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Centrafrique, Mali et Ukraine : les grandes méprises de l'Occident en politique étrangère

 Jean-Yves Ollivier |Mis à jour|lundi 15 septembre 2014 ]

 

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LE PLUS. La Russie d'aujourd'hui n'est-elle qu'une copie de feu l'URSS ? La lutte contre les djihadistes au Mali n'est-elle pas une histoire sans fin ? La France a-t-elle des intérêts en Centrafrique ? Notre contributeur Jean-Yves Ollivier rappelle qu'en matière de relations internationales, les discours empreints d'émotions sont parfois creux.

En politique étrangère plus encore que dans les affaires intérieures, où l’opinion publique dispose de davantage de repères, tout est trop facilement entendu : la crise en Ukraine passe ainsi pour un "échec" de l’Occident et Vladimir Poutine pour l’ours russe se léchant les babines après avoir dévoré la Crimée.

 

En revanche, les interventions militaires françaises en Afrique sont facilement saluées comme des "réussites" - au Mali comme en Centrafrique.

 

En réalité, notre perception des affaires étrangères repose souvent sur un malentendu, dû au flou des objectifs poursuivis.

 

Pas toujours très au fait de situations complexes, nos hommes politiques tentent de jouer un match extérieur à domicile. Ils flattent le public, au lieu de lui expliquer le monde tel qu’il est.

 

L’Ukraine se libère chaque jour un peu plus

 

Prenons l’exemple de l’Ukraine, le grenier de l’Europe. Voici un pays, le deuxième le plus vaste du continent, qui était fermement arrimé à la Russie voisine jusqu’en novembre dernier. Depuis, l’Ukraine se libère chaque jour un peu plus de cette emprise.

 

Elle s’est dotée d’un gouvernement farouchement pro-occidental. Certes, les Ukrainiens ne sont toujours pas entièrement maîtres chez eux. En s’en affligeant, l’œil rivé sur Moscou et ses grossières manœuvres d’ingérence, nos politiques et éditorialistes manquent cependant souvent d’ajouter que, depuis 1991, les États-Unis ont financé à hauteur de 5 milliards de dollars les "forces démocratiques", qui sont leurs alliés en Ukraine.

 

Poutine ne voulait pas perdre la face

 

Il y a une âpre lutte d’influence, que l’Occident est en train de gagner. Le soft power américain a réussi à séparer un allié organique de la Russie, qui répond avec des bruits de bottes. De son point de vue, le maître du Kremlin n’a pas tort de sentir en danger. Que se passera-t-il si, demain, la place Rouge se transforme en un autre Maïdan envahi par les supporteurs subventionnés des valeurs occidentales ?

 

Pour ne pas perdre la face alors qu’il subit en réalité une défaite, Poutine a annexé la Crimée. Par rapport à l’intangibilité des frontières internationalement reconnues, c’est un précédent fâcheux.

 

Cependant, qui est prêt à mourir pour la Crimée ? Pas même les Ukrainiens eux-mêmes, qui savent que la Crimée leur fut offerte, en 1954, par Nikita Khrouchtchev pour "réparer" les torts du passé, dont les millions de morts des grandes famines des années 1930.

 

Trop peu réalistes à l’Est, nous sommes tout aussi rêveurs au Sud.

 

Un simple coup de pouce à l'histoire

 

Dès qu’un Transall décolle d’une base militaire française, ou qu’une section de marsouins débarque dans des sables chauds, nous prétendons changer le cours de l’histoire en Afrique.

 

Or, au mieux, comme par exemple en avril 2011 en Côte d’Ivoire pour déloger Laurent Gbagbo, la France donne un "coup de pouce" à l’histoire.

 

Au Mali, n’en déplaisent aux partisans de la reconstruction de l’État ou aux éternels Cassandres de "l’enlisement", l’armée française a mené – fort bien - une opération coup de poing.

 

Mais les têtes de l’hydre djihadiste repoussent. Les Américains, qui ont l’habitude de ce travail de Sisyphe qu’est la lutte anti-terroriste, appellent cela "tondre le gazon". Il faut passer et repasser régulièrement.

 

Quant à faire renaître l’État de droit à Bamako, mieux vaudrait en laisser le soin aux Maliens. Après tout, ils avaient réussi tout seuls, en 1991, à bâtir une démocratie, avant de la mettre à terre au bout de vingt ans.

 

Nous n’avons pas d’intérêts en Centrafrique

 

Qu’est allée chercher la France en Centrafrique ? Je ne voudrais pas devoir l’expliquer ni aux parents des soldats morts à Bangui ni aux contribuables français.

 

Car, de deux choses l’une. Soit nous y sommes intervenus pour la défense de nos intérêts nationaux. Qu’on nous dise alors lesquels. Soit nous entendons sauver les Centrafricains d’eux-mêmes et il s’agit d’un cas d’extrême urgence. Mais alors il faut être bien hypocrite pour prétendre qu’en passant le flambeau à la mi-septembre aux casques bleus bangladeshis ou pakistanais, nous allons enrayer la spirale suicidaire dans le pays.

 

En fait, nous n’avons pas d’intérêts en Centrafrique. C’est la raison pour laquelle nous avions retiré nos troupes "pré-positionnées" de ce pays en 1998, avant de les renvoyer quatre ans plus tard, pris par un remord colonial. Nous n’avons ni la volonté ni les moyens de sauver la RCA. Nous gaspillons à Bangui l’or et le sang de la République.

 

L’Ukraine, le Mali, la RCA : sur ces théâtres, comme sur d’autres de notre action extérieure, il faut se méfier des pique-bœufs de la diplomatie. L’opinion publique a bon dos. Nul besoin de se hisser sur la bête interventionniste, défaitiste ou humanitaire du moment pour abonder dans le sens d’une ruée plus ou moins aveugle.

 

Le débat sur notre politique étrangère gagnerait en qualité si les hommes politiques et les experts cherchaient à nous guider et à nous éclairer, quitte parfois à nous contrarier.

 

©Le Nouvel Observateur



15/09/2014

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