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QUELS SONT LES FONDAMENTAUX DE L’HÉRITAGE POLITIQUE DE BARTHÉLÉMY BOGANDA ?

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Le drame que vit notre pays depuis bientôt plus de quinze mois nous déchire le cœur. Il ne peut nous laisser indifférents. Nous assistons hélas impuissants à la descente aux enfers de ce que nous avons de plus cher, à savoir notre patrimoine commun : la République centrafricaine.

Que des centrafricains et des centrafricaines se réunissent, ici et maintenant, c’est-à dire à des milliers de kilomètres du pays, dans cette belle ville de Montpellier, entre centrafricains mais également avec des amis de la République centrafricaine, pour réfléchir ensemble sur la pensée politique de Barthélémy BOGANDA, comme antidote probable des crises actuelles, voilà ce qui est positif. L’idéalisme de ce grand homme d’état contraste dramatiquement avec la réalité quotidienne des centrafricains, faite de misères, de violences, d’assassinats, que sais-je encore ?

C’est lorsque le présent paraît insaisissable et l’avenir incertain que l’on se met à idéaliser le passé. Je veux résister à la tentation d’idéaliser  notre passé. Non pas qu’il soit vide et a-historique pour reprendre l’expression de Hegel mais parce qu’il regorge plus de motifs d’insatisfaction, de frustration et de déception.

La République est un pays qui est né prématuré et polyhandicapé. Pour grandir, il nous faut au préalable soigner ces nombreuses tares congénitales que sont le tribalisme, la division, la cupidité, l’égoïsme, etc. Et la pensée politique d’un homme comme Barthélémy BOGANDA  est le miroir qui reflète notre vrai visage, 55 ans après sa disparition. Le philosophe Henri BERGSON n’avait-il pas raison de dire que « la prise de conscience est une demi-victoire » ?

I – Barthélémy BOGANDA : entre mythe et réalité

Tout a été dit sur Barthélémy BOGANDA : des vérités et contre-vérités, des choses sensées et des choses peu raisonnables. Pour bon nombre de nos compatriotes, Barthélémy BOGANDA reste un mythe. Le propre du mythe, c’est de proposer des récits surnaturels et irrationnels avec des explications toutes faites au sujet des origines, des dieux et des héros. Ces explications sont toujours invérifiables par conséquent indiscutables. On y croit, un point c’est tout.

Des histoires invraisemblables et rocambolesques du genre BOGANDA pouvait disparaître et réapparaître à sa guise sont racontées à longueur de journée. On dit même qu’il pouvait se transformer en animal ou en objet, etc. Tout cela participe de la conception traditionnelle du chef qui doit toujours être puissant et doté de pouvoirs surnaturels. Le chef ne meurt jamais. Il rejoint les ancêtres. Pourtant des faits indubitables sont là : l’avion dans lequel il avait voyagé avec FAYAMA et KANGALA s’était bel et bien écrasé, en ce 29 mars 1959, aux alentours de Boda. Tous les occupants ainsi que les pilotes, le copilote et les mécaniciens étaient bien morts. Mais on vous dira que Barthélémy BOGANDA n’est pas mort. Certains intellectuels, en dépit de tout bon sens, vont jusqu’à dire que BOGANDA, n’était pas mort. Il aurait été enlevé et fait prisonnier en Guyane et il ne serait mort en définitive qu’en 1986.

Si la mort prématurée de Barthélémy BOGANDA a privé la République centrafricaine d’un grand dirigeant, il a néanmoins légué à la prospérité de grands héritages.

II – L’héritage de Barthélémy BOGANDA en quelques points

L’action politique de Barthélémy BOGANDA a visé, outre la décolonisation, la libération du peuple centrafricain de la servitude et de la misère pour le hisser à un niveau de dignité convenable qui sied à son humanité. La liberté et le progrès social sont les maîtres-mots que l’on voit transparaître dans tous ses discours et actions politiques. Son engagement pour l’essor économique de la République centrafricaine et le progrès social au profit du peuple centrafricain découle assurément de son humanisme hérité de la foi chrétienne. L’héritage politique de Barthélémy BOGANDA se décline en quelques points suivants : les attributs de la République centrafricaine, un principe fondateur et le MESAN.

1. Les attributs de de la nouvelle République

Père fondateur de la République centrafricaine, c’est lui qui a donné le nom de la République centrafricaine, initialement destiné à tous les Etats d’Afrique Equatoriale Française. Ce projet qui lui était cher de créer les Etats unis d’Afrique latine. C’est encore lui qui a composé les paroles de l’hymne national en français: « La Renaissance ». C’est toujours lui qui a rédigé le long préambule de la constitution, précisant toutes les libertés reconnues aux Centrafricains.

Le Président Barthélémy BOGANDA a donné à la République centrafricaine la devise nationale: Unité, Dignité et Travail.

-  L’unité, comme premier mot de cette devise découle de l’impérieuse nécessité de rassembler les divers groupes ethniques parfois antagonistes pour en faire un même et seul peuple. « Malheur à l’homme seul », aimait-il à dire. Pour lui en effet, si « la division, le tribalisme et l’égoïsme ont fait notre faiblesse dans le passé, la division, le tribalisme et l’égoïsme feront notre malheur dans l’avenir ». Cette parole prophétique s’est malheureusement réalisée. L’unité des centrafricains et au-delà des africains, est un enjeu stratégique qu’il nous faut réaliser si nous voulons devenir un Etat digne de ce nom.

-  La dignité : longtemps brimé par le colonisateur, les grands commerçants et même les esclavagistes, le moment est venu pour relever la tête et manifester la dignité d’être un homme libre. Libéré du joug du colon, le centrafricain devrait retrouver sa dignité. Il a droit au respect et à la dignité au même titre que le colonisateur.

-  Le travail : l’émancipation du centrafricain qu’il appelle de tous ses vœux passe par le travail libérateur. Il fallait en finir avec l’image du noir paresseux et fainéant.

Un autre héritage que le Président Barthélémy BOGANDA nous a légué est le drapeau et les armoiries: Bleu, blanc, vert, jaune et rouge avec une étoile jaune à 5 branches à l’angle droit.
A cela s’ajoute un principe que tout centrafricain connaît par cœur : Zo kwé zo.

2.  un principe fondateur : Zo kwe zo

La promotion de la dignité de l’homme s’est matérialisée dans un principe simple : Zo kwe zo qui veut dire : tout homme est un homme. L’idée, c’est de dire que tous les êtres humains se valent. Par conséquent, ils doivent avoir droit au respect et aux mêmes avantages. En effet, l’action politique de Barthélémy BOGANDA a visé tout d’abord à s’élever contre les nombreuses exactions des gardes indigènes et autres violations des droits de l’homme traduites quotidiennement par le travail forcé des femmes et des enfants, les châtiments corporels. Il soutint la suppression des laissez-passer qui étaient exigés « pour tout déplacement hors des régions d’origine ». Il s’éleva également contre le mariage forcé et la polygamie pourtant valorisés par la tradition centrafricaine.

3.  Le MESAN : un parti politique ou une coquille vide

La création du parti politique MESAN (Mouvement de l’Evolution Sociale en Afrique Noire) répond à la volonté de BOGANDA d’asseoir sa politique sur une base populaire crédible surtout qu’il a l’ambition de promouvoir la libération et le développement de l’Afrique noire : « Libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et la misère, telle est ma raison d’être et le sens de mon existence », a-t-il déclaré. Le dernier élément de l’héritage de BOGANDA qu’il faut rappeler est non seulement son parti politique mais surtout les cinq verbes du MESAN qui font office de profession de foi: nourrir, soigner, instruire, loger, vêtir.

III – Un héritage dilapidé faute de vrais héritiers

Comme nous venons de voir, l’héritage politique légué à la postérité par Barthélémy BOGANDA est immense. Un enfant qui n’a pas conscience qu’il est l’héritier des patrimoines de son père peut mourir pauvre. La République centrafricaine n’a pas pleinement pris conscience de l’importance de l’héritage légué par Barthélémy BOGANDA. Tout au moins cet héritage n’a jamais été ni valorisé, ni fructifié. Les régimes successifs, sans forcément être contre les idées de BOGANDA, n’ont jamais pu les mettre en œuvre. Si tout le monde prétend suivre la voie tracée par le père de la Nation, aucun homme politique n’est véritablement identifié comme porteur des valeurs qu’il a défendues. Tout le monde cite ses idées à profusion, parfois même à tort et à travers, pour le besoin de la cause, c’est à dire pour asseoir son régime mais en vérité personne ne peut ou ne veut s’identifier à lui.

La vérité, c’est que Barthélémy BOGANDA, ce visionnaire nationaliste, patriote et progressiste était  très en avance sur son temps et sur les autres. Il était un cran au-dessus des hommes politiques non seulement de la République centrafricaine mais de l’Afrique centrale en générale. C’est l’arbre qui a caché la forêt. Ses idées sont perspicaces et d’une criante actualité. Serait-il mort avec ses idées ?

IV – Que faire maintenant ?

Pour répondre à cette question, il aurait été facile de proposer un catalogue de bonnes intentions et autres pétitions de principe. Je ne le ferai pas. Pas plus que je n’adopterai une position pseudo-moraliste et jeter l’anathème sur les hommes politiques. C’est de la facilité : l’enfer, c’est toujours les autres.

Je rappellerai simplement que la situation que vit aujourd’hui la République centrafricaine est très grave. Depuis 1959, le contexte a certes beaucoup changé mais la paupérisation s’est aggravée, le peuple centrafricain est plus que jamais divisé. Quelqu’un a parlé d’un « Etat zéro » en évoquant la république centrafricaine. Notre pays est occupé par des forces étrangères : certaines pour nous aider à rétablir la paix et la sécurité, d’autres pour assassiner, piller et violer. Il nous faut changer de logiciel et revenir aux fondamentaux de l’héritage de Barthélémy BOGANDA que sont l’Unité, la Dignité et le Travail.

Depuis l’indépendance, Barthélémy BOGANDA est mangé à toutes les sauces à tel point qu’il ne fait plus rêver. Même la simple évocation de son nom provoque chez certains une véritable crise d’urticaire. Les idées politiques de cet illustre centrafricain sont tellement galvaudées qu’elles n’enchantent plus personne. Ce patrimoine national, qui a beaucoup de plus-values que  tous les hommes politiques centrafricains réunis, a cessé d’être l’objet de notre de fierté, le fondement de notre unité et l’expression de notre identité. D’ailleurs, la majorité silencieuse de notre peuple, surtout la jeunesse centrafricaine, ne le connaît même pas ou très peu par conséquent, ne se reconnaît pas en lui.

Il faut être lucide et reconnaître que tous nos échecs présents sont la conséquence directe de la fragilité de la fondation sur laquelle est bâtie la République centrafricaine. Tout en acceptant notre passé, il faut avoir le courage de le transcender et proposer de nouveaux paradigmes. Il nous faut changer de logiciel pour changer la vie et offrir un nouvel idéal à notre peuple.

Le changement nous invite à chaque action que nous devons poser, à chaque proposition que nous devons formuler et à chaque étape que nous devons franchir. Le changement, qui doit être notre maître-mot, nous impose de changer de mentalité. Et le premier changement nous convoque de changer le nom de notre pays : La République centrafricaine. Ce nom non seulement ne veut strictement rien dire mais il est un costume trop grand pour car cousu pour tous les états d’Afrique centrale. La République centrafricaine est devenue le symbole par excellence de notre échec collectif. D’autres pays l’ont fait et ne s’en portent pas si mal : le Burkina-Faso et le Benin pour ne citer que ceux-là. En plus de changer de nom du pays, il faut changer les symboles comme l’hymne national, la devise, etc. qui ne mobilisent plus personne et dont les paroles sont en parfait décalage avec la réalité présente et historique. Le drapeau avec les couleurs qui rappellent les couleurs des drapeaux français et africains ne sont plus pertinentes. Il faut le repenser. Dire cela, est-ce aller contre les idées de Barthélémy BOGANDA ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, telle n’est pas notre conviction. Il faut dépoussiérer l’héritage de BOGANDA

Pour ne pas conclure

Les défis de reconstruction de la nation, d’unir un peuple déchiré, de pacifier le pays, de répondre aux nombreux besoins vitaux de notre peuple, ces défis sont immenses, complexes et multiples. Le premier défi à surmonter est sans nul doute celui qui consiste à dépasser notre propre égoïsme voire notre propre sectarisme. L’unité nationale n’est pas un choix de circonstance mais une nécessité stratégique. L’Unité nationale, c’est comme l’air que nous respirons : une nécessité vitale pour notre peuple. Voilà, l’un des fondamentaux de l’héritage politique de Barthélémy BOGANDA que nous devons capitaliser dans notre lutte de tous les jours pour la paix et la sécurité dans notre pays et le bonheur de notre peuple.

Je vous remercie.

15 avril 2014

Alain LAMESSI



15/04/2014

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