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Ils ont dis : la véritable nature du conflit centrafricain : guerre civile ou conflit religieux.

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    J’ai demandé un jour à un ami  centrafricain si l’on pouvait considérer la guerre qui ravage notre pays comme un conflit religieux. Il m’a répondu qu’il n’y avait pas de conflit religieux en Centrafrique.

---  Il s’agit donc d’une guerre civile, ai-je suggéré.                                               

---  Pas tout à fait, m’a-t-il répondu.

    J’en ai conclu que pour le moment le conflit centrafricain est une guerre sans nom. Ce sera ma première partie. Une guerre sans nom.  Cette première partie va m’amener naturellement à examiner dans une deuxième partie Les probabilités que ce conflit soit une guerre civile. Je montrerai les limites de ces probabilités. Ces limites me permettront d’aborder, dans une troisième partie, le nœud du problème, l’inconnue qui complique tout : la religion. Cette troisième partie comprendra quatre développements : Les probabilités que le conflit  centrafricain soit une guerre religieuse, les limites de ces probabilités et la critique de ces limites. Le dernier développement me tiendra lieu de conclusion. Il me permettra de définir ou plutôt de tenter de définir le conflit religieux ou guerre sainte.

    Le conflit centrafricain, au fur et à mesure qu’il s’installait dans la durée, s’est complexifié au point de faire perdre leur latin aux observateurs les plus avertis et même aux spécialistes de la RCA.

    D’ordinaire un coup d’Etat est perpétré pour redresser une situation compromise. En Centrafrique, il dérape  le jour même de sa réussite et ajoute une inconnue à son équation : la religion.

    Comment comprendre ce conflit ? S’agit-il d’une guerre civile ou d’un conflit confessionnel ? Telles sont les questions que se posent les observateurs et que nous allons examiner en commençant par citer quelques tenants de l’idée d’une guerre civile.

L’hebdomadaire allemand Die Zeit publie l’article d’une Allemande qui a vécu en Centrafrique avec son père missionnaire. Voici ce qu’elle écrit : <<  Les massacres qui se déroulent depuis décembre n’ont rien à voir avec la religion. La République Centrafricaine affiche toutes les caractéristiques d’un pays sous-développé. La pauvreté y est extrême, les gens n’ont aucune perspective. Il va de soi que cela entraîne le désespoir. >>

    L’iman Kobine Layama  parle, lui, d’une crise militaro-politique et rejette l’idée d’une guerre confessionnelle.

    Mais le rejet le mieux argumenté nous vient de l’abbé Yérima Banga, dans une tribune intitulée : La confessionnalisation de la crise centrafricaine : une manipulation politique et médiatique, tribune publiée le 12 janvier 2014 sur internet. Cet abbé, sur qui je reviendrai un peu plus loin, n’a pas de mots assez durs pour récuser l’idée d’une guerre confessionnelle en RCA. Il faut vraiment, écrit-il, avoir le quotient intellectuel à zéro pour avaler la couleuvre de l’argument  confessionnel. Il vise les médias internationaux qui n’écouteraient pas  suffisamment les médias centrafricains, plus aptes  selon lui, à appréhender les réalités centrafricaines.

    Enfin, on doit compter parmi les tenants de l’idée d’un conflit intercommunautaire le colonel Pierre de Lacan, ancien conseiller militaire de Bokassa : << C’est une guerre civile avec toutes les horreurs  subséquentes. >>

    Je pourrais citer d’autres critiques, d’autres spécialistes, mais il y a en face, dans une posture diamétralement opposée, ceux qui soutiennent l’idée d’un conflit confessionnel en RCA. On va citer entre autres :

---  L’anthropologue  africaniste Jean Loup Amselle sur Arté : << Ce n’est pas du tout  un affrontement ethnique, contrairement à tout ce qui a été dit dans les médias. C’est un affrontement religieux. >>

---  Un musulman centrafricain de la mosquée Babolo cité par le journal Le Monde : << Il faut que les chrétiens acceptent qu’aujourd’hui nous sommes au pouvoir. Quand ils y étaient, nous ne protestions pas. >>

---  International crisis group, rapport du 2 décembre 2013 : << La Séléka s’est disloquée en une multitude de groupes armés qui commettent de nombreuses exactions et provoquent  la réaction des milices d’autodéfense et un conflit confessionnel. >>

--- Le journal allemand Frankfurten Allgemein Zeitung du 14 mars 2014 : << Des rebelles musulmans massacrent des chrétiens et des rebelles chrétiens massacrent des musulmans. >>

    Telles sont les deux positions qui s’affrontent et notamment dans les médias. Le Journal La Croix du 21 novembre 2013, après avoir constaté qu’elles étaient aux antipodes l’une de l’autre, a laissé à l’histoire le soin de trouver un nom au conflit  centrafricain : << Quel que soit le nom que l’histoire retiendra pour le drame centrafricain, l’urgence humanitaire y est extrême. >> Autrement dit, le conflit centrafricain, pour le moment, est un conflit sans nom.

    Tous les observateurs s’accordent sur un point : le caractère exceptionnel et inqualifiable des exactions. Mais alors pourquoi ne parvient-on pas à trouver un nom à ce conflit ? On peut poser la question autrement. Comment donner un nom à des crimes innommables ? Il semble que l’impossibilité de trouver un nom au drame centrafricain soit en rapport avec le chaos qui règne sur le terrain.

    Nous allons tenter d’y voir un peu plus clair en examinant les probabilités que cette guerre soit une guerre civile.

    On ne le répétera jamais assez : les politiques menées en Centrafrique, depuis l’indépendance, ne pouvaient conduire qu’à une situation insurrectionnelle et à la guerre. Le schéma de gouvernance est bien connu : le président travaille avec << ses proches >> : des ministres fils, des ministres nièces, avec un parti et surtout des militants appartenant majoritairement à la même ethnie que lui, avec une garde présidentielle à sa dévotion. Mais sachant que la misère galope dans son pays et qu’il n’est pas à l’abri d’un coup d’Etat, il tribalise au maximum l’armée nationale. Ce schéma, qui érige l’exclusion en mode de gouvernance, a considérablement appauvri le pays. A l’exception des parentèles opportunistes qui se sont succédé au pouvoir, toutes les couches sociales se sont paupérisées.

    Selon une enquête du Centre des Droits Humains (HRD) de l’université de Berkeley au Etats-Unis, enquête qui date de 2009, c’est-à-dire d’avant la crise Séléka, le taux de mortalité mensuelle en RCA était quatre fois plus élevé que dans les autres pays du continent noir : 5 pour mille alors qu’il est de 1,3 pour mille en Afrique  subsaharienne. Ce taux centrafricain est comparable ou plus élevé que celui des pays ou zones en crise comme la RDC ou le Darfour. Chaque année, depuis 1999, la RCA perd 6% de sa population. Cette perte, me diriez-vous, est probablement due aux combats récurrents qui ravageaient le nord et l’est du pays. Selon Patrick Vinck, le chercheur qui a mené l’enquête, << Seul un décès sur cinq est directement lié aux violences. Même dans les zones relativement épargnées par les combats comme le sud du pays, les taux de mortalité sont bien au-dessus du seuil d’urgence aiguë. En fait la majorité des décès sont dus à une pauvreté extrême et une pénurie de centres de soins que les conflits n’ont fait qu’exacerber. >>

   Je vous rappelle que cette enquête date de 2009. Depuis, la Séléka est passée et la situation, logiquement, doit avoir empiré. D’autant qu’en décembre 2011 Médecins Sans Frontière  a réalisé quatre enquêtes qui ont confirmé l’enquête de l’université de Berkeley. Voici le constat de cette ONG : << Les taux de mortalité en Centrafrique sont trois fois plus élevés que le seuil d’urgence qui définit une crise humanitaire. >>

    Ces informations alarmantes qui gagneraient à être divulguées, ces informations qui ont probablement fait croire aux envahisseurs prédateurs que le moment était venu d’envahir la RCA, ces informations ont été purement et simplement passées sous silence. Comme toujours. Comment s’étonner alors que l’extrême pauvreté génère des foyers de tension, des tentatives de coup d’Etat, des mutineries, des rebellions, des coups d’Etat et une guerre civile en 2002-2003 !

    En 2006, c’est une véritable armée issue de la coalition de trois groupes rebelles qui s’emparent de plusieurs villes du nord. L’aviation française interrompt leur progression et sauve le régime Bozizé. Mais l’armée de Djotodja prend le maquis pour continuer la lutte.

    Il y avait donc bien en Centrafrique des guerres intestines entretenues par la pauvreté, des guérillas qui pouvaient dégénérer en guerre civile généralisée.

    Mais ce constat a des limites. J’en ai relevé deux : jusqu’ici, quand un coup d’Etat réussissait, les nouveaux dirigeants s’attelaient à réconcilier les factions, à recoller les morceaux du pays afin de le réconcilier avec lui-même. En Centrafrique, quand les Séléka ont eu vaincu les FACA, ils ont retourné leurs engins de mort contre la population qu’ils étaient prétendument venus libérer. Comme si le fait de conquérir le pouvoir de l’Etat n’était pas leur véritable objectif.

    Le deuxième argument qui milite contre l’idée d’une guerre civile, c’est la coalition elle-même.  Selon le colonel Narkoyo, son ancien porte-parole, elle serait composée de 90% de musulmans dont des Tchadiens et des ressortissants du Darfour, les fameux Janjawids , considérés comme des criminels par les Nations unies. 90 ou 95% de musulmans, peu importe, la Séléka n’était qu’un agrégat de factions. La question qu’on peut se poser c’est comment une armée disparate a-t-elle pu se transformer en une coalition aussi redoutable que la Séléka.

    L’ hypothèse la plus vraisemblable, c’est que la religion a permis à ces factions hétéroclites de transcender leur clivage. On lui a fait jouer, pendant la phase de conquête du territoire centrafricain, un rôle fédérateur au sein de cette coalition. Quand les choses vont commencer à se gâter pour Djotodja, il dira qu’il avait fait jurer ses combattants musulmans sur le Coran qu’ils ne commettraient pas d’exactions. Par cette déclaration, l’ancien président de la transition reconnaissait implicitement qu’il n’était pas sûr de ses hommes et qu’il avait dû, pour les tenir, instrumentaliser le Coran.

     Restons avec l’Islam pour examiner maintenant les probabilités que la crise centrafricaine soit un conflit religieux.

    Je vous rappelle que l’histoire de la RCA, depuis l’indépendance, n’est qu’une succession de crises politiques. Mais la crise Séléka est la seule à propos de laquelle on a évoqué l’idée d’un conflit religieux. De quels arguments dispose-t-on ?       

Premièrement. La lettre adressée par Djotodja  à l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). L’ancien président nie l’avoir écrite. Mais sa dénégation, à un moment où sa coalition faisait l’objet d’une réprobation unanime, n’a convaincu personne.

Deuxièmement. La composition de la Séléka à dominante musulmane.

Troisièmement. Ses pillages et destructions ont ciblé les églises, l’administration et les biens des non-musulmans, épargnant les quartiers musulmans.

Quatrièmement. Les musulmans, du moins certains musulmans de Bangui se sont réjouis ouvertement de la réussite du coup d’Etat : marche pacifique organisée par Nguendet, Djotodja accueilli par des Allah akbar à la mosquée Babolo.

Cinquièmement. Dans certaines villes comme Bossangoa par exemple, la population meurtrie par des exactions sans nom,  s’est réfugiée d’instinct dans les églises et autour. Plus tard les musulmans pourchassés par des Antibalaka chercheront refuge dans les mosquées et même, pour certains, dans les églises.

L’argument linguistique. La plupart des combattants de la Séléka ne parlaient que l’arabe. Tant qu’ils s’étaient contentés de diriger des troupes arabophones, les généraux de la Séléka n’ont eu aucun problème. Mais quand ils se sont arrogé  des postes de responsabilité à la tête des administrations, ils ont immédiatement été confrontés à un problème linguistique : la langue de leur coalition n’était pas celle du pays qu’ils venaient de conquérir. Et donc pour s’adresser aux usagers de certaines administrations, les Soudanais du Darfour qui ne parlaient pas un traître mot de sango ou de français, avaient recours à des interprètes.

Septièmement. L’argument décisif, pour plusieurs raisons, c’est l’attaque du 5 décembre, qui a marqué les esprits et qui constitue un véritable tournant dans le conflit centrafricain.

    Cette attaque a visé Bangui, le sanctuaire des Séléka.

    La capitale centrafricaine attendait alors, sous les feux des caméras, le vote du Conseil de sécurité autorisant le  déploiement des forces françaises en Centrafrique.

    Cette attaque a fait en deux jours, selon Amnesty International : 60 morts musulmans et 1000 morts chrétiens. Ces chiffres ont été largement commentés. Mais ce qui me semble renforcer l’idée d’un conflit confessionnel, ce sont les termes musulmans et chrétiens employés par Amnesty International. Les faits s’étaient déroulés devant les caméras du monde entier, presque en direct : on a tué des gens parce qu’ils étaient musulmans ou chrétiens. Les faits sont incompréhensibles : chrétiens et musulmans qui adorent  le même Dieu se sont entretués. L’idée d’un conflit confessionnel ne sort donc pas de l’imagination d’un observateur mais bien des faits. Nous allons lui trouver des limites.

    Dans la tribune de l’abbé Yérima Banga, ces limites sont les arguments qui établissent de manière irréfutable, selon lui, qu’il n’y a pas de conflit religieux en Centrafrique. Je vous les donne. Ensuite on les soumettra à un contre-argumentaire.

1.      Djotodja a dit lui-même que la victoire de la Séléka n’était pas celle des musulmans.

2.     << Les Antibalaka ne sont pas des chrétiens. Ils portent des amulettes comme les musulmans. >>

3.      L’incident de l’église Saint-Jacques où des imams ont failli se faire lyncher par une foule en colère << n’avait rien à voir avec la religion. >>

4.     Selon l’abbé, << aucun responsable chrétien ne parraine les Antibalaka. >> Du côté des musulmans, écrit-il, il n’y a pas non plus officiellement de signe qui conduirait à un programme défini de lutte confessionnelle.

1.     Quand il est apparu que les musulmans revendiquaient de manière hautaine la victoire de la Séléka, Djotodja a convoqué les imams de Bangui pour leur dire que la victoire de la Séléka n’était pas celle des musulmans. Cette déclaration, une simple clause de style, ne mérite pas qu’on s’y attarde. Les musulmans, pour reprendre le terme de Djotodja, ne vont pas se taire et la Séléka accentuera ses exactions sans provoquer une once de compassion chez l’ancien président.

2.     a << Les Antibalaka ne sont pas des chrétiens. >> C’est fort contestable. Il y a des chrétiens parmi les Antibalaka. Voici ce qu’écrit à leur sujet le journal La Croix du 21 novembre 2013 : << Des milices composées de jeunes gens de confession chrétienne se sont déjà attaqués aux rebelles de la Séléka et aux populations musulmanes autant par punition que par prévention. >>

   Je vais revenir brièvement au conflit pour montrer les embarras du clergé centrafricain et ajouter que ces embarras sont pratiquement de même nature que ceux que les chrétiens du cinquième siècle après Jésus Christ avaient éprouvés. Mais comme dirait Léon Odoudou, Comparaison n’est pas raison.    

    Tant que les Séléka avaient le monopole de la violence, leurs victimes désignées par tous les observateurs, c’étaient les chrétiens. Mais dès que les Antibalaka ont commencé à exercer des représailles, les leaders chrétiens les ont condamnés sans atermoyer, dans un premier temps, avant de chercher, par tous les moyens, à se démarquer d’eux. L’archevêque Nzapalainga propose qu’on les appelle << milice d’auto-défense.

     Pour comprendre la position des leaders chrétiens, il faut savoir que, des trois religions monothéistes, celle qui condamne formellement la violence, c’est le christianisme. Rappelez-vous les paroles de Jésus : << Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis. >> alors que son pays, la Judée, était occupé par les Romains. Ce message d’amour reste le message fondateur du christianisme.

   Après la mort de Jésus et la persécution de ses fidèles, les chrétiens réussissent, grâce à deux empereurs romains, Constantin et Théodose, à construire un empire, leur empire qui, théoriquement, contient des non-violents, selon les préceptes du Christ.

    Mais au 5ème siècle, cet empire est attaqué par des Barbares, qui cherchent à s’en emparer. Que doivent faire les chrétiens ? Défendre leur empire ou se laisser massacrer. A l’époque vivait Augustin, un évêque africain qui va devenir une des plus grandes autorités patristiques de l’Eglise catholique. On le consulte. Les chrétiens doivent-ils se battre ou se laisser massacrer. Augustin rassure ses coreligionnaires en leur répondant que Dieu ne rejette pas les soldats. Il cite pour les convaincre ce qu’il appelle << les guerres de l’Eternel >>.

   Donc quatre siècles après la mort de Jésus, les chrétiens, théoriquement des non-violents, étaient déjà confrontés au problème de la violence.   

2.b. << Ils ( les Antibalaka ) portent des amulettes comme des musulmans. >> Cet argument est un véritable bâton que l’abbé tend à des éventuels contradicteurs pour se faire battre. C’est vrai que les musulmans portent des talismans. Mais ils ne sont pas les seuls parmi les adeptes des grandes religions à visée universaliste : les Juifs, les Chrétiens aussi les portent.

     Dans la religion musulmane, le port des talismans remonte à l’époque de Mahomet. Le prophète lui-même était contre. C’est une partie de ses disciples qui autorisait le port des amulettes confectionnées avec des versets du Coran. Cette pratique est prohibée par l’Islam orthodoxe, mais elle est restée dans certains milieux musulmans, probablement parce qu’elle existait avant l’Islam, en Arabie, chez les Juifs, dans le Judaïsme.

    La première religion monothéiste a très vite utilisé les talismans qu’elle appelle téfilins. Comme les musulmans, les rabbins utilisent, pour confectionner leurs amulettes, les versets de la Torah. Cette pratique du Judaïsme rabbinique s’appuie sur un verset biblique ( Exode, ch.13-9 ) et n’a pas disparu en Israël. Pendant l’élection de 1996, les militants du parti Shas, un parti religieux dirigé par Ovadiah Yosef, distribuaient non pas des tracts mais des amulettes bénies par un autre rabbin, le mystique Kadoorie.

    Il reste le Christianisme, la deuxième religion monothéiste après le Judaïsme.

    Tous ceux qui ont regardé, à la télévision, la canonisation des papes Jean XXIII et Jean Paul II ont remarqué, parmi les objets de culte, les reliques de ces deux papes.

    Dans le christianisme, du moins dans sa partie catholique, le développement au Moyen Âge du culte des reliques et des images qu’on appelle autrement des talismans chrétiens, s’accompagne d’une violente querelle théologique entre ses partisans et ses détracteurs.

    Il faudra deux conciles pour arrêter la controverse. Le deuxième, celui de Trente, en 1563 confirme le culte des saints, des reliques et des images pour que le Seigneur accorde des bienfaits

     Donc ces objets auxquels on prête des pouvoirs magiques se retrouvent  dans toutes les grandes religions et ne sont pas spécifiques aux animistes. On peut même dire que les talismans sont des objets de culte animistes que les autres religions ont adoptés.

3. Nous en arrivons maintenant à l’incident de l’église saint Jacques où des imams venus célébrer la réconciliation avec l’archevêque de Bangui ont failli se faire lyncher par une foule assoiffée de vengeance. L’abbé soutient que cet incident milite contre l’idée d’un conflit confessionnel, que si cette foule avait été chrétienne, elle aurait obéi à l’archevêque, en acceptant le principe d’une réconciliation. Je pense qu’il a tort. Dans mon intervention de décembre, j’avais dit que les Centrafricains étaient majoritairement  animistes mais qu’ils se revendiquaient chrétiens ou musulmans. Très peu de gens en Centrafrique se disent ouvertement animistes, l’animisme étant synonyme de sorcellerie, de magie noire et magie blanche. Et puis la Séléka ne s’est pas acharnée sur les lieux de cultes animistes qui n’existent pas, mais bien sur les institutions catholiques : profanation des édifices et objets religieux, perturbation des offices, agression physique de l’archevêque de Bambari…Autant d’actes sacrilèges qui, ajoutés aux assassinats et aux massacres impunis, ont exacerbé le sentiment de vengeance du camp chrétien.

4. Le dernier argument, celui qui récuse avec force l’idée d’un conflit confessionnel, c’est selon l’abbé Yérima Banga qu’aucun responsable religieux chrétien ne parraine les Antibalaka. Ce qui est vrai. Mais ce qui  l’est moins ou plutôt ce qui est discutable, c’est ce qu’il ajoute à propos de la Séléka : << Il n’y a pas non plus officiellement de signe qui conclurait à un programme défini de lutte confessionnelle. >>

         Il me semble que l’adverbe officiellement fait allusion à la lettre que Djotodja a envoyée à l’Organisation de la Conférence Islamique. Cette lettre était censée rester secrète. Car son objet, la création d’un Etat islamique en Afrique centrale, est un pari risqué qu’on ne saurait crier sur les toits.

      L’adverbe officiellement fait aussi allusion au séjour de Djotodja au Soudan, un Etat voyou, repaire des islamistes, selon les Américains. L’ancien leader de la Séléka a-t-il pris langue avec les islamistes au Soudan ? On ne le saura peut-être jamais.

    Il reste que dans le Coran, à côté des versets pacifistes, il y a des versets bellicistes qu’on peut instrumentaliser. Pour les extrémistes, la sourate 9 verset 14 préconise un jihad  permanent  contre les non-musulmans. Un invité présent dans la salle, me dira, après l’exposé, que ce verset est très discuté, qu’il ne s’adresse qu’à ceux qui nourrissent de sombres projets contre les musulmans. Dont acte.

    L’idée d’un conflit religieux sort renforcée de ce contre- argumentaire. Nous allons, pour terminer, nous intéresser à ce concept de conflit religieux qui pose problème. Qu’est-ce qu’une guerre sainte ? Qui a inventé ce genre de conflit ?

     Au 5ème siècle, les chrétiens qui ont reçu d’Augustin l’assurance qu’en prenant les armes ils ne déplairaient pas à Dieu, lui ont demandé, s’ils pouvaient considérer leur guerre contre les Barbares comme une guerre sainte. L’évêque d’Hippone leur a répondu non. Une guerre sainte est une guerre décrétée par Dieu et par Lui seul, dans le cadre d’une théocratie. La guerre des chrétiens contre les Barbares est une guerre juste, une guerre légitime. En fait une guerre pour défendre l’Eglise.

    Dans sa définition de guerre sainte, Augustin fait directement référence à la conquête de Canaan par les Hébreux, qui sont considérés sinon comme les inventeurs, du moins les théoriciens de ce genre de conflit. La campagne de Canaan, on le sait, est une guerre éclair menée par les Hébreux qui sortaient d’une longue errance dans le désert et qui théoriquement n’avaient aucune chance de l’emporter sur les armées cananéennes, plus aguerries et mieux équipées.

     Ils l’emportèrent non pas parce qu’ils avaient un grand général en la personne de Josué, mais parce que Yaveh, leur Dieu, était intervenu dans la bataille à Jéricho, Gabaon et Haçor.

    Cette guerre a une autre spécificité, la pratique de l’anathème. La prise de Jéricho sera suivie du massacre de tous ses habitants et même de son bétail. Plusieurs villes situées sur le territoire de la terre promise subiront ce sacrifice destiné à remercier Yahveh. Mais pour quelle raison ? Nous retrouvons ici l’enjeu de la bataille, Canaan, la terre promise.

    Ce qui semble capital dans cette campagne, ce n’est pas son habillage idéologique. C’est son enjeu. Et qu’est-ce qu’on retrouve derrière l’enjeu ? Des préoccupations terre-à-terre : un peuple de nomades qui se cherche une terre. Je me suis bien éloigné de la Centrafrique.

    Je reviens à sa crise pour affirmer qu’il n’y a pas de conflit religieux sans enjeu, surtout pour ceux qui en prennent l’initiative. Je ne vois pas comment  ni pourquoi de simples mortels pourraient se battre pour le Tout-Puissant, l’Omniscient.

    L’objectif du premier grand conflit des Hébreux était Canaan, une terre où coulent le lait et le miel. Ces caractéristiques de la terre promise ne vous rappellent-elles pas, chers amis, un pays au cœur du continent noir, un pays de forêts où coulent des rivières d’or et de diamant ?

 

Forum de Reims, le 03 mai 2014

GBANDI Anatole

 

P.S. Le Groupe de Reims est un groupe de réflexion sur la crise centrafricaine.


20/05/2014

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