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Pendant ce temps-là, en Centrafrique...

Alors que tous les regards sont tournés vers l’Ukraine, un autre conflit , dans lequel la France est pourtant engagée militairement, semble dans l’impasse. Lundi de violents affrontements ont opposé des militaires français à des rebelles centrafricains.

 

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Sia Kambou/AP/SIPA

[ Par Régis Soubrouillard | Mise à jour |09/05/2014 03:56:50] - La Centrafique est devenue une « zone oubliée du monde ». Pourtant, les conflits ethnoreligieux y ont pris une dimension sans précédent depuis le mois de février dernier. Dès son arrivée, l’armée française s’est retrouvée piégée dans une guerre civile et des affrontements intercommunautaires, largement sous estimés par Paris quand fut prise la décision d'envoyer des troupes sur place.

La Centrafrique a sombré dans le chaos, rappelons-le, lorsque l'ex-rébellion Séléka, à majorité musulmane, a pris le pouvoir entre mars 2013 et janvier 2014 dans un pays composé à 80% de chrétiens, multipliant les exactions. Le conflit a fait des milliers de morts et plus d'un million de déplacés. Plus de 90% des 60 à 80 000 musulmans qui vivaient à Bangui ont ainsi quitté la capitale, accélérant la division du pays en zones chrétiennes et musulmanes et alimentant le spectre de la partition tant redoutée.  

« Les atrocités de la Séléka ont conduit à la création des “anti-Balaka” ramassis de jeunes désœuvrés analphabètes, de coupeurs de route au chômage, de paysans spoliés, d’anciens militaires des Forces armées nationales (FACAS), de ruraux non scolarisés et de quelques boutefeux des milices COCORA pro-Bozizé. Par opposition à la Séléka, effectivement composée d’une majorité de musulmans, les « anti-balaka » ont été très rapidement considérés, par les médias occidentaux, comme une milice chrétienne, alors que seul l’esprit de vengeance et la haine du musulman motivaient ces “assoiffés” de sang, au même titre que la Séléka », expliquait récemment Didier Niewiadowski, ancien diplomate français à Bangui, dans une longue note d’analyse parue en janvier 2014.  

Composée de mercenaires tchadiens et soudanais, musulmans, la Séléka (dissoute en janvier 2014) n'est pas une milice jihadiste, l’objectif des chefs de guerre relevant essentiellement de la prise de butin. En République Centrafricaine (RCA), les groupes armés financent, en effet, en grande partie leurs activités grâce aux pillages et aux revenus importants tirés du du commerce illicite d’ivoire et de diamants. Un rapport de l’ONG américaine Enough project précise que les rebelles de la Séléka, soutenus par des mercenaires étrangers, font du trafic de « diamants et d'ivoire pour payer des armes, du carburant, de la nourriture et leurs soldats ». Les diamants sont vendus à des intermédiaires qui les revendent dans le sud du Darfour ou en République démocratique du Congo. Tandis que les anti-balaka attaquent des musulmans justement pour prendre le contrôle des « zones riches en diamants de l'ouest ».

Acteurs privés, milices, enjeux miniers, filières mafieuses, absence d’Etat, la Centrafrique illustre ces nouveaux conflits de basse intensité, asymétriques et nomades, qui se propagent et pour lesquelles les armées occidentales sont mal adaptées.

Sangaris, une opération « coup de poing » de longue durée...

Avec seulement 2.000 hommes l’armée française se contente d’éteindre les foyers d’incendie qui éclatent à l’intérieur du territoire. Une mission de police plus que de maintien de la paix. Et des conditions de vie lamentables pour les soldats français sur place comme le rapportent régulièrement des militaires sur place ou des familles de soldats.  De son côté, l'UE ne parvient pas à mobiliser 800 soldats pour lancer véritablement l'opération Eufor-RCA qui compte 150 hommes. Bruxelles est aujourd’hui bien plus préoccupée par la crise ukrainienne. Enfin, l'envoi de casques bleus n'est pas attendu avant le mois de septembre. Une hypothèse optimiste. 

C’est l’état-major français qui a annoncé, mardi, que des militaires français de Sangaris avaient été engagés la veille dans un violent accrochage avec un groupe de rebelles armés. Les militaires français sont parvenus à stopper le groupe de miliciens — fort d'une quarantaine d'hommes et lourdement armés — juste avant qu'il n’entre dans la ville de Boguila, déjà la cible d'une attaque meurtrière de la part de miliciens, identifiés comme appartenant à la Séléka, le 26 avril.

« Ces combats, ont duré plus de trois heures et ont cessé à la tombée de la nuit. Face à l’agressivité de l’adversaire, la force Sangaris a fait usage de son armement lourd, incluant missiles anti-chars et mortiers avec l’appui d’avions de chasse » a fait savoir le ministère de la défense. Difficile de dire avec certitude qui étaient les rebelles qu'ont affronté les militaires français. Le commandement intérimaire de la Séléka nie toute implication de ses milices dans ces attaques, mais n’exclut pas la participation « d’hommes armés assimilés aux ex-Seleka ».

A l’origine, l’opération Sangaris se voulait une opération « coup de poing ». Prolongée une première fois en février 2014 par le Parlement français, c’est désormais une intervention de longue durée qui se dessine. 

La Centrafrique, le risque d'un « hub » djihadiste 

Car la crise centrafricaine peut déstabiliser tous les pays voisins, non seulement le Tchad qui soutient l'intervention des Français en Centrafrique, mais aussi le Mali et le nord du Cameroun. La RCA est « le pays de toutes les frontières ». Ainsi les seize départements du pays ont tous une frontière avec un Etat voisin (Cameroun, Tchad, Soudan, Soudan du Sud, RDC) et les principales ethnies de la région sont également présentes dans ce pays. Une poudrière potentielle qui pourrait contraindre les forces françaises à des années de présence.  

Selon Didier Niewiadowski, la plus grave des menaces reste néanmoins liée à l’irruption des terroristes djihadistes sur la scène africaine : « Le territoire centrafricain peut constituer désormais une nouvelle zone de fertilisation de l’extrémisme religieux. Il pourrait devenir un lieu de convergence approprié, une sorte de hub, pour les musulmans en quête du Djihad. Les adeptes de Boko Haram, sévissant au nord du proche Nigeria, ont déjà trouvé des relais en Centrafrique, avec notamment les commerçants et passeurs de drogue nigérians qui ont ouvert de nouvelles routes passant par Bangui. (…) Les persécutions des musulmans, à partir du 5 décembre 2013, et le rapatriement de milliers de musulmans au Tchad, au Nigeria et au Niger ne laisseront probablement pas insensibles les groupes djihadistes de la région. De manière discrète et dans l’indifférence de l’Occident, notamment de l’Union européenne, le maillon faible de l'Afrique centrale pourrait devenir prochainement le trait d'union du terrorisme islamique africain ».


Ce vaste espace de non-droit au cœur de l’Afrique rappelle à bien des égards l’ancienne Somalie, un autre Etat fantôme à la pointe du djihad mondial dans les années 2000, après une guerre civile qui, avait à l’époque entraîné des déplacements de population massifs, le morcellement du pays, la ruine de l’économie et l’explosion de la piraterie maritime. 

 

La communauté internationale qui avait pris conscience tardivement de la mesure de la crise somalienne, aime à dire que des enseignements ont été tirés de l’exemple somalien pour éviter la reproduction d’un tel enchaînement de désastres humanitaires et politiques. A voir.

 

©Marianne



09/05/2014

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