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En Centrafrique : REGIME DE LA TRANSITION TOUS LES CHATS SONT GRIS

[ Par  Alain LAMESSI|Mis à jour|17/06/2014]

 

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Il est parfois tentant de recourir à la notion d’anomie au sens d’Emile Durkheim, fondateur de la sociologie moderne, pour qualifier la situation actuelle de la République centrafricaine. Le faire serait une erreur car pour parler d’anomie il faut quelques conditions : une carence totale des règles sociales dans un Etat entraînant de facto une désintégration des normes sociales, la perte des valeurs morales, religieuses et civiques, le manque de régulations, le désordre social, etc. Tout cela provoque l’augmentation du taux de suicide. Dans le cas précis de la République centrafricaine, il vaut mieux parler de chaos ou d’anarchie que d’anomie parce qu’il y a un manque manifeste d’autorité et de commandement. L’Etat existe mais il est faible. Les lois sont promulguées mais ne sont pas appliquées. La justice fonctionne mais n’arrête pas les présumés coupables connus et reconnus. L’administration administre mais n’est pas performante. Les valeurs morales traditionnelles et religieuses sont transmises mais elles sont galvaudées. Les Ministres refusent par exemple de répondre aux questions orales du CNT mais ne sont pas démis de leur fonction. Dans un régime précédent, des Ministres narguaient ostensiblement le Premier Ministre. Les fonctionnaires viennent au travail et repartent selon leur bon vouloir. Les soldats refusent d’obtempérer aux ordres des supérieurs. Les criminels sont arrêtés, on va les libérer de la prison malgré les arrêts de la justice, etc. Tout le monde décrédibilise tout le monde.
Par manque de rigueur intellectuelle on a magistralement sous-estimé la complexité de la crise centrafricaine. Une fois de plus on a fait un mauvais diagnostic et proposer une fausse solution à un vrai problème. On a pensé qu’il suffisait de virer l’usurpateur en chef du pouvoir, Mr Michel Djotodia et accessoirement Maître Nicolas Tiangaye pour ramener la paix. On a seulement oublié un détail : un serpent venimeux à qui on n’a pas coupé la tête peut donner la mort à tout moment. C’est cette vérité que démontrent à suffisance les Anti-balakas : pas seulement ces exaltés bardés de gris-gris ou ces désœuvrés dopés par quelques produits hallucinogènes et qui piaffent d’impatience de jouer un rôle actif dans la société mais tous ces professionnels de la guerre en mal de revanche. Nous y reviendrons. Pire on a pensé que l’élection d’une dame, la très respectable Catherine Samba-Panza, pouvait par quelle magie, amener la paix et la sécurité à l’aide des incantations de bonne fée.  De grâce, nous nous sommes trompés collectivement. Une fois, deux fois et trois fois, nous nous sommes mis le doigt dans l’œil : Maintenant, ne faisons de cette dame le bouc-émissaire de tous nos errements. En toute responsabilité, assumons donc !


UN PEU DE VIRILITÉ NE FERA PAS DU MAL AU PAYS


Le partage du pouvoir entre la Séléka et les partis politiques avec la société civile visait à rétablir et à consolider la paix après le désastre national occasionné par la Séléka. L’idée des Accords de Libreville était de cadrer les acteurs pour empêcher la domination d’une partie sur l’autre au détriment de la sécurité. On a eu beau tailler le principe de l’inamovibilité du Premier Ministre à la mesure de Maître Nicolas Tiangaye, la non exécution de cette disposition a précipité l’agonie des Accords de Libreville. La rectification de Ndjamena voulait donner un nouveau souffle à la transition. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce nouveau souffle tarde à venir. Entre-temps les Anti-balakas se sont imposés dans la danse avec une agressivité sans commune mesure.
A la vérité, cette transition n’aura été bonne pour personne. Elle aurait pu l’être si elle était apaisée, si les protagonistes étaient rentrés dans les rangs, si les armes s’étaient tues, si un minimum de sécurité était instauré. Bien au contraire elle est apparue, au fil des jours, plus criminogène que jamais et surtout comme une grande dévoreuse des hommes politiques. Elle révèle à tout le moins les faiblesses des uns et des autres. Ses vertus anesthésiantes ont fini par endormir la claire conscience des objectifs pourtant prévus dans les différentes feuilles de route ainsi que les bonnes initiatives à prendre pour faire face aux urgences du moment.
Assumer un rôle de premier plan pendant cette période cruciale n’est pas chose facile. En tout cas, c’est accepter à son corps défendant d’emprunter le chemin de la croix  avec au bout la mort politique. Ce doit être le prix à payer pour retrouver le chemin de la paix dans un pays qui ploie sous le poids de la haine. Hier Michel Djotodia et Maître Nicolas Tiangaye en ont fait les frais, cloués au pilori qu’ils étaient à cause des impatiences bien compréhensibles d’une opinion publique devenue vindicative. Le prix payé était leur démission précipitée et rocambolesque dans un pays étranger. Du jamais vu ! Certes cette démission n’a strictement rien réglé quant au fond du problème.
Le moins qu’on puisse dire aujourd’hui, c’est que Madame Catherine Samba-Panza, Chef d’Etat de transition et le Premier Ministre André Nzapayéké, quoiqu’ils fassent et quoiqu’ils disent, auront tout le mal du monde à échapper à une impopularité annoncée car le banc des procureurs de la rue est bien garni. En effet, ils sont légions tous les procureurs de la rue dont les jugements sont toujours définitifs, sans appel et sans défense. Les critiques invariablement acerbes et volontairement caustiques de l’action, plutôt de la non action ou disons-le simplement, de l’inaction de l’exécutif pleuvent à grosses gouttes. La virulence des propos modérément sensés de tous ces « Docteurs ès gouvernement » force les Ministres, les Magistrats, les Généraux et même les conseillers du CNT à raser les murs pour ne pas devenir des pushing-balls à temps complet.
La République centrafricaine serait-elle devenue un pays des extrémistes ? L’extrémisme n’est pas seulement sur le terrain militaro-rebelle où l’on tue pour un oui ou pour un non, où l’on égorge tantôt des musulmans, tantôt des chrétiens pour assouvir de sordides passions que rien ni personne ne peut dompter, où l’on lance des grenades dans des places mortuaires pour décimer la population, où l’on rentre dans des églises pour exécuter de sang froid hommes, femmes, enfants et même des prêtres, où l’on détruit des mosquées. L’extrémisme se voit aussi dans cette violence qui dégouline dans chaque phrase dans les médias ou autres réseaux sociaux. Des hommes politiques et les leaders d’opinions sont vilipendés et deviennent ainsi des souffre-douleurs à cause des montagnes de frustrations accumulées depuis des lustres. Ils sont systématiquement écrabouillés par le rouleau compresseur de toutes ces  prises de positions tout aussi intempestives que caricaturales. Ils sont frappés de plein fouet par l’ouragan d’un populisme bon marché qui balaie tout sur son passage. La perte en sera forcément lourde pour ceux qui louvoient encore parce que ne voulant pas prendre le risque de se dévoiler.
Que l’on veuille ou non la confiance de la jeunesse centrafricaine sera désormais très chèrement vendue. Cela augure, à n’en point douter, des échéances électorales qui seront âprement disputées, pied à pied, coude à coude car cette nouvelle génération plutôt majoritaire, qui n’hésite même plus à défiler en tenue d’Adam dans les rues de Bangui pour exprimer sa colère et sa rancœur, ne se laissera pas démonter. Ce n’est plus le « Femmen » née en Russie, c’est le « Hommen » à la centrafricaine. Gageons que nous sommes le premier pays au monde à instaurer cette nouvelle forme de lutte. Personnellement, ce n’est pas ma tasse de thé !


LA TRANSITION PEUT ENCORE MIEUX FAIRE


Toute l’attention doit être focalisée sur le désarmement de ces forcenés qui continuent d’écumer les villes, les quartiers, les villages et les rues en semant la mort au passage. La pacification du pays, l’instauration de la sécurité et la reprise des activités économiques sont de l’ordre de la priorité des priorités. Mais seulement voilà : être au pouvoir sans avoir le pouvoir, être au pouvoir sans moyens financiers, être au pouvoir sans forces de défense et de sécurité, ce n’est pas être au pouvoir. Conscient de cette évidence, je ne jetterai pas la première pierre.
Néanmoins, force est de reconnaître que les conditions de vie du peuple centrafricain devient dramatiquement intenable. Si on en est arrivé là, ce n’est certainement pas par hasard. Le point faible de l’exécutif qui saute à l’œil d’emblée, c’est sa propension à courir après les évènements et non à les anticiper. Cela entraîne une deuxième faiblesse : Ménager la chèvre et les choux. A vouloir plaire à tout le monde, on ne plaît à personne.
En période de crise, les attentistes ont toujours tort. Malheureusement cela semble être la marque de fabrique aussi bien de bon nombre d’hommes politiques que de certains membres du Gouvernement qui ont fait le choix de ne pas choisir, de ne pas agir, de ne pas décider, de ne même pas penser. C’est cet immobilisme qui tue. Il accule jusqu’au dernier retranchement : Pas de risque, pas d’initiative, pas de décision même pas de parole : motus et bouche cousue. Pourvu que cela ne débouche pas sur de l’autisme politique qui est l’enfermement sur soi.
Le contexte de délabrement généralisé aurait pu être l’occasion pour les uns et les autres de briller. Mais la roue de l’histoire semble s’être arrêtée de tourner à cause de la nature même du régime de transition qui est un régime fantoche. C’est un régime de pacotille comme ces jouets « Made in Nigéria» qu’on achète aux enfants le matin et qui sont déjà cassés avant midi. La transition, c’est la mise entre parenthèses du destin du peuple. C’est le règne du simulacre et de faux-semblant. Personne ne veut prendre de responsabilité convaincue que l’après transition est plus porteur d’opportunités.
Il y en a qui ont néanmoins choisi de se spécialiser dans l’évacuation des affaires courantes. On ne rentre pas dans l’histoire en évacuant les affaires courantes. On rentre dans l’histoire en faisant ce que les autres n’osent faire ou ne peuvent faire. Pour rentrer dans l’histoire, il faut avoir des couilles: dit trivialement. Peuvent-ils faire autrement ? Rien n’est moins sûr.
Deux arguments atténuent la portée des propos avancés ci-haut : tout d’abord les membres du Gouvernement n’ont jamais reçu le moindre cadrage, ni une quelconque lettre de mission. Y a-t-il seulement des conseils de ministres, des conseils de cabinet, des réunions interministérielles ? C’est le pilotage à vue qui prévaut. Forcément, il est difficile d’obtenir des résultats conséquents si des objectifs n’ont pas été fixés au préalable et des moyens d’action mobilisés, s’il n’y a pas cohésion et cohérence de l’action gouvernementale. Enfin, comment évaluer l’action entreprise, s’il n’y a pas d’indicateurs connus des acteurs ainsi que des échéances fixées? Il n’est jamais bon de ne pas savoir où l’on va.
Le deuxième argument est tout aussi sérieux. Les membres du Gouvernement ne sont pas des matamores. Ils vivent, comme tout le monde, sous le règne implacable de la terreur qu’inspirent ces hordes de l’enfer qui essaiment tous les quartiers de la ville. Comment peut-il en être autrement lorsqu’il n’y a pas le moindre officier subalterne des FACA pour les protéger.
Tant pis si le clair-obscur qui prévaut dans cette période de transition n’est pas une situation idéale. Elle est comme la nuit où tous les chats sont gris. Il faut pourtant y passer avec l’espoir que ce sera la dernière fois. Nous serons bien inspirés de ne pas changer de transition une troisième fois. Deux fois: cela suffit. Nous ne sommes pas si crétins que ça!
Que Dieu bénisse la République centrafricaine !!!

 

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Alain LAMESSI



18/06/2014

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