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Centrafrique : le chef de l'Etat de la transition a pris goût au pouvoir.

 [ Par Prosper INDO |Mis à jour| Lundi, 29 septembre 2014 ]

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Partie séjourner quelques semaines sur les bords du fleuve Potomac, dans le cadre de la 69ème session de l'Assemblée générale de l'organisation des Nations Unies, Catherine Samba-Panza a fait connaître ses réserves pour la tenue des élections générales en République centrafricaine au mois de février 2015, comme cela était initialement prévu.

Dans un entretien accordé à « La Voix de l'Amérique », elle s'est interrogée : « Comment voulez vous que les élections soient organisées dans un pays où la sécurité n'y est pas et que l'état civil est quasi inexistant » ?

 

Cette interrogation laisse à penser que les autorités de la transition n'avaient pas inscrit cette question en tête de leur priorité. Les explications données sonnent comme un aveu d'impuissance, d'incompétence et de complicité objective avec les ennemis de la démocratie.

 

1 – Un aveu d'impuissance, d'incompétences et de complicité.

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Aveu de complicité, les autorités de la transition n'ont jamais porté la priorité d'une consultation électorale dans leur agenda. Cela n'est pas une nouveauté en Centrafrique. Les scrutins organisés jusqu'à présent dans notre pays l’ont toujours été sous la contrainte ou la pression de la communauté internationale. En 1998, il a fallu la médiation du défunt président Omar Bongo du Gabon pour contraindre le régime du président Ange-Félix Patassé à organiser des élections qui verront sa réélection. Les mêmes pressions ont été exercées par le médiateur burundais Pierre Buyoya, commis par l'organisation internationale de la francophonie, pour obtenir du président François Bozizé le simulacre de scrutin qui s'est déroulé en avril 2010.

 

Le leitmotiv est rodé : absence de financement, manque de moyens matériels et logistiques. En cette année 2014, les autorités innovent en invoquant l'insécurité généralisée et l'absence d'état civil. C'est une nouveauté sémantique car la RCA est en état d'insécurité permanente depuis 1996. C’est un aveu de complicité avec tous ceux qui s’opposent à la marche de la démocratie en Centrafrique.

 

C'est parallèlement un aveu d'impuissance car, Catherine Samba-Panza s'était engagée, dans son discours d’intronisation, à faire taire les armes. Elle mettait en avant sa condition de femme : « Je lance un appel vibrant à mes enfants anti-Balaka qui m 'écoutent. Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des armes... A mes enfants ex-Séléka qui m'écoutent, déposez vos armes ». « A compter de ce jour, je suis la présidente de tous les Centrafricains sans exclusive ».

Elle considérait alors les rebelles et miliciens comme de pauvres bougres récalcitrants.

 

Par leur refus à se laisser désarmer et la férocité qu’ils ont mis à commettre les crimes les plus abjects, ces derniers ont clairement fait connaître que la situation requérait un chef de guerre, pas une « Nounou ».

Au demeurant, en refusant de faire procéder au désarmement des uns et des autres par la force, en particulier au KM.5, la Présidente de la transition a participé à la prolongation de la violence et à la propagation des crimes contre l'humanité qui ont accompagné le retrait des ex-Séléka vers Bambari et sa région.

 

Cette impuissance à formuler des directives claires est un aveu d'incompétence. Celle-ci touche à un domaine essentiel, le pouvoir d’expression du peuple centrafricain.

Les autorités de la transition savent depuis janvier 2014 qu'elles avaient à organiser des élections générales au cours du premier trimestre 2015. Or il a fallu attendre le mois d'avril 2014, soit trois mois, pour produire le décret portant désignation des membres de l'Autorité nationale des élections (ANE).

Dès cette décision acquise, il eût été possible d'établir, avec le concours du ministère de l'administration du territoire et de la décentralisation, un état des lieux du dispositif électoral, projeter la mise à jour des listes électorales, recenser les bureaux de vote accessibles, s'interroger sur la faisabilité de la carte d'électeur biométrique, élaborer le budget prévisionnel du scrutin et planifier, avec le concours des forces militaires internationales, le processus de sécurisation des bureaux de vote retenus.

L'article 43 de la Charte constitutionnelle de la transition dispose que « le gouvernement élabore la feuille de route de la transition, assortie d'un chronogramme des élections qu'il soumet à l'approbation du CSL (comité de suivi de Libreville) et au groupe international de contact (GIC). Il la présente au Conseil national de transition dans les huit (8) jours de son adoption en Conseil de ministres ».

Cela a été fait le 27 ou 28 mai 2014, lorsque le premier-ministre André Nzapayéké a présenté la feuille de route de son gouvernement devant le CNT.

 

Dès le mois de juin 2014, il appartenait donc au président de l'ANE, dont le rôle est de veiller à la transparence et à la régularité des scrutins, d'appeler l'attention du gouvernement sur les difficultés susceptibles de gripper le mécanisme électoral et proposer des solutions alternatives. Rien de tout cela n'a été fait.

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Le ministre de l'administration du territoire, qui était déjà en place dans le précédent gouvernement du premier-ministre Nicolas Tiangaye, n'aura pas pris la mesure de son département ministériel, totalement sinistré. Il lui appartenait en effet, toujours au sens des dispositions de la Charte constitutionnelle, en son article 45, d'élaborer le chronogramme électoral, lequel « définit les tâches, les différentes étapes, le calendrier d'exécution ainsi que les responsables des différentes tâches nécessaires au bon déroulement du processus électoral pendant la durée de la transition, y compris l'adoption du code électoral et la mise en place et l'opérationnalisation de l'Autorité nationale des élections (ANE) ».

Il était donc du ressort du ministère de l’administration du territoire de mobiliser les autorités préfectorales dans cette perspective.

 

Ces diligences n’ont pas été accomplies. Et pour cause : les personnels préfectoraux, nommés par le précédent gouvernement dont il faisait partie sont « restés » en place, quand bien même la plupart de ces derniers avait abandonné leur poste depuis longtemps. Pis, beaucoup de ces derniers n’avaient pas le profil de l’emploi. Ainsi, le travail nécessaire d'épuration permettant de remettre l'administration en ordre de marche n'a donc pas été effectué.

 

Il est mensonger d'affirmer que les différentes sources d'archives ont toutes été détruites. Nonobstant la volonté politique et la tentation du ministre de la sécurité, de l'immigration et de l'émigration de l’époque, un certain « général » Nourredine Adam, l'ex-Séléka n'avait pas la capacité stratégique de planifier la destruction totale de l'état civil en Centrafrique. D'ailleurs, l'Autorité nationale des élections doit elle-même détenir ses propres archives et registres. Que sont-ils devenus ?

Au demeurant, faute d'état civil conforme, il aurait pu être envisagé de procéder à des « audiences foraines » d'identification des électeurs par les chefs de terre, chefs de village ou de quartier (conseillers municipaux).

 

2 – L'appétit vient en mangeant.

 

En accédant à la tête de l'Etat, la présidente de transition s'est laissée entraîner par ceux là qui la présentaient comme une représentante de la société civile, sans expérience d'administration publique et sans appartenance politique affirmée.

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Mais, comme « l'appétit vient en mangeant », les délices du protocole d'Etat, l’accoutumance aux honneurs, la folie des grandeurs et le confort douillet du pouvoir ont convaincu les autorités de la transition qu’il fallait jouer les prolongations.

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Assurée du déploiement, dès le 15 septembre 2014, d'une mission de maintien de la paix de l'ONU, le chef de l'Etat de la transition s'est trop vite persuadée de tenir tête à ses anciens parrains, en particulier le médiateur congolais, le président Denis Sassou Nguesso, qu'elle aura inutilement froissé et blessé.

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Mise en quarantaine par les chefs d'Etat de la communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), dont elle aura abusé de la bienveillance, en allant jusqu'à consacrer à d'autres fins les aides financières généreusement accordées à la RCA pour solder le traitement des fonctionnaires, la voici de retour dans le giron français.

Elle a ainsi adressé une supplique au président François Hollande justifiant la nomination, si décriée, de Mahamat Kamoun au poste de premier-ministre. La voilà de retour dans les bras du président tchadien Idriss Déby, excipant de sa naissance lamyfortine.

 

Certes Catherine Samba-Panza n'a pas l'expérience de l'administration publique centrafricaine, si l'on excepte son bref passage de six mois à la tête de la délégation spéciale de la ville de Bangui (maire de la capitale). Elle a été nommée à ce poste par le chef rebelle et président autoproclamé Michel Djotodia, aujourd'hui démissionnaire et en exil au Bénin.

 

On ne peut cependant dénier au chef de l’Etat de la transition quelque appétence politique, pour au moins deux raisons.

 

La fréquentation des hommes politiques centrafricains, la perception de leur manière d'être ou de faire, la connaissance du milieu, et la propension des uns et des autres à perdurer, ne lui sont pas inconnues.

 

Cette connaissance du milieu lui vaudra de co-présider en 2003 les travaux du Dialogue national organisé à la suite du coup d'Etat du général François Bozizé, et d'être désignée à la tête de la commission de suivi et d'évaluation des recommandations issues de ce dialogue. A l'époque, une transition s'était installée et aura duré deux ans, avant que des élections présidentielles ne soient organisées en 2005 pour confirmer le général Bozizé au pouvoir. Cette séquence aura nourri l'expérience politique de l’actuelle présidente de la transition et son habileté maladroite à vouloir faire trainer les choses.

 

Contrairement au lieu commun véhiculé depuis sa nomination en janvier dernier à la magistrature suprême de notre pays, la présidente de transition n'est donc pas une novice ingénue, dépourvue de toute expérience politique. Son appartenance à la société civile est un leurre, un miroir aux alouettes destiné à appâter les procureurs de la classe politique centrafricaine, suspectée dans son ensemble d'être corrompue et incompétente ; ce qui est en partie faux.

 

On l'aura compris, Catherine Samba-Panza est le produit de cette classe politique, si elle n'en fait pas intrinsèquement partie.

 

En déclarant ne pas s'opposer au report des élections générales prévues en février prochain, sans pour autant se prononcer clairement sur un calendrier précis, la présidente de transition reproduit par mimétisme un schéma qu'elle a vu fonctionner entre 2003 et 2005, pendant la transition mise en place par le général François Bozizé. Il s'agit de perdurer à la tête de l'Etat afin d'accoutumer le peuple à sa présence.

Pour cela, il faut résister aux pressions internationales, perçues toujours comme d'insupportables ingérences, et, autant que faire se peut,  ne lâcher prise qu'à la fin, une fois acquis la certitude d'être en position pour l'emporter.

 

Certes, la présidente de transition sait qu'elle ne peut se présenter au prochain scrutin présidentiel, en l'état actuel de la Charte constitutionnelle de la transition. Il en va de même pour les membres de son gouvernement et les membres du Bureau du Conseil national de transition, lesquels seront ses alliés objectifs s'il fallait modifier les textes.

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En effet, la nomination à la Primature de Mahamat Kamoun, un proche et un familier, n'est pas un caprice, mais un exercice stratégique réfléchi : la présidente ne court point ainsi le risque de la destitution. On voit mal l'actuel premier-ministre prêter main forte à une quelconque manœuvre de déstabilisation de « sa » Présidente, dans le même temps où ses proches conseillers complotent pour la dissolution et la refondation du Conseil national de transition.

 

Tout ceci amène à penser que la présidente de transition a pris goût au pouvoir et entend y demeurer le plus longtemps possible.

 

3 – Pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

 

Mise en place pour une durée maximale de 24 mois, l’actuelle période de transition arrivera à terme en mars prochain. Théoriquement, cette durée peut être prolongée, sous réserve de soumettre un nouveau calendrier électoral à l’approbation du Médiateur de la crise et à l’autorisation du groupe international de contact.

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En effet, l'article 102 de la Charte constitutionnelle de la transition stipule que « la durée de la transition est de 18 mois, portés à 24 mois sur avis conforme du Médiateur de la crise centrafricaine. En cas de nécessité, la durée de la transition peut-être examinée par la Conférence des chefs d'Etat de la CEEAC sur proposition conjointe du chef de l'Etat de transition, du premier-ministre et du président du CNT ».

Mais un tel report renverrait les élections aux calendes grecques, l’autorité nationale des élections ayant fait connaitre par ailleurs qu’il fallait neutraliser la période de juillet à octobre pour des raisons de fortes pluviométries.

La communauté internationale aurait tort de s’appuyer sur de telles considérations, sauf à ouvrir la voie à des manœuvres dilatoires, ambigües et manipulatrices.

 

Rien ne s’oppose à l’organisation d’une élection présidentielle d’ici à la fin de la transition. Il faut faire confiance à la Minusca pour sécuriser, le moment venu, les axes de circulation et l’accès aux différents bureaux de vote.

 

L’absence d’un état civil fiable n’est pas un argument dirimant. Par ailleurs, le vote n’étant pas obligatoire, il n’est pas indispensable de s’appuyer sur le vote de la totalité de l’électorat. On pourrait ainsi s’appuyer sur le vote des grands électeurs que sont les chefs de terre, les chefs de village et les conseillers municipaux des métropoles urbaines. Les uns et les autres ont une parfaite connaissance des conditions matérielles de vie de la population, ainsi que du parcours individuel des différents hommes et femmes politiques centrafricains. Ils peuvent se prononcer en toute connaissance de cause pour donner une légitimité au prochain président de la République qui aura alors la mission d’élaborer et de soumettre à référendum la prochaine loi fondamentale.

 

Le suffrage universel indirect est reconnu par la Charte constitutionnelle de la transition en son article 20 : « le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la loi ».

Les autorités actuelles de la transition tiennent leur légalité de cette même procédure. Il n’est donc pas inique de l’élargir aux grands électeurs, et non plus la restreindre au microcosme politique banguissois.

Le rassemblement des grands électeurs serait plus facile à organiser, le nombre de bureaux de vote serait limité, contrairement aux prévisions de l’ANE qui en prévoit 4 615, limitation du nombre d’urnes, etc…

Le budget prévisionnel des opérations électorales, aujourd’hui estimé à un montant de 36.750.000.000 de francs CFA, pourrait donc être largement revu à la baisse. Quant aux budgets de fonctionnement et d’équipement de l’ANE, évalués respectivement à hauteur de 718.000.000 et 577.000.000 de francs CFA, c’est pure folie. Il s’agirait presque d’un budget de première installation, alors que l’ANE existe depuis 1992. C’est pure folie !

 

Vaut mieux faire simple quand on est incapable de faire compliqué.

 

A lire aussi  : Centrafrique : Chroniques douces-amères – édition spéciale

 

Paris, le 29 septembre 2014

 

Prosper INDO



02/10/2014

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