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Centrafrique : une crise profonde dont Paris veut s’extraire

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 [ Par  Cyril Bensimon |Mis à jour|25 mai 2015 ]

L’obtention d’un accord est un art qui ne se fonde sur aucune règle établie. « Tu vas signer au nom de toutes les mamans centrafricaines », intime la ministre de la défense au représentant d’un groupe armé. Le jeune homme, Souleymane Daouda, rechigne, comme les autres délégués de l’ex-Séléka, la rébellion qui avait tenu les rênes du pouvoir à Bangui entre mars 2013 et janvier 2014. Le ton de Marie-Noëlle Koyara se fait alors plus sévère. « Je suis ta maman, il faut signer », insiste Mme la ministre. Dans la petite salle 207 de l’Assemblée nationale où sont réunis, ce dimanche 10 mai, les représentants d’une dizaine de groupes armés et les diplomates les plus influents dans le pays, le milicien grondé comme un écolier s’exécute. Assis autour de la table, les autres récalcitrants font de même. Les diplomates sont soulagés. « Historique », le mot est lâché sans réserve.

 

L’enjeu de cette signature est l’engagement des groupes armés dans un processus de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement (DDRR) de leurs combattants. Depuis plus de dix ans, tous les processus du même genre qui ont été menés en RCA se sont soldés par des échecs. Cette nouvelle promesse de paix sera-t-elle la bonne ? Epuisée par plus de deux ans de guerre civile qui a pris progressivement le masque d’un conflit interconfessionnel, opposant chrétiens et musulmans, l’immense majorité des Centrafricains l’espère de ses vœux. Mais bon nombre de chefs de guerre issus des différentes factions de l’ex-Séléka ou des anti-Balaka, les deux coalitions qui se sont déchirées et ont plongé ce pays d’Afrique centrale dans l’abîme, n’ont pas tardé à faire entendre leur colère.

« Qu’on vienne me prendre mes armes », menace un « général » de l’ex-Séléka tout près d’en venir aux mains avec son représentant politique, aussitôt après que ce dernier a apposé sa signature sur l’accord de « DDRR ». « Nos revendications n’ont pas été entendues, ce n’est pas une paix durable que l’on prépare », assène le « général » Zoundeïko, le chef militaire de l’une des factions de l’ex-rébellion qui tient encore tout le nord-est de la RCA. Depuis son exil au Kenya, l’ancien chef de l’Etat, Michel Djotodia, qui dirige une autre branche de l’ex-Séléka, a congédié son représentant à Bangui. « Il avait des instructions précises pour ne pas signer ce document qui ne reflète pas nos attentes », maugrée l’éphémère président de transition, dont l’influence sur des officiers qui disposent sur le terrain d’une grande autonomie est très relative.

Nouvelle poussée de fièvre

Le lendemain de cette signature contestée, la capitale centrafricaine a connu une nouvelle poussée de fièvre. Fait nouveau, les ennemis d’hier, ex-Séléka et anti-Balaka, ont fait entendre de concert leur mécontentement. Les deux groupes demandaient notamment la libération de leurs camarades « arbitrairement emprisonnés » ou « une meilleure prise en charge de leurs combattants ».

Mais, comme l’indique Sébastien Wénézoui, l’un des principaux responsables anti-Balaka, « la véritable raison » de cet accès de colère tient en une contradiction : « On nous demande dans cet accord d’arrêter la lutte armée pour nous engager dans la lutte politique mais, dans le rapport de synthèse du forum de Banguiqui s’est tenu du 4 au 11 mai –, il nous est interdit de nous présenter aux élections. » Cette ambiguïté sur l’avenir des principaux fauteurs de guerre, conjuguée au manque de moyens financiers pour mener à bien le DDRR, laisse planer des doutes sur la viabilité du processus engagé.

La France, qui espère retirer rapidement la majeure partie de ses 1 700 soldats encore déployés sur place, demeure en première ligne dans le règlement de la crise centrafricaine. L’opération « Sangaris » voulue comme une opération « coup de poing » s’est installée dans la durée. Son coût est estimé environ 800 000 euros par jours et les militaires français n’ont plus d’autres adversaires désignés que des « hors-la-loi » et les « ennemis de la paix ». Notamment pour des raisons financières, la volonté de Paris est donc d’organiser au plus vite des élections permettant de tourner la page d’une transition entamée par M. Djotodia en mars 2013 et poursuivie depuis janvier 2014 par Catherine Samba-Panza, qui doit être reçue cette semaine à l’Elysée. « Un gouvernement élu, c’est la condition pour que les bailleurs offrent des facilités de crédit à moyen et long terme », assure un diplomate français.

Scrutins organisés « au mieux début 2016 »

Déjà reportées à plusieurs reprises, ces élections présidentielle et législatives ne se tiendront pas à l’été. Et si Paris fait de leur organisation avant la fin de l’année 2015 une ligne rouge, plusieurs observateurs avertis à Bangui considèrent que les scrutins destinés à ramener la RCA dans la légalité constitutionnelle se feront « au mieux début 2016 ». Alors que l’Union européenne est pressée de mettre la main au portefeuille pour financer ces scrutins, une source au sein de l’UE résume son dilemme : « Avec ces élections, il y a deux écueils, la précipitation et l’enlisement. »

 

Si plusieurs acteurs dans les différentes institutions qui composent la transition, ainsi que des chefs de guerre, jouent indéniablement la montre en vue de maintenir leur influence ou leurs prébendes, la tenue d’un vote incontestable tant que les armes n’auront pas été déposées apparaît irréaliste. Au Mali, la France a fait le pari d’une intervention militaire forte, suivie d’une élection rapprochée. Le même modèle, qui connaît ses limites dans le Sahel, semble être appliqué à la RCA où l’Etat s’est totalement désintégré. « Avant de se focaliser uniquement sur des élections qui ne régleront rien, considère un diplomate installé de longue date à Bangui, il serait temps de se concentrer sur l’essentiel : la construction de routes, d’écoles, d’administrations. »

 

©Le Monde



25/05/2015

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