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Centrafrique : comment la Russie travaille patiemment à supplanter la France

ANALYSE. Profitant du besoin en armement du gouvernement centrafricain, les Russes ont fait coup double : fournir des armes russes et être dans l'entourage direct du président Touadéra. La partie est de plus en plus difficile pour les Français.

 

 

 

La ministre française des armées Françoise Parly avait bien préparé son voyage de deux jours en République centrafricaine qui s'est achevé le 11 décembre dernier. Sur place, elle a laissé 1 400 kalachnikovs, trois bateaux pneumatiques et l'annonce de la future formation de 9 000 soldats. « La France se tient aux côtés de ses alliés centrafricains. Notre amitié et notre confiance sont un souffle nécessaire pour la paix », pouvait-on lire sur sa page Facebook qui précisait cependant, dans la ligne de l'attachement au multilatéralisme d'Emmanuel Macron, que « la France sera l'avocate infatigable » du processus de paix, pourtant en panne, de l'Union africaine (UA) et le soutien de « l'action coordonnée de la communauté internationale ». Rien de vraiment nouveau à propos d'une position française traditionnelle, mais qui, cette fois, s'accompagne d'une pique bien sentie : « Quand on parle de paix et de vies à protéger, il n'y a pas de rivalités ou d'intérêts particuliers qui tiennent. »

Des mots destinés en fait à la Russie qui, depuis un an, a débarqué en force dans le pays en signant un accord de défense inédit, en livrant des armes et en dépêchant près de 300 conseillers militaires auxquels s'ajoutent plusieurs autres centaines de mercenaires qui ont servi en Syrie ou en Ukraine, dans la province sécessionniste du Donbass. L'équivalent des contractors américains, ces anciens militaires qui travaillent pour des sociétés militaires privées, comme jadis Black Water fondée par Eric Prince, un ancien commando marine des Navy Seals, qui avait raflé les plus gros contrats en Irak. À Bangui, c'est Sewa Security Services, « filiale » de la société russe Wagner, qui embauche des vétérans russes pour les projeter en Afrique comme à l'époque de l'Armée rouge. Une « guerre froide » nouvelle manière assumée par Moscou, qui guigne, sur l'exemple des Chinois, les matières premières et cherche à étendre son influence, après le Moyen-Orient, au continent africain qui avait été abandonné après la chute de l'URSS. Pour Moscou, la Centrafrique, pays en faillite miné par la guerre, des coups d'État et une extrême pauvreté, est le maillon faible. Surtout depuis octobre 2016, la fin de l'opération Sangaris, déclenchée par François Hollande et son ministre de la défense Jean Yves Le Drian.

 En 2013, à Bangui, les soldats français mettent un terme, sur le moment, aux tueries entre les miliciens de la Seleka au pouvoir et les chrétiens anti-balaka qui, après un premier massacre, se mettent à leur tour à assassiner les musulmans. Dans les provinces, les tueries ne cesseront jamais. « Sangaris a rempli sa mission », affirme pourtant en octobre 2016 le ministre, pour qui cette opération a mis fin au chaos et a permis la tenue d'élections. En fait, cette mission difficile qui s'achève dans l'indifférence générale n'a pas pu restaurer, faute de moyens, la sécurité dans les 14 préfectures du pays. Des régions entières restent sous la coupe de soudards qui tuent et violent, pillent l'or et le diamant. Des territoires qui échappent toujours au contrôle du gouvernement et de la force des Nations unies, la Minusca, qui n'est pas en capacité, malgré son important budget, de rétablir l'ordre. La mission de formation de l'Union européenne, elle, dispense un enseignement militaire avec moins de 200 instructeurs.

Derrière le retrait des forces françaises, jugé prématuré par le gouvernement centrafricain de l'époque, il y a en fait le coût, 500 millions d'euros, et la nécessité pour Paris de disposer des troupes de Sangaris pour les déployer dans l'ambitieux dispositif Barkhane qui couvre, avec un succès mitigé contre les groupes armés qui malgré leurs pertes se renouvellent sans cesse, cinq pays du Sahel en proie au terrorisme islamiste. En fait, Sangaris a été déclenchée sans vraiment prendre en compte que la Centrafrique à peine peuplée de cinq millions d'habitants était tombée dans le chaos depuis des décennies sans qu'aucun gouvernement n'ait le pouvoir, ni les moyens, de l'administrer hors de la capitale. Si l'opération Barracuda déclenchée en 1979 par le président Giscard d'Estaing pour destituer Bokassa avait un objectif précis, celui de Sangaris suivie de très près par Jean Yves Le Drian qualifié de ministre de l'Afrique sous François Hollande, était dilué dans des régions inaccessibles faute de routes ou l'enlisement, au sens propre pendant la saison des pluies, guettaient les forces françaises.

En partant, Paris a conforté la conclusion d'Aristote à propos de la nature qui a horreur du vide. Une aubaine pour Vladimir Poutine qui souhaite redonner à son pays l'influence d'antan sur le plan international. Une perte de confiance de la France à Bangui, déçue du départ des troupes au drapeau tricolore. Une occasion pour le nouveau président centrafricain qui, sur les conseils de Paris, se tourne vers les Russes pour équiper et entraîner son armée, sachant que Poutine n'a aucun complexe par rapport à ses engagements militaires à l'étranger et qu'il ne s'embarrasse pas des critiques quand il faut utiliser la force.

Comment les Russes ont adroitement joué en Centrafrique...

En septembre 2017, la France avait en effet proposé de donner aux Faca (forces armées centrafricaines) 1 500 kalachnikovs confisquées au large de la Somalie par la marine. Problème : la Russie avait mis son veto au Conseil de sécurité. À Paris germe alors une idée lumineuse : le président Touadéra n'a qu'à demander des armes aux Russes ! En octobre 2017, il rencontre à Sotchi le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui accepte de lever le veto. Décembre 2017, l'embargo sur les armes en RCA est suspendu exceptionnellement. La France ne s'y oppose pas. Mais Lavrov, pressentant l'opportunité qui s'offre à lui, propose un « package » plus large au chef d'État centrafricain. La Russie a tapis rouge pour pénétrer au cœur de l'Afrique.

 

©Par Le Point Afrique/ Patrick Forestier-Publié le 15/12/2018

 



17/12/2018

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