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République Centrafricaine : c’est encore possible… de bâtir la République de Boganda

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Lettre Ouverte à la Présidente de Transition en Centrafrique et

aux Centrafricains et Centrafricaines de bonne volonté

 

Excellence Mme Samba-Panza, Présidente de la Transition,

 

Chers Compatriotes,

 

La suite de ma réflexion, « C’est encore possible… de bâtir la République de Boganda »_, dont la première partie a été publiée le 29 mars 2014 pour marquer la commémoration de la disparition du père fondateur de notre nation, Barthelemy Boganda, se veut être aujourd’hui, une lettre ouverte et un appel pressant à la Présidente de Transition et son gouvernement, ainsi qu’à tous les centrafricains et centrafricaines de bonne volonté. Un appel à prendre immédiatement les moyens et les mesures pour créer un nouvel ordre national en Centrafrique.

En effet, depuis la fin du régime de Mr Michel Djotodia et, avec lui, la terreur rouge instaurée par la Séléka, rien n’avance encore vraiment dans le bon sens ; rien ne permet de penser que nous nous acheminons vers une sortie définitive de la très longue crise socio-politique et économique qui a marqué la vie nationale au cours de ces deux dernières décennies. En dépit des efforts déployés par la communauté internationale pour protéger les populations civiles et nous permettre de nous  réorganiser comme nation et remettre notre pays sur ses pieds, l’espoir est loin de poindre à l’horizon.

Malgré le déploiement dans notre pays des forces internationales de l’opération Sangaris, de la MISCA et de l’Eufor-RCA, les tueries massives et enlèvement des populations civiles, tant à Bangui qu’à l’intérieur du pays, continuent. Les journalistes et les humanitaires internationaux ne sont pas épargnés. Les armes lourdes sont encore entre les mains des forces négatives et les armes légères circulent au sein de la population ajoutant à la situation d’insécurité déjà alarmante. La menace de la partition du pays en des zones pro-chrétienne et pro-musulmane – mais orchestrée à l’intérieur ou à l’extérieur par des mains invisibles  qui n’ont que pour visée des intérêts miniers (pétrole et diamants) à des fins personnelles – est toujours d’actualité ; en témoigne l’interview du nouveau chef d’état-major de l’ex- mais toujours existante coalition Séléka Joseph Zoudeyko. Des compatriotes assoiffés du pouvoir se permettent de manipuler des jeunes et instrumentaliser la violence afin d’assouvir leur soif. Des compatriotes refugiés dans les pays voisins ou déplacés à l’intérieur du pays en proie à une crise alimentaire croissante et menacés par la saison pluvieuse, vivent dans des conditions infrahumaines inacceptables. Les arriérés de salaires s’accumulent mois après mois dans un contexte où le prix des denrées alimentaires sont en hausse.

En somme, malgré la mobilisation de la communauté internationale au chevet de la Centrafrique, tous les ingrédients d’une disparition pure et simple du pays de Boganda s’accumulent jour après jour, et les réponses apportées ou envisagées par la partie centrafricaine sont loin d’être à la hauteur du drame qui n’a que trop duré et dans lequel le pays semble s’installé impassiblement. Au regard d’un bilan mitigé après 100 jours à la tête de la transition, la Présidente Catherine Samba-Panza promet un remaniement ministériel pour garantir la représentativité régionale. Mais selon les rumeurs grandissantes, des pressions extérieures œuvrent pour la remise de la primature à la Séléka, comme si la prise de pouvoir par les armes qui a été dénoncée et rejetée par la CEDEAO lors du coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo au Mali, mais approuvée par la CEMAC qui a confirmé Michel Djotodia comme président au lendemain du coup de force de 24 mars 2013, constituait un ayant droit absolu à la primature centrafricaine.

Par ailleurs, la classe politique centrafricaine qui peine à faire des propositions de sortie de crise pertinentes voit dans la proposition des élections présidentielles de février 2015 – proposition faite par le président Français dans un contexte bien déterminé – la solution magique à la crise. Dans son intervention à l’Académie Diplomatique Internationale de Paris, le 2 juin dernier, ne croit pas mieux faire que de réclamer qu’on prenne les dispositions pour tenir le calendrier électoral. « Il faut prendre toutes les dispositions nécessaires pour le retour à un ordre constitutionnel normal par le biais des élections prévues en février 2015 afin de jeter les bases d’une véritable refondation politique, économique et sociale », affirme-t-il.

Que Mr Martin Ziguélé me permette d’employer, avec tout le respect que je lui dois, ses propres mots pour le contredire, et avec lui tous ceux qui veulent faire des élections présidentielles de février 2015 (et non pas plus tard). Le contredire en disant qu’en tirant les leçons de notre histoire récente, nous sommes forcés de conclure que courir aux élections en février 2015, c’est purement et simplement construire sur du sable mouvant ; c’est condamner la Centrafrique et la communauté internationale à faire un travail de Sisyphe.

En effet, des élections transparentes et équitables ont été organisées en septembre 1993 et se sont soldées par la victoire du MLPC et son leader historique Ange-Felix Patassé. Cela n’a pas empêché de longues crises socio-économiques et politico-militaires qui ont abouti au coup d’Etat du 13 mars 2003. De même, des élections transparentes et équitables ont été organisées en mars 2005 et se sont soldées par la victoire de François Bozizé du KNK. Là encore, les longues crises socio-économiques et politico-militaires ont été fidèles au rendez-vous de l’histoire centrafricaine et ont abouti à une prise de pouvoir par les armes dont les conséquences ont atteint un niveau effroyable.

Et dans les deux cas de figure, l’on a observé : a) des situations d’exercice démocratique boiteux du fait de la pesanteur des partis de la majorité présidentielle ; b) des caisses de l’Etat vide assortie d’une paupérisation économique de la population tandis que les ressources naturelles (diamants et bois) se vendaient en grande quantité ;  c) des accords issus des négociations ou dialogues restés lettre-morte et non-appliqués.

Pour peu que l’on veuille tirer les leçons de notre histoire récente, la rigueur de la pensée et le patriotisme – entendu comme amour de la patrie et des compatriotes sans distinction de races et de religions – nous forcent à constater et reconnaitre que l’exercice de la démocratie et de la gouvernance en Centrafrique souffre d’un mal profond qu’il faut absolument résoudre avant d’envisager les prochaines élections. Et ‘la réforme structurelle d’un Etat accepté par tous’ et susceptible de poser les bases solides d’une vie politique, économique et sociale qui tranche avec notre passé depuis les indépendances jusqu’à ce jour… la réforme multidimensionnelle de l’Etat, dis-je, doit se faire dans un cadre consensuel représentatif et équilibré avant que l’on ne puisse parler raisonnablement de nouvelles élections générales. Autrement, ce serait non seulement mettre la charrue avant les bœufs, mais encore mettre ses intérêts personnels et corporatistes au-dessus des intérêts de la nation et du peuple centrafricain qui a tant souffert de l’égocentrisme de ses dirigeants. Comme peuple et fils de Boganda, nous ne pouvons plus et ne devons plus tolérer cela. Avec ce que nous avons connu comme souffrance et tragédie, ce ne sera plus jamais « le parti et l’avantage des camarades du parti d’abord », mais désormais « la Centrafrique et le bien du peuple centrafricain d’abord ».

 

Excellence Mme Samba-Panza, Présidente de la Transition,

Bien chers Compatriotes,

Barthelemy Boganda, notre père à tous, écrivait ceci dans sa lettre circulaire du 29 juin 1948 aux compatriotes : « Rompre avec un passé d’incompréhension, de misères physiques et morales, et marcher hardiment vers un avenir meilleur : voilà ce que j’appelle révolution. Elle est nécessaire, elle est possible, elle est à la portée de tous, elle est urgente, elle est obligatoire ; alors nous devons la réaliser. Sans une rupture énergique avec le passé, nous ne pourrons pas faire un pas en avant ; nous serons voués à la disparition ou à la servitude perpétuelle. »_ Vous conviendrez avec moi que ces mots de Boganda gardent toute leur pertinence dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui. Il nous faut urgemment créer les conditions d’une rupture radicale avec ce passé d’injustices sociales et d’instabilité politico-militaire et socio-économique chroniques qui ont tétanisé notre marche, comme nation, vers le progrès et qui culmine aujourd’hui avec la violation de droits de l’homme et la menace de partition du pays.

Aux grands maux les grands remèdes : il nous faut, chère Mme la Présidente et chers compatriotes, reprendre l’initiative dans la destinée de notre pays et créer urgemment un nouvel ordre national en Centrafrique. C’est nécessaire, c’est possible, c’est urgent ; alors faisons-le. Et pour arriver à ce nouvel ordre national, il nous faut passer par une procédure exceptionnelle. La tâche de jeter les bases d’une véritable refondation politique, économique, sociale et sécuritaire de notre pays incombe au gouvernement de transition, et non à un hypothétique régime démocratique issu des prochaines élections.

Nous nous trouvons aujourd’hui devant une situation exceptionnelle et grave. La gravité de ce drame national nous offre cependant une occasion exceptionnelle une nouvelle page de notre histoire écrite par nous-même et dans le seul intérêt de la nation et du peuple centrafricains. Et il convient que cet effort de refondation de notre pays se fasse dans un environnement sain, à l’abri de toutes manipulations, de toutes pressions extérieures, de tout dictat, fut-il des armes, et ne soit guidé que par le seul souci et la détermination de créer un environnement favorable de vie nationale marquée par la paix et le développement durables et la justice sociale.

Et il n’y a pas de meilleure procédure pour créer par nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour les générations futures ce nouvel ordre national qu’un cadre consensuel de concertation, dialogue et décision. Un cadre consensuel qui offre les conditions d’une discussion sans tabou, avec une volonté ferme et sans ambiguïté d’aboutir à des solutions qui garantissent la bonne gouvernance dans la gestion de la res publica, l’amélioration des conditions de vie de nos compatriotes et l’unité nationale.

Ce cadre consensuel pourrait assurer les principales missions suivantes :

Réviser les Accords de Libreville (2013) et N’Djamena (2014), et produire et obtenir un consensus autour d’un nouvel Accord Politique endogène où des centrafricains parlent aux centrafricains pour sceller les contours de la vie politique nationale et du gouvernement pendant la période de transition et la marche vers une sortie de crise pérenne et le retour à l’ordre constitutionnel ;

Définir une politique sécurité générale et de protection des populations et de l’intégrité territoriale ; une politique de sécurité et de protection avec des objectifs sécuritaires clairs qui devrait faciliter un travail en synergie avec les troupes internationales et créer un environnement favorable à l’accomplissement strict de leur mission. Il serait important d’aboutir à une situation où la tâche de maintien de la paix et de la protection des populations civiles, des humanitaires et du territoire dans son intégralité devienne le strict monopole des forces internationales de l’opération Sangaris, la MISCA, l’Eufor-RCA et plus tard, des Nations Unies.  Et que l’on cesse d’avoir des zones sous la juridiction des forces non-conventionnelles (Seleka ou Anti-Balaka) ;

Traiter la question de la réforme du secteur de sécurité en Centrafrique et élaborer un Plan de la Réforme des Forces de Défense Nationale (Armées, Police, Gendarmerie) ainsi qu’un Plan de Désarmement – Démobilisation – Réinsertion/Intégration (DDRI) des groupes armés et définir le cadre (institutionnel et temporel) de leur de mise en œuvre. Le souci majeur ici serait d’arrivée à la mise en place d’une armée nationale professionnelle qui prendrait le relai après le départ des forces onusiennes pour garantir la sécurité et la défense de l’ensemble du territoire centrafricain. Le travail à ce niveau passe par la révision et actualisation des accords et recommandations relatives à la réforme du secteur de défense et sécurité qui, tout en étant pertinentes, sont restées lettres-mortes jusqu’à ce jour.

Définir et introduire des réformes institutionnelles et structurelles profondes de l’Etat qui devraient être réalisées dans le cadre du gouvernement de transition, avant les prochaines élections. Ces reformes incluent les secteurs Politiques, Economiques, Mines et Ressources Naturelles, et Administration Territoriale. Les reformes politiques pourraient entre autres viser la création des cadres d’une relation saine entre les partis politiques et l’Etat, d’une gestion efficace de l’administration politique, l’organisation et la gestion du pouvoir, la protection des droits et libertés d’expression et l’accès aux medias publiques. Parmi les reformes structurelles, il serait important de reformuler les politiques de l’exploitation et de la gestion des ressources naturelles et minières afin que ça profite au pays et au peuple, couper le cordon ombilical entre le Trésor Public et la Présidence, et restructurer le secteur financier de manière à redonner à l’Etat centrafricain la capacité de faire face à ses dépenses de souveraineté (incluant les salaires, pensions et bourses). Un modèle qui pourrait inspirer est celui du Liberia dont l’économie a été placée sous-tutelle internationale en 2005 et soumise à l’application du Programme d’Assistance  à la Gestion Economique et à la Bonne Gouvernance (GEMAP). Programme qui à consister à contrôler l’ensemble des flux économiques pendant trois ans, et à veilleur à ce que les recettes fiscales et les produits financiers des ressources naturelles entrent réellement dans la caisse de l’Etat tout en garantissant leur utilisation équitable et à bon escient.

Validation consensuelle d’une nouvelle Constitution (à adopter par referendum) qui, tenant compte des facteurs à la racine des longues crises socio-politiques qu’a connues le pays, met en place des dispositions nécessaires tout en intégrant les données des reformes structurelles et institutionnelles. On pourrait par exemple s’attendre à ce que la nouvelle Constitution impose un processus d’examen strict, par les membres du parlement, des personnes nommées par le Président/la Présidente à des postes clefs  pour assurer que les nominations se fassent selon les règles de bonne gouvernance et fondées sur le principe de compétence plutôt que par complaisance. La nouvelle Constitution doit bloquer la possibilité du Président et d’un parlement acquis `à sa cause de lever le verrou qui limite les mandats présidentiels. Faut-il envisager déjà la question de la mise en place d’un Senat ou Collège de Sages? Dans la lignée de réforme de l’administration territoriale, la nouvelle Constitution pourrait, s’inspirant du modèle Camerounais ou de la RD Congo, sceller le regroupement des préfectures en 4 grandes provinces sous la conduite des gouverneurs et dotées des directions provinciales des ministères et services publics clefs. Un tel changement, tout en favorisant le développement et la modernisation des grands centres urbains à l’intérieur du pays, permettra de renforcer la décentralisation des services publics, et leur plus grande proximité des populations, surtout dans les coins les plus reculés du pays.

La grande question que l’on peut se poser est celle de savoir ce qu’est ce cadre consensuel qui pourrait accomplir une telle tâche. Allant au-delà du ‘centrafricano-pessimisme’ dues aux expériences du passé mais dont les conditions ne sont pas les mêmes dans ce contexte intéressant de transition,  je parlerais d’Assises des Forces Vives de la Nation pour la Refondation de l’Etat et une Sortie Pérenne de Crise en Centrafrique. La différence avec les autres forums du genre est que ses décisions (et non pas recommandations) doivent être mise en application immédiatement sans avoir à dépendre de la bonne volonté du Prince (ou de la Princesse). Travaillant essentiellement sur des textes rédigés l’avance par des comités d’experts nationaux et internationaux, ces Assises devraient durer au maximum dix jours, et pourraient compter 150 à 250 délégués parmi les compatriotes les plus exemplaires, représentatifs de tous les secteurs de la vie nationale, et déterminés à œuvrer dans le sens du seul intérêt suprême de la nation, de son redressement et de son unité.   

Mû par le désir de voir notre pays se relever rapidement de sa longue et tragique crise, j’ose donc lancer un appel, en toute humilité et respect, à Mme la Présidente de Transition et son gouvernement, aux Conseillers et acteurs clefs de la vie politique nationale de cette période de transition, à la Société civile, aux candidats déclarés, aux partis politiques, les groupes constitués, les fonctionnaires et cadres centrafricains, la jeunesse centrafricaine et tous les compatriotes de pouvoir enfin faire cause commune derrière un plan d’action concret… derrière un tel projet propice à la réalisation du YANGA OKO – KODRO OKO – BE OKO dont notre pays a cruellement besoin pour retrouver sa place dans de concert des nations. Mais avant cela, il va falloir d’abord arrêter ce cycle de violence qui perdure…

Que l’esprit de Boganda nous accompagne dans ces moments durs de notre histoire et que Dieu nous bénisse tous et bénisse notre pays, la Centrafrique.

 

 Nairobi, ce 4 juin 2014

 

Paterne A. Mombe SJ

Resurrection Garden



06/06/2014

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