A7i

A7i

En Centrafrique, des soldats oubliés dans l’ancien palais de Bokassa

Dans l’ancien palais de l’empereur Jean-Bedel Bokassa, 850 soldats de la Séléka, tous chrétiens, vivent reclus depuis un an.

[ Par Laurent Larcher|Béréngo|Mis à jour|11/6/14]

 BERENGO.png

Ces soldats chrétiens de la Séléka vivent reclus, errant comme des fantômes dans le palais de l’ancien empereur Bokassa Ier (dont on aperçoit la statue monumentale et la sépulture en arrière-plan). Beaucoup ont vendu leur uniforme pour se nourrir.

L’entrée du palais tropical de l’ancien empereur Bokassa Ier  est déglinguée. Le lourd portail, couleur vert pomme, tient sur ses gonds par miracle.

Une fois le seuil franchi, une allée bordée d’herbes folles conduit à la statue monumentale de l’empereur centrafricain.

Pas un bruit, pas une âme autour du monument. Juste la sépulture de l’homme qui s’est rêvé Napoléon Ier . Protégé par un auvent en tôles grises, le mausolée est recouvert d’un carrelage bleu et blanc.

Sur la pierre tombale, un bouquet funéraire. En plastique, sans doute. Une gerbe, dit-on, déposée par l’un de ses fils.

des crève-la-faim à la silhouette famélique

À cet instant, un homme émacié, chaussé d’une paire de tongs en plastique et d’un short colonial taché de gras, sort timidement d’un baraquement décati. Un deuxième le suit prudemment. Puis un troisième. Et un autre encore.

Des gueux, des crève-la-faim à la silhouette famélique. Ils surgissent de toutes parts, morts à moitié vivants.

À l’écart de la statue de Bokassa, on les découvre errant comme des fantômes dans la cour d’honneur, les allées du palais, les quartiers militaires, la chambre de l’empereur et les couloirs de la maison de Catherine, ex-première dame. Ils longent la piscine de l’impératrice où croupit une eau verdâtre, que surplombe un toboggan tordu.

La force Sangaris bouleverse le plan

Dans ce décor se joue un drame comme seule la Centrafrique sait l’écrire. Ici, un bataillon de 850 soldats chrétiens de la Séléka vit reclus et oublié.

Il avait participé à la marche victorieuse de la Séléka du nord-est au sud-ouest, de l’été 2012 à mars 2013. « Nous avons pris part à tous les combats. Ce n’était pas toujours beau », témoigne le plus jeune d’entre eux, Justin, né officiellement le 6 décembre 1995.

 

Après la prise de Bangui, le 24 mars 2013, le bataillon a été cantonné dans le palais impérial de Bokassa, à Berengo, à deux heures de route de la capitale centrafricaine : pour y être désarmé et pour recevoir une instruction militaire en vue de son intégration dans la future armée de la nouvelle Centrafrique.

Mais l’intervention de la force française Sangaris, le 5 décembre 2013, a bouleversé ce plan. « Notre chef, le lieutenant Zambia, est parti le 25 décembre pour Bangui. Il m’a dit : “Garde le moral, je reviendrai.” Depuis, nous n’avons plus de nouvelles », assure Barnabé Metefara, le second secrétaire général adjoint du bataillon, porte-parole de ses camarades ce jour-là.

« Si on a trois repas dans la semaine, c’est le bout du monde »

Pour vivre, ils se débrouillent. Ils n’ont pas le choix. « On crève de faim. On n’a rien. On bouffe les rats, les ignames sauvages. Les paysans du coin nous donnent 1 kg de farine de manioc si on travaille dans leur champ de 8 heures à 15 heures, (soit l’équivalent de 100 francs CFA, environ 15 centimes d’euro, NDLR). Si on a trois repas dans la semaine, c’est le bout du monde », témoigne Faustin, un grand gaillard aux joues creuses.

Si les militaires n’ont plus leur uniforme, c’est qu’ils l’ont vendu pour se nourrir, en janvier.

La faim, les maladies et les serpents

À la faim s’ajoutent les maladies comme le paludisme et la grippe. Sans compter les serpents. « Depuis le 25 décembre, quatre de nos camarades sont morts de faiblesse. Et nous comptons une vingtaine de malades, dont certains sont dans un sale état. Mais nous n’avons pas les moyens de les soigner.  

 Au champ, si on se blesse… nos plaies s’infectent. Nous n’avons pas de médicaments et pas d’argent pour en acheter. Personne ne se préoccupe de notre sort : ni Bangui, ni les ONG, ni les Églises chrétiennes. On est totalement oublié», se désole Yvan, un jeune homme rapidement agressif.

« Une fois, une colonne de soldats de la force Sangaris est entrée dans notre camp. Les Français ont sauté de leur camion, se sont pris en photo devant la statue de l’empereur et sont repartis comme si nous n’existions pas », se souvient Barnabé.

Le nord du pays, grand oublié

Le dimanche, ils vont à la messe : à Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus à Botoko, ou à l’église Saint-Esprit de Pissa. Car ils sont tous chrétiens. Justin est membre de l’Union fraternelle des Églises baptistes (Ufeb), comme beaucoup de ses camarades du bataillon. « Moi, je suis cent pour cent catholique : baptisé et confirmé. On compte aussi parmi nous des Témoins de Jéhovah », ajoute Barnabé Metefara.

Ces hommes ne sont pas des enfants de chœur. « Comme nous tous, j’ai tué des hommes, avoue Justin le benjamin. Dans l’action, on ne les compte pas. J’en ai vu tomber sous mes balles, bien sûr. Les exactions ? Nous en avons commis, les civils ont souffert. Dans la Séléka, ce sont surtout les Soudanais et les Tchadiens qui commettaient les abus. » 

Pourquoi se sont-ils engagés dans une coalition dirigée et composée majoritairement par des musulmans ? Tous répondent qu’ils vivaient pauvrement. Le nord du pays a toujours été le grand oublié des régimes qui se sont succédé à Bangui depuis l’indépendance, en 1960.

« La Séléka, c’était une alternative acceptable »

Cette région sous-développée est en outre isolée pendant la saison des pluies. Ces hommes expliquent qu’ils n’avaient pas d’avenir sous la présidence de François Bozizé, le président renversé par la Séléka en mars 2013.

 « Je me suis engagé dans la Séléka en septembre 2012. Je viens de Kabo, dans le nord, à la frontière entre la Centrafrique et le Tchad. François Bozizé favorisait son ethnie, les Gbayas. On ne pouvait plus le supporter », souligne Barnabé Metefara.

 « Je viens de Bandoro, au centre est du pays, dit Justin. Je me suis engagé il y a un an et neuf mois. Je n’avais pas d’emploi. Pour moi, la Séléka, c’était une alternative acceptable. » 

Des jouets pour la parade et l’instruction

Aujourd’hui, il y a ceux, de plus en plus minoritaires, qui espèrent un jour être intégrés dans l’armée centrafricaine. Et il y a ceux qui veulent rentrer chez eux : « Mais nos foyers sont à mille kilomètres de Berengo. Si on rentre à pied, on se fera tuer par les anti-balaka », craint Faustin.

Barnabé ajoute : « Le commandant des anti-balaka de la zone Rambo nous a certifié que nous ne serions pas attaqués si nous restions ici. Alors on ne bouge pas. Et de toute façon, nous n’avons pas d’armes pour nous défendre. » 

Dans leur chambre, on trouve des fusils-mitrailleurs en bois, des jouets pour la parade et l’instruction. « Si les anti-balaka décident de lancer l’assaut dans le palais de Bokassa, on devra se défendre au corps à corps. On est des soldats. On sait se battre », prévient Barnabé.

Dans les coffres-forts, des gamelles et des vêtements

En attendant, ces soldats oubliés squattent les salles encore debout du palais de l’ex-empereur : ils dorment sur des cartons, entassés dans la salle de réception ou dans sa chambre. À l’endroit même où s’élevait le lit du dictateur, un soldat est allongé, trop faible pour se lever.

Dans les deux coffres-forts de la chambre, sont entassés des gamelles et des vêtements. Seule note du fastueux passé : le parquet hongrois de la chambre impériale.

Barnabé veut montrer de quoi ils sont encore capables. Il demande à tous ses hommes de se réunir au pied de la statue de l’empereur pour un exercice. Une partie des soldats se range impeccablement devant. Comme un seul homme, ils se mettent au garde-à-vous, saluent dans le vide. Derrière eux, le vent souffle sur la tombe de Bokassa. Devant eux, des herbes folles. Et un silence, immense.

-------------------------------------------

Rebelles et milices 

La Séléka. Alliance de mouvements rebelles issus du nord-est du pays, zone à majorité musulmane et marginalisée par Bangui. Dans sa conquête du pouvoir, de décembre à mars 2013, elle a tué en premier lieu des chrétiens – qui représentent environ 80 % de la population. Après avoir renversé le président François Bozizé en mars 2013 et installé à sa place Michel Djotodia, elle a poursuivi ses exactions jusqu’à l’intervention française, l’opération Sangaris, le 5 décembre. Après la démission de Djotodia, en janvier 2014, elle s’est principalement repliée à l’est. Elle serait aujourd’hui divisée entre les partisans d’une partition du pays et ceux qui s’y opposent.

Les anti-balaka. Milices d’autodéfense villageoises apparues en septembre 2013, en réaction aux exactions de la Séléka. On y trouve aussi des voyous et d’anciennes milices armées par l’ex-président François Bozizé. Ils sont issus du Sud et de l’Ouest, régions où les chrétiens sont majoritaires, d’où leur qualification de milices chrétiennes. En réalité, leurs chefs et leurs éléments sont souvent animistes.

 

 ©LaCroix



10/06/2014

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 541 autres membres