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Centrafrique : à Bambari, la politique « à tombeau ouvert »

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[Par Cyril Bensimon |Mise à jour|mardi 27 mai 2014]-La prière vient de commencer. Les fidèles musulmans ont momentanément déposé arcs, sabres, bâtons ou lance-grenades devant leur tapis de prière. Les chrétiens sont, par milliers, réfugiés dans les églises. Toutes les apparences d'une guerre de religion sont réunies à Bambari. Les jeunes qui crient fiévreusement « Allah Akbar », ou se revendiquent spontanément de Boko Haram, viennent renforcer l'impression. Et, pourtant, la crise en République centrafricaine (RCA) est infiniment plus complexe. L'aspect confessionnel du conflit, où chacun se définit désormais en fonction de sa religion, masque les ressorts profonds du drame centrafricain.

 

La ville de Bambari concentre une bonne partie des enjeux du moment. Depuis moins d'une semaine, les deux communautés, qui, jusque-là, cohabitaient sans heurt majeur, vivent dans la peur l'une de l'autre. La minorité musulmane tient encore les leviers du pouvoir militaire et civil, mais pour combien de temps ? Qu'ils soient combattants de la Séléka ou simples civils, hommes mûrs ou enfants prépubères, tous déambulent armés dans les rues de cette ville située à la « frontière » entre l'ouest du pays, sous la coupe des milices anti-balaka (chrétiennes), et l'est, sous contrôle de l'ex-rébellion musulmane.

 

Des commerçants musulmans locaux, ou partis de Bangui pour échapper aux tueries et aux pillages, des éleveurs peuls qui ont vu leurs familles massacrées en brousse, sont terrorisés à l'idée de voir la Séléka désarmée. « Il n'y a qu'eux pour nous protéger, s'ils sont désarmés ce sera la catastrophe. Les policiers et les gendarmes, ici, sont avec les anti-balaka qui rôdent autour de la ville. Certains ont même commencé à s'infiltrer à Bambari », raconte Moussa Zoubeïrou, le président de la jeunesse musulmane locale.

 

L'imam de la mosquée centrale, Aboubacar Souleïmane, incite les jeunes de sa communauté à remiser les armes à la maison, appelle les Séléka à regagner leurs bases, prêche la concorde interconfessionnelle, mais, dit-il, « si les anti-balaka rentrent, nous serons obligés de défendre nos maisons et nos commerces à n'importe quelle condition ».

 

« MESURES DE CONFIANCE »

 

A Bambari, comme ailleurs en RCA, les musulmans considèrent dans leur ensemble que les forces françaises de l'opération « Sangaris » et africaines de la Misca n'offrent aucune garantie de sécurité face aux milices paysannes et aux militaires qui constituent les troupes désunies des anti-balaka. La chasse menée depuis décembre contre leurs coreligionnaires dans tout l'ouest du pays et dans la capitale leur donne de légitimes motifs d'inquiétude.

 

Le passage, mercredi 21 mai, de l'ambassadeur de France, du patron de l'opération « Sangaris », de représentants de l'ONU et des autorités de transition centrafricaines a brutalement réveillé les tensions. En exprimant publiquement leur refus de voir la Séléka installer un « état-major » parallèle à Bambari et en annonçant que, dès le lendemain, les « mesures de confiance » (le cantonnement en vue d'un désarmement) seraient imposées aux combattants de l'ex-rébellion, ces visiteurs venus de Bangui ont suscité la colère d'une bonne partie de la communauté musulmane et de plusieurs chefs militaires de ceux qui se sont rebaptisés « forces républicaines ».

 

Des jeunes ont jeté des pierres sur les soldats français, érigé des barricades, et des accrochages ont opposé les ex-rebelles aux militaires de « Sangaris ».

 

SoldatBAMBARI.pngUn soldat français de "Sangaris", le 22 mai devant une barricade érigée par les pro-Séléka sur le pont à l'entrée de Bambari.  JEROME DELAY /

AP POUR LE MONDE

 

Dimanche, la situation semblait s'apaiser, mais plusieurs morts sont à déplorer. « Cet état-major a été formé pour regrouper les éléments éparpillés et faire cesser le désordre des troupes. Cela ne veut pas dire que nous voulons faire partition », assure le général Zakaria Damane. Le colosse en grand boubou bleu ciel, figure historique des mouvements rebelles partis du nord-est de la RCA, poursuit : « Dans ce pays, les communautés ont été séparées contre notre volonté. Avons-nous une fois brûlé une église ? Catherine Samba-Panza [la présidente de transition] ne fait rien, c'est une anti-balaka. Alors, est-ce qu'on ne peut parler de partition pour faire pression ? »

 

MENACE DE COUPURE

 

Cette menace de coupure du pays, exprimée jusque-là mezza voce, est désormais largement reprise au sein de la communauté musulmane. Elle n'est pas brandie comme un projet réfléchi de longue date, mais comme une nécessité pour se protéger. « Nous sommes centrafricains, mais les chrétiens ne veulent plus de nous. Nous n'avons aucun problème avec eux, mais quand la cohabitation devient impossible, la meilleure des choses, c'est la séparation. Vous n'avez pas critiqué la partition entre le Soudan et le Soudan du Sud, entre l'Ethiopie et l'Erythrée, alors pourquoi nous la refuser ? Il faut l'autodétermination pour le nord-est de la Centrafrique, car on ne peut pas manger la carotte quand d'autres brandissent le bâton », déclare Ali Mahamat, un ancien étudiant en sciences politiques ayant dû fuir Bangui, la machette en bandoulière sous son pardessus.

 

Au sein de la Séléka, la question suscite des divisions. Certains officiers inscrivent leur avenir dans l'armée nationale, qui reste à rebâtir. Mais d'autres ne sont pas prêts à abandonner le pouvoir acquis par les armes, ni les richesses, notamment tirées de l'exploitation des mines de diamants du nord-est, si l'Etat centrafricain venait à reprendre position dans une zone qu'il a désertée depuis fort longtemps.

 

Hassan, un boutiquier au chômage, lui, ne veut pas entendre parler de division. De passage à la cathédrale Saint-Joseph, où sont réfugiés des milliers de ses voisins, cet homme sympathique au léger embonpoint se désole : « Comment voulez-vous que nous nous séparions ? Regardez, celle-là, c'est ma belle-sœur. Ma mère était d'une famille chrétienne. »

 

La Soeur Marie-Claire pleure, elle aussi, le temps passé. « Des problèmes entre chrétiens et musulmans, ça n'a jamais existé. Ce sont les politiciens qui ont amené ça », déplore la religieuse. « Les musulmans n'ont jamais touché les chrétiens, et les chrétiens n'ont jamais touché les musulmans. Cette crise a été amenée par ceux qui sont affamés de pouvoir. Il n'y a aucune guerre de religion ici », ajoute Mgr Edouard Mathos. L'évêque du diocèse ne cite aucun nom, mais son courroux vise les dignitaires de l'ex-rébellion et les tenants du pouvoir central à Bangui. Les premiers, pour avoir dégradé les relations intercommunautaires, en ne pillant que les chrétiens et en obtenant la complicité des commerçants musulmans. Les seconds, pour leur « amateurisme ».

 

« BÊTISES »

 

Réfugié dans l'église Saint-Joseph, Edmond Yangué, malgré ses quatre années d'arriérés de salaire et les enfants au regard durci tout autour de lui, exprime avec jovialité ce que sont, selon lui, les origines de la crise actuelle. « Ces gens sont des “situationnistes”, ils profitent de la situation. Ils sont venus comme ça, sans rien, puis ils sont devenus de grands commerçants. Ils ont acheté des fusils et veulent maintenant nous prendre comme esclaves. Ils ont marié nos filles, nos soeurs et maintenant ils nous prennent pour des couillons, car ils ont de l'argent », avance cet arrière-grand-père de 67 ans. Il ajoute : « Ils ont vu les faiblesses de nos dirigeants. Avec leur volonté de devenir président, ils ont commencé leurs bêtises, mais ils doivent savoir qu'ils ne sont pas de vrais Centrafricains. »

 

L'accaparement ou la conservation du pouvoir et des richesses, ainsi que les questions autour de la nationalité, sont aujourd'hui les vrais ressorts de la crise en Centrafrique. A 388 kilomètres de Bambari, sur la terrasse du Ledger, le palace de Bangui, Abdoulaye Hissene, physique de star du ballon rond, ex-rebelle, rallié aux trois derniers pouvoirs, résume la situation : « La politique en Centrafrique, on la fait à tombeau ouvert. »

 

 © Le Monde



27/05/2014

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