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En Centrafrique, c'était «le trou noir de l'information»

 [ Par  Christophe Paget |Mis à jour| 9 septembre 2014]

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Visa pour l’image, le festival international de photojournalisme réserve cette année une large place à la Centrafrique : pas moins de trois expositions de trois photographes différents sont en effet consacrées au pays. Christophe Paget, a rencontré Michaël Zumstein, qui effectue des reportages photo en Afrique depuis de nombreuses années, et qui s’est rendu en RCA en septembre 2013.

RFI : Sur deux de vos photos on voit un jeune garçon et une jeune fille sourire largement, on sent qu’ils sont heureux et en fait ce sont des sourires de haine ?

C’était une période extrêmement étrange où les musulmans de la ville finissaient d’être chassés. Et immédiatement après qu’ils aient quitté la ville, les populations civiles chrétiennes partaient sur les biens des musulmans, que ce soit les maisons ou les mosquées. Et en effet sur deux images on voit des jeunes filles et des jeunes gens heureux de piller. C’est un peu l’image de la Centrafrique que j’ai retenue, il y avait énormément de haine et en même temps il y avait des gens qui s’en réjouissait. Cela montre à quel point le pays est aujourd’hui divisé.

Vous étiez là-bas quand Bangui a été attaquée par les anti-balaka, le 5 décembre. Comment s’est passée cette journée pour vous qui deviez prendre des photos ?

Dans un premier temps c’était une grande confusion, on ne savait pas qui attaquait. Très très vite on a reçu les informations de la population civile, et on a compris que les anti-balaka attaquaient la ville. Et surtout peu de temps après, dans l’après-midi, on a compris qu’il y avait une sévère répression de militaires Seleka, qui s’en sont pris à la population chrétienne et évidemment aux miliciens anti-balaka qui avaient attaqué la ville. Il faut savoir que la Centrafrique c’était quand même un trou noir dans l’information l’année dernière, personne ne savait ce qui se passait. Moi-même j’avais été dans tous les pays limitrophes, pendant les 20 dernières années de ma carrière de journaliste, mais jamais en Centrafrique. Mais les deux camps, que ce soit du côté de la Seleka ou des anti-balaka, nous laissaient travailler. Ils avaient besoin même des journalistes, ils avaient des revendications à faire passer, c’est à ce moment là qu’il faut faire attention en effet à ne pas être manipulé.

Je reviens à ma question, comment s’est passée la journée de l’attaque, précisément, qu’est-ce que vous avez fait en tant que photographe ?

La première chose c’était de pouvoir se déplacer dans la ville de Bangui, puisqu’il n’y avait plus de véhicules. On est monté dans un véhicule qui amenait des blessés à l’hôpital, on est montés à l’arrière du pick-up et en arrivant on a pu mesurer l’ampleur de l’attaque et surtout de la répression, puisqu’il y avait déjà des dizaines de corps qui arrivaient au fur et à mesure dans la morgue de l’hôpital. Et ensuite petit à petit on a élargi notre cercle de recherche pour aller voir ce qui se passait dans les quartiers chrétiens, dans les quartiers musulmans. Et là, on s’est aperçu que c’était une journée sanglante, mais que c’était surtout le début d’un cycle de violence, de vengeance, et de représailles.

Par rapport à la violence dans les photos, elle est bien présente mais pas forcément avec des personnes blessées. Il y a ces images d’abandon, par exemple cette vieille femme recroquevillée sur elle-même dans sa maison. Comment vous avez rencontré cette femme ?

En Centrafrique, les structures de l’Etat se sont effondrées il y a maintenant plus de 20 ans. Il n’y a plus d’armée pour protéger les populations, il n’y a évidemment personne à appeler en cas de danger. Sur cette image on est arrivé avec le journaliste dans un village qui était complètement abandonné et on a vu un tout petit peu de fumée qui s’échappait d’une petite hutte. On est rentré et on a vu une femme complètement isolée, on a compris en la questionnant qu’elle n’avait plus la force de fuir. Ses voisins, sa famille l’avaient abandonnée, on abandonnait les personnes qui n’étaient pas capables de marcher. On a trouvé une femme aveugle et complètement prostrée dans sa maison. On a tout fait évidemment pour pouvoir l’évacuer et l’amener à l’hôpital de Médecins sans frontières.

Il y a une image qui est particulièrement forte, là encore c’est de la violence indirecte. Deux enfants sur une paillasse, il y en a un qui est très jeune et qui a un énorme bandage autour de la tête et ils sont tous les deux reliés à des gouttes à gouttes qui paraissent gigantesques à côté d’eux.

Les premiers mois il y avait une guerre de l’information, des systèmes d’intimidation. S’attaquer aux enfants c’était aussi une façon d’intimider l’ennemi. Ce qu’on voit sur cette image c’est en effet deux petits enfants peuls qui ont été pris à parti par des milices anti-balaka. Qui n’ont pas été tués mais qui ont été blessés volontairement pour faire peur aux populations musulmanes, afin qu’elles fuient le pays. C’est le début des grands exodes des musulmans de Centrafrique.

Comment s’est passé votre rapport à la population dans cette ambiance de guerre civile ?

En septembre 2013 il n’y avait pas beaucoup de journalistes, les populations avaient besoin de témoigner, de dire leur souffrance, en espérant évidemment que les choses changent. Nous on a fait notre travail de journalistes très tôt. On est arrivés en septembre, on a alerté, on a informé pour que les massacres cessent. Ça n’a pas cessé. Aujourd’hui, il y a 12 000 hommes de l’ONU qui vont se déployer en Centrafrique. On espère qu’il va y avoir un changement et que ces populations civiles, qui souffrent maintenant depuis pratiquement plus d’un an, vont enfin pouvoir se mettre à l’abri et essayer d’avoir une vie meilleure.

Il y a beaucoup d’armes dans ces photos mais la plus surprenante c’est celle d’une recrue Séléka avec fusil en bois ?

Quelques semaines après le 5 décembre, on a pu élargir notre façon de travailler et aller à Berengo, où se trouve l’ancien palais de Bokassa. On a retrouvé des jeunes qui attendaient là d’être enrôlés dans une armée régulière, qui bien sûr n’existe plus depuis très longtemps. On est arrivé, ils se sont mis au garde-à-vous pensant qu’on était des mercenaires. Et finalement on s’est aperçu que ces jeunes-là erraient dans le palais et un peu à l’image du pays, ils attendaient des jours meilleurs. Finalement, tous ces jeunes de Centrafrique ont été déscolarisés très tôt, suite aux différents coups d’Etat, ils n’ont plus que l’armée comme seul espoir. Peu importe d’ailleurs dans quel coin ils vont se battre, c’est la seule marque d’identité valable aujourd’hui en Centrafrique, la force et la guerre.

© RFI



09/09/2014

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