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Sissi, Habré, Savimbi, Fabius et nous

 

 

 

Hissène Habré est jugé pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et torture © Captures d'écran/RTS

 

 

J' étais au Caire cette semaine pour un entretien avec le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi. Difficile de voir dans cette mégapole grise et constamment au bord de l'infarctus circulatoire une ville « africaine » où, comme à Casablanca par exemple, souffle par instants une brise venue d'au-delà du désert.

Ici bat le cœur du monde arabe. Par calcul stratégique autant que par conviction, Sissi a pourtant décidé depuis deux ans de renouer avec ce continent auquel son pays appartient. Près d’un demi-siècle après sa disparition, l’esprit de Nasser, de la conférence de Bandung et du sommet des pères fondateurs de l’OUA est donc convoqué pour permettre à l’Égypte d’exister à nouveau en Afrique. Le volontarisme est là, mais, comme en convient le très affable Hazem Fahmy, patron de l’agence égyptienne de coopération, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Les Égyptiens ne connaissent plus l’Afrique subsaharienne, leurs ambassades sont plongées dans un sommeil comateux, et les sociétés qui y investissent se comptent sur les doigts d’une seule main. Face aux Turcs, aux Israéliens et bientôt aux Iraniens, ils n’ont qu’un seul avantage comparatif : être eux-mêmes africains. Encore faut-il qu’ils le sachent…

Hissène Habré en procès. J.A. consacre à cet épisode inaugural, donc historique, de l’« Afrique juge les Africains », son événement hebdomadaire. En regardant les rares images du dictateur enfoui sous son chèche me reviennent en mémoire les entretiens que j’ai eus avec lui lorsqu’il régnait en maître absolu à N’Djamena. Voix murmurée, geste précis de félin, citations de Fanon, Clausewitz, de Gaulle et cigarettes à la chaîne dans un petit bureau sombre de la présidence. Le Tchad, à l’époque, était en pleine guerre contre la Libye de Kadhafi et cela nous obsédait, nous, les journalistes, au point de ne pas voir l’essentiel : la tragédie qui se déroulait sous nos pieds dans les locaux de la DDS, les tortures, les disparitions. Myopie coupable !

J’aurais dû le savoir : les malades du pouvoir d’un seul sont d’autant plus dangereux qu’ils sont intelligents

« Vous êtes très autoritaire », avais-je fait remarquer à Habré. Réponse : « Ce genre d’étiquette n’a aucun intérêt. On me dit dictateur, sanguinaire, agent de l’impérialisme. Moi, je suis pour l’ordre et la sécurité. Il faut lutter chaque jour pour que l’anarchie ne s’installe pas. » J’aurais dû le savoir : les malades du pouvoir d’un seul sont d’autant plus dangereux qu’ils sont intelligents – ce qu’est Hissène Habré, indubitablement.

En suivant sur jeune afrique.com les péripéties du conflit picrocholin opposant les héritiers de Jonas Savimbi à l’éditeur du célébrissime jeu vidéo Call of Duty, une autre réminiscence apparaît tout à coup. 1984 : cinq semaines à crapahuter dans les maquis angolais de l’Unita et à dormir dans la benne d’un camion russe, sous la menace des MIG cubains, entre Jamba, Cangamba et Cuito Cuanavale. Savimbi en meeting, arpentant le sol comme un fauve, tous muscles ramassés, ponctuant son discours de rugissements face à une foule de paysans hurlant « Guia ! Guia ! » (« Guide, Guide »).

Laurent Fabius n’aura pas été un grand ministre des Affaires étrangères de la France

L’ancien élève de Sciences-Po Lausanne et de l’Académie militaire de Nankin contrôlait alors 400 000 km² de terre angolaise. Le futur grand photographe Pascal Maitre, mon complice d’alors, et moi-même pensions que, comme pour Habré, seule une balle ajustée ou égarée mettrait un terme à sa course folle. La balle a atteint Savimbi en plein front, il y a tout juste quatorze ans. Habré, lui, est jugé à la face du monde. Ce qui est une autre sorte de mort.

Laurent Fabius quitte le Quai d’Orsay. Contrairement aux éloges qu’on lui tresse ici et là, il n’aura pas été un grand ministre des Affaires étrangères de la France. Sauf à considérer qu’un responsable de la diplomatie qui affiche un profond désintérêt pour l’Afrique puisse être un grand ministre. Dans l’unique interview digne de ce nom que cet énarque cassant et distant a daigné accorder à J.A., on sentait bien à la façon dont il lisait ses fiches que l’exercice imposé lui pesait. Sans doute l’Afrique, Maghreb compris, n’était-elle pas à sa hauteur.

C’est donc sans combattre qu’il a rendu les armes face à son collègue Le Drian, ministre breton de la Défense, lequel a fini par prendre toute sa place sur un continent pour lequel il a, lui, une vive appétence. À la décharge de Fabius : François Hollande ne lui a pas facilité la tâche. Le président ne l’a jamais aimé, et c’est pour le neutraliser en le flattant qu’il l’a installé sur le fauteuil de Vergennes. Son successeur, Jean-Marc Ayrault, a jumelé sa bonne ville de Nantes avec une demi-douzaine de cités africaines. On l’a même vu, il y a cinq ans, se faire initier au Bénin à la magie vaudou. Quand les houngans s’en mêlent, tout espoir n’est pas perdu…

 

©J.A



05/03/2016

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