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Burkina Faso : la chute sans gloire de Blaise Compaoré

 [ Par  Christophe Châtelot |Mis à jour| samedi 1er novembre 2014]

 

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Zoom arrière, retour à l’automne 1987. Blaise Compaoré, alors tout jeune président du Burkina Faso – il a seulement 37 ans – et chef du « Front populaire » est en fonction depuis seulement quatre jours. Dans un entretien au quotidien La Croix publié le 4 novembre de cette année-là, le capitaine, en tenue camouflée de parachutiste, explique alors pourquoi, il a fomenté son putsch meurtrier du 15 octobre contre son ancien compagnon de révolution. « [Thomas] Sankara n’était plus suivi par les organisations étudiantes » ; l’armée était « divisée » ; il ne tenait plus compte de « l’intérêt de l’immense majorité ».

Vingt-sept ans après, Blaise Compaoré (63 ans) semble pourtant avoir commis les mêmes erreurs que son charismatique prédécesseur, anti-impérialiste et panafricaniste. Des erreurs qui l’ont contraint à la démission vendredi 31 octobre, chassé par la rue après seulement trois jours de protestation alimentée par la volonté du président de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam.

Petits arrangements entre partis

Depuis quelque temps pourtant, les signaux s’accumulaient qui auraient dû le dissuader de tenter de mener la dernière réforme qui allait lui être fatale. Après avoir longtemps entretenu le suspense – par calcul politique pour les uns, par « hésitation », selon un diplomate occidental – Blaise Compaoré avait finalement décidé, à la mi-octobre, de faire passer une réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer en 2015 un nouveau mandat présidentiel, le cinquième depuis son arrivée au pouvoir en 1987.

Peut-être parce que des sondages montraient que cette réforme n’avait pas la faveur de l’opinion, Blaise Compaoré avait opté pour la voie parlementaire plutôt que le référendum, négligeant ainsi les aspirations démocratiques de la population au profit de petits arrangements entre partis. La manœuvre, assez grossière pour un homme politique que l’on disait fin calculateur, n’a pas pris.

Manipulateur ordinaire de Constitution

L’ancien putschiste avait pourtant, en 1991, quitté son uniforme et introduit le multipartisme dans son pays. Il laissait vivoter une presse d’opposition parfois insolente mais marquée par le souvenir de la mort, en 1998, de Norbert Zongo, directeur d’un journal dérangeant, assassiné alors qu’il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président. Blaise Compaoré – déjà deux fois réélu au terme de scrutins certes quelque peu déséquilibrés et boycottés par les principaux opposants – avait aussi introduit en 2000 une réforme constitutionnelle instaurant le quinquennat et limitant à deux le nombre de mandats.

Mais là, en 2014, le président offrait subitement le visage d’un manipulateur ordinaire de Constitution, comme l’on en rencontre dans d’autres pays africains qui n’affichent pas les standards démocratiques du « Pays des hommes intègres ». « Ces derniers temps, il n’écoutait plus, enfermé dans sa bulle, lâché par une partie des cadres de sa formation mais poussé par ses proches, notamment son frère cadet François, qui ne voulaient pas perdre leurs positions ou s’imaginaient lui succéder », avance un diplomate occidental.

Promesse de « job » de Paris

« Peut-être aussi, que la communauté internationale n’a pas été assez ferme », avance Augustin Loada, président du centre pour la gouvernance démocratique. Certes les Etats-Unis, d’abord, puis l’ancienne puissance coloniale française avaient rappelé le président à l’ordre, lui conseillant de respecter son engagement démocratique. François Hollande lui avait fait une promesse de « job ». En cas de départ, « vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents au service à la disposition de la communauté internationale », écrivait le président français.

Mais nul doute que Paris et Washington se seraient finalement accommodés de cette entorse constitutionnelle si elle était venue à passer le test du vote parlementaire ou du référendum. Pour la bonne raison que, au fil des ans, Blaise Compaoré, président d’un pays pauvre et enclavé de 16 millions d’habitants dont l’économie repose sur la culture du coton et l’envoi d’argent de sa nombreuse diaspora, était devenu « l’enfant chéri des institutions financières internationales pour la rigueur de sa gestion des affaires publiques », selon un diplomate français.

« Passion pour la diplomatie »

Surtout, Blaise Compaoré, d’ethnie Mossi (la plus nombreuse du pays), s’était imposé au fil des ans comme le médiateur utile de bien des crises régionales. Certes, ces derniers temps, Paris et Ouagadougou n’étaient pas sur la même longueur d’ondes au sujet du dossier du Nord-Mali, secoué par une énième montée indépendantiste touareg et miné par des groupes djihadistes. Mais au bout du compte, le Burkina avait ouvert ses frontières aux armées française et américaine engagées dans la lutte antiterroriste au Sahel.

Togo, Mauritanie, Guinée, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Darfour… Le « beau Blaise » avait multiplié les missions de bons offices sur le continent noir et accueillait des opposants sur son sol. « C’est quelqu’un sur qui ces puissances peuvent compter pour déléguer des médiations et c’est quelqu’un qui a très certainement été animé par une passion pour la diplomatie et qui a obtenu quelques résultats », expliquait, en 2013, Rinaldo Depagne, analyste de l’Afrique de l’Ouest pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG).

Certes il y eut avant cela d’autres interventions plus déstabilisatrices, comme au Liberia dans les années 1990, son amitié avec Mouammar Kadhafi, son implication, épinglée par l’Organisatrion des nations unies, dans des trafics d’armes et de diamants avec les insurrections angolaises et Sierra-Léonaise. Louise Harbour, ex-haut-commissaire aux droits de la personne aux Nations unies, soulignait d’ailleurs en 2000 que « l’ancien soldat putschiste et parrain de Charles Taylor [ancien président du Liberia condamné en 2014 par la justice internationale pour crimes de guerre] n’est pas le mieux placé pour prêcher les vertus de la démocratie ». Et c’est pour avoir voulu jouer une fois de plus avec ces vertus que Blaise Compaoré a fini par tomber. On le disait, vendredi 31 octobre, en route vers la garnison de Pô, celle-là même d’où il était parti avec ses paras en 1983 soutenir la prise de pouvoir de Thomas Sankara.

©LeMonde



01/11/2014

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