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Centrafrique: les soldats fantômes du palais de Bokassa

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[La rédaction|Mis à jour| 30 mai 2015 ] 

L'empereur Bokassa se prélassait dans ce palais de Berengo d'où il dirigea son éphémère empire (1976-1979): aujourd'hui, une centaine d'anciens rebelles Séléka à qui on avait promis une intégration dans l'armée y vivent un calvaire, désoeuvrés et tenaillés par la faim.

"On serre les dents", affirme Patrick Betty Singa. Depuis près de deux ans, lui et ses compagnons attendent dans l'ancien palais en ruines transformé en caserne d'infortune à une cinquantaine de km au sud de Bangui. 

La plupart de ces hommes sont d'anciens rebelles Séléka, qui avaient renversé le président François Bozizé et pris le pouvoir à Bangui en mars 2013 avant d'en être chassé en janvier 2014 alors que le pays sombrait dans le chaos des violences inter-religieuses. 

Aujourd'hui, faute de vêtements, Patrick porte une chemisette orange découpée au niveau des bras à l'effigie de celui qu'il a combattu (Bozizé). 

"J'ai rejoint la Séléka lors de l'offensive. J'ai combattu et participé à la prise de Bangui. Nous venons de partout dans le pays: de Ndelé, Paoua, Sibut, Kaga Bandoro", explique-t-il. Les hommes présents à Berengo sont des chrétiens et non des musulmans, contrairement à la majorité de la rébellion. Ils ont intégré la Séléka au fur et mesure de son avancée sur Bangui.

- Statue de Bokassa - 

Au pouvoir, la Séléka avait recruté des hommes à tour de bras pour construire la nouvelle armée centrafricaine. Rien qu'au mois d'avril 2013, elle enregistrait plus de 1.300 nouveaux venus à Bangui. 

"On embauche ces jeunes pour éviter qu'ils ne deviennent des bandits et des voleurs. Mais, à la différence du régime de François Bozizé, nous accueillons tout le monde, quel que soit l'ethnie ou la religion", affirmait alors à l'AFP un des recruteurs, le colonel Oumar Bordas. 

La poignée d'hommes qui sont à Berengo ont reçu une formation militaire et assurent que les différents régimes successifs depuis le début de la crise leur ont promis de les intégrer dans l'armée. 

"Nous ne sommes plus des rebelles. Il n'y a plus de Séléka, nous sommes des FACA" (Forces armées centrafricaines), déclare solennellement Patrick, en frappant du poing contre son coeur. 

Mais ces hommes ont été oubliés, à la fois par leurs anciens compagnons d'armes qui ont fui et par le pouvoir de transition qui n'a, semble-t-il, ni les moyens ni la volonté de les intégrer dans l'armée alors qu'on parle de programmes de DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) des combattants. 

Eux rappellent les promesses qui leur ont été faites, refusent de partir, s’accrochent au mince espoir que leur obstination paiera. Qu'en restant dans cette caserne abandonnée, ils seront récompensés de leur pugnacité par un uniforme et une solde de soldat.

Leur ubuesque attente est un cauchemar. Ils dorment à même le sol dans des bâtiments délabrés, cohabitant avec moustiques et lézards. Pour vivre, ils "font des travaux champêtres pour les habitants de la région", explique l'un d'eux surnommé le "Singe". Avec de grandes gaules ou en lançant des cailloux, ils récupèrent sur les arbres des mangues qu'il vendent pour quelques pièces sur le bord de la route. "On survit", raconte "le Singe". Un des hommes dit avoir la typhoïde, certains sont morts, d'autres sont partis. Mais eux restent.

Sont-ils prêts à attendre encore? "Affirmatif", répond militairement Simplice Modem, ancien rebelle de l'APRD (Armée populaire pour la restauration de la démocratie) qui s'était auto-dissoute en 2012 lors d'un programme de DDR lancé sous Bozizé. Il avait rejoint la Séléka un an plus tard. Il a sept enfants à Paoua qu'il n'a plus revus depuis.

Certains ont la chance que leur familles leur rendent visite mais d'autres n'ont de nouvelles que par téléphone. "Nos femmes nous disent de tenir le coup. Qu'on a raison, qu'on ne doit pas abandonner", raconte Patrick.

Il demande alors aux hommes de se regrouper en rangs devant une immense statue de Bokassa pour une photo de groupe. Les hommes obtempèrent mais le coeur n'y est plus vraiment. "Avant on s'entraînait, on faisait du sport mais là on est trop faibles. La condition n'y est plus", explique-t-il.

Poser devant Bokassa? "C'était un engagé volontaire comme nous", répond Patrick à propos de l'ancien dictateur qui a commencé sa carrière dans l'armée française avant d'intégrer la Centrafricaine et de réaliser le "coup de la Saint-Sylvestre" le 31 décembre en 1965 pour prendre le pouvoir. "Mais c'est du passé. On ne l'a pas connu".

©AFP 



30/05/2015

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