail des premiers intervenants censés avoir aidé à instaurer la sécurité et la pacification de tout le Pays, l’autorité de l’Etat, les bases du développement de la démocratie, les bases enfin du développement économique et social... Mais force est de constater que tout, absolument, reste à faire.

Nous avons assisté à un changement de casques et surtout de statut puisque les soldats de la Misca passant sous mandat et commandement des Nations unes, sont heureux de devenir des fonctionnaires internationaux.

 

  • L’efficacité sera-t-elle au rendez-vous-ci ?

Non : sauf si le Pays, en interne, se mobilise et décide d’instaurer un suivi et une vérification sans complaisance, ni concession de toutes les actions qui constituent tout son projet de sortie de crise.

Non : sauf si nous nous décidons à être enfin des acteurs  et les agents concernés au premier chef par toutes actions qui pourraient faire sortir notre Pays de la crise.

Les apports extérieurs seront pris pour ce qu’ils sont ou devraient être en réalité : c’est-à-dire des forces d’appoint et non l’essentiel, ni toute la contribution appelée à nous sortir du marasme.

 

Non : sauf si Mme Samba-Panza cesse enfin de multiplier les jeux stériles de la représentation qu’elle affectionne. Car si, à l’évidence, elle y trouve son compte personnel, le Pays, en revanche, n’en tire et n’en peut tirer aucun profit. Je suis tenté de lui donner ce conseil : « Ama et fac quod vis » (3) en le traduisant de manière bien large sans m’écarter tout à fait de l’idée d’ensemble : « L’amour de votre Pays d’abord et par-dessus tout, Madame, et faites ensuite ce que vous voulez ! »

La République Centrafricaine mérite d’être placée au premier rang de notre affection et de tout notre élan d’amour : parce qu’elle a par trop souffert d’avoir été laissée au bon plaisir de prédateurs de tous acabits : les concessionnaires pendant la colonisation et, depuis les indépendances, les Fils et Filles du Pays qui ont, sans exception, donné le spectacle affligeant d’une véritable curée : courant tous plutôt après la satisfaction de leurs intérêts personnels qu’après la satisfaction des intérêts du Peuple.

« Les événements politiques qui nous ont fait horreur et ont failli nous entraîner dans leur ressac se succèdent et s’accumulent comme les brisants sur une plage. On finit par se rendre compte qu’on a affaire au rythme des choses » (4)

Nous étions nombreux à croire à une sortie du tunnel ; Mme Samba-Panza a achevé de nous désespérer en annonçant que la durée de la nuit sera prolongée.

 

Décidément, dirait Aristophane : « Jamais tu ne feras qu’un crabe marche droit »

Nous avons, au choix, la gestion calamiteuse des aides internationales que les rocambolesques explications et mises en garde des Conseillers à la Présidence  rendent encore plus folles, plus pitoyables et plus grotesques.

 

Nous avons, au choix, -et je m’y arrête après d’autres- le report sine die des élections.
Mme Samba-Panza avait excipé de sa détermination et de sa capacité à tenir les délais. Aujourd’hui elle rend les armes et baisse piteusement les bras. Quelque chose lui a échappé quand et pendant qu’elle fut un temps et trop longtemps partie pour ses escapades et jouait « le président».

 

 « La Cigale ayant chanté

Tout l’été

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue » (5)

 

Les « doctes gens » qui conseillent de prolonger la Transition n’expliquent pas tout à fait ce que Mme Samba-Panza ferait avec un délai supplémentaire. N’a-t-elle pas tout à gagner du « clair-obscur » des Accords de Libreville du 11 janvier 2013 ? Car ils ont été retouchés à Ndjamena (en janvier 2014), puis à Brazzaville (Forum de Brazzaville et Accord du 23 juillet 2014) : sans indiquer des points forts d’un consensus ou d’un ralliement.

La Communauté internationale, comme sœur Anne, ne voit rien venir (6) et s’impatiente.

L’impuissance de Mme Samba-Panza devient une incapacité à la hauteur et mesure de sa détermination et de son implication qu’elle affiche et dit totales.

Et voilà –justement-  l’impasse !

Que faire dès lors ?

Une Nième Transition ?

Sage conseil d’Aristote : « Il faut bien s’arrêter quelque part » (anagkh sthnai).

Les Accords de Libreville moult fois revisités ont donné tout loisir de les contourner. On peut au moins en retenir un point et s’y arrêter : c’est-à-dire la date du 15 février 2015, qui est le terme indiqué pour la fin de la Transition..

Il faut enlever le « mol oreiller » du sommeil de Mme Samba-Panza et de ses ministres.

La Réconciliation nationale, la Paix, la Restauration de l’Autorité de l’Etat et de la sécurité pour tous, la mise en place des structures pour le développement de la démocratie, l’essor économique et social… ne seront pas au rendez-vous du 15 février 2015.

Y seront-ils jamais un jour ?

Dès lors choisissons d’accompagner l’expérience Samba-Panza jusqu’au terme convenu.

Nous n’aurons pas le temps de gérer une nouvelle succession. Le jeu n’en vaut donc pas la chandelle de la « congédier » comme le furent, avant elle, M. Bozizé par les armes de la Séléka et M. Djotodia à la suite, à l’amiable et par la nouvelle feuille de route à lui opposée par ses pairs de la CEEAC.

 

Notons néanmoins qu’il n’est nulle part demandé de baisser la garde, mais bien plutôt de veiller à limiter des éventuels dégâts.

Il faut intimer au Gouvernement l’ordre de mettre bon ordre dans le Pays et de faire taire définitivement les armes.

Il faut réduire et mettre hors d’état de nuire toutes les rébellions.

Les forces onusiennes n’ont pas d’autre raison de leur présence en Centrafrique que d’être des forces de paix et, au besoin, des forces chargées de la pacification du Pays.

Et quand des actions en justice sont engagées pour poursuivre des criminels, le Gouvernement est bien mal inspiré d’en faire des interlocuteurs. L’envoi d’émissaires vers MM. Bozizé et Djotodia n’a réglé aucun problème et persister dans cette voie devient de l’inconscience, un mépris pour la souffrance du Peuple centrafricain, une faute politique et une haute trahison.

 

Enfin…

Convaincus que nous ne pourrons mettre en place des élections démocratiques justes et transparentes pour le 15 février 2015, il y a lieu de remplacer la Transition à son échéance par un Gouvernement provisoire et l’élection d’un Président au suffrage universel indirect.

Le 15 février doit sonner la fin des mandats du Président-Chef d’Etat de la Transition et du Conseil national de Transition. Mais il nous faudra auparavant mettre en place des électeurs. La représentation de toutes nos régions, districts et collectivités locales d’importance devrait être garantie.

Des propositions ont été faites à cet égard qui sont allées pour certaines jusqu’au détail des moyens pour que cette représentation fût assurée..

En tout état de cause, il nous faut l’accepter et nous accommoder de ce qui est et demeurera une « morale provisoire » : la représentation nationale alors obtenue et à ce niveau de sa représentation est le commencement de l’ouverture vers le Peuple à qui la parole sera totalement et définitivement donnée un jour : quand nous aurons réussi à restaurer la libre circulation des personnes et des biens ; à nous ramener les uns et les autres vers le « vivre ensemble » et enfin vers la rencontre des esprits et des cœurs.

Sans omettre qu’il faut penser un jour à remettre debout, tous ensemble, tous les fils de ce Pays martyr de Centrafrique : détruit par ses propres enfants !

 

 

B. MANDEKOUZOU-MONDJO

Longjumeau, le 2 octobre 2014

 

Notes

(1) Françoise Giroud, La comédie du pouvoir. Fayard, 1977. p. 240

(2) Je me conforme ici à cet usage qui veut que le titulaire du poste soit désigné de manière indifférenciée Monsieur ou Mme le Président.

(3) Littéralement : « Aime et fais ce que tu veux » (Saint Augustin)

(4) Marguerite Yourcenar, Le Labyrinthe du Monde. Quoi ? L’Eternité. Editions Gallimard, 1988. p. 14

(5) Jean  de la Fontaine : La Cigale et la Fourmi

(6) Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?» -

Et la sœur Anne lui répondait: -

«Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie



03/10/2014

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