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Casques Bleus en Centrafrique : le scandale de trop

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 [ Par Natacha Tatu |Mis à jour| 25 juin 2015]

Des abus auraient été commis en 2014 par "un des contingents" de la Minusca, en République centrafricaine. Une affaire qui s'ajoute à nombre d'autres scandales que l'ONU ne parvient pas à juguler.

Après les soldats français, les Casques bleus ? Un mois à peine après le scandale qui a éclaboussé plusieurs soldats de l’armée française soupçonnés d’avoir sexuellement abusé d’enfants à Bangui pendant la guerre civile qui a déchiré la Centrafrique, voilà les "peacekeepers" à leur tour sur la sellette.

Les faits ? Toujours les mêmes. Des militaires qui profitent de la misère de la population civile qu’il sont censés protéger pour obtenir des relations sexuelles contre un peu de monnaie, des cartes de téléphones ou des rations de nourriture. Parmi les victimes de ces abus, des jeunes femmes, des enfants des rues, des fillettes de 13 ans… Il y aurait eu des grossesses.

La Minusca dans le viseur

Les faits, qui remonteraient à 2014, ont été signalés à l’ONU le 19 juin dernier. Les abus auraient été commis par "un des contingents" de la Minusca (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine), une mission de 12.000 militaires et policiers originaires de pays Africains pour l’essentiel, et déployée depuis 2014 en République Centrafricaine où ils doivent succéder à l’armée Française pour le maintien de la paix. 

L’origine du bataillon mis est en cause n’a pour l’instant pas été révélée, mais une enquête est ouverte. Et les soupçons seraient assez sérieux pour que l’ONU sorte de sa réserve habituelle, promettant pour une fois haut et fort de faire toute la lumière sur cette triste affaire.

Depuis dix ans,  l’ONU prône officiellement  une politique de "tolérance zero" vis-à-vis de toute forme d’abus sexuels. Seulement voilà. Les rapports plus accablants les uns que les autres se multiplient depuis des années, sans grand effet.

Il y a un mois encore, un nouveau document interne dénonçait des exactions sexuelles commises en Haïti, au Burundi,  au Liberia. Entre 2008 et 2013, 480 plaintes pour exploitation et abus sexuels auraient été enregistrées. Elles concernent pour un tiers des mineurs. Rien qu’en 2014 en Haïti, 231 personnes auraient reconnu avoir eu une forme de "transaction sexuelle" avec des Casques bleus… Certains soldats, qui n’auraient finalement pas payé ce à quoi ils s’étaient engagés, auraient d’ailleurs été victimes de chantage.

Scandales à répétition

Voilà vingt ans, en vérité, que les exactions entachent l’action des Casques bleus un peu partout où ils sont déployés. En Asie du sud-est, ils sont accusés d’avoir importé le sida, en Haiti, d’être à l’origine du choléra, ailleurs, de se livrer à la contrebande… Mais ce sont les accusations d’abus sexuels qui sont les plus nombreuses.

En 1996 déjà, l’Unicef publiait un rapport sur "l’impact des conflits armés sur les enfants", montrant que "dans six pays sur les 12 étudiés, l’arrivée des 'peacekeepers' s’accompagnait d’une flambée de prostitution infantile". Huit ans plus tard, un second rapport enfonçait le clou, pointant l’augmentation de crimes sexuels et de la prostitution accompagnant l’arrivée des soldats de l’ONU.

En 1999, alors que le Congo est plongé dans une guerre épouvantable, le Conseil de Sécurité de l’ONU mobilise 20.000 hommes, originaires de plusieurs pays pour un coût record d’1,3 milliard de dollars. En cinq ans, il y aura tant de scandales, de plaintes, d’accusation de jeunes femmes affirmant avoir été abusées que le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, parlera d’une "horrible tache" sur la réputation des Nations Unies. De son côté, Jane Holl Lute, sous-secrétaire générale aux opérations de maintien de la paix, a déclaré :

La réputation des Casques bleus a été gravement ternie par leur propre faute. Nous ne nous arrêterons pas tant que le Casque bleu n’aura pas recouvré son éclat."

Pour une fois, plusieurs dizaines de soldats sont expulsés. Mais après ?

En 2003, nouveau scandale, en Sierra Leone cette fois : des Casques bleus sont accusés, dans un rapport très détaillé de l’ONG Human Right Watch intitulé "We’ll kill you if you cry" ("On te tue si tu pleures")  d’avoir pratiqué le viol à grande échelle sur des jeunes femmes enlevées dans leur village, utilisées comme domestiques ou comme esclaves au service des troupes.  Une enquête a été diligentée, mais aucun coupable identifié. 

 

En 2008, toujours en RDC, des représentants des droits de l’Homme montrent qu’un véritable réseau de prostitution de jeunes congolaises, s’est développé autour d’un bataillon de Casques bleus en provenance d’Inde. Des cas sont également avérés en Bosnie et en Iraq. 

Management impossible

Bien sûr, à chaque fois, ces exactions ne concernent qu’une minorité de soldats. Mais tout de même, il semble qu’il y  ait bel et bien quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume des "peecekeepers". Piètres soldats, souvent  jugés inefficaces sur le terrain, mal formés, peu disciplinés, les Casques bleus traînent souvent une sale réputation, dans les pays où ils sont postés. A qui la faute ?

Le management des forces du maintien de la Paix n’a jamais été simple. Maintenir une discipline dans une armée disparate de 125.000 hommes, d’origines les plus diverses, déployés dans 16 pays, tourne même souvent à la mission impossible. Régulièrement accusée de laxisme et d’omerta, l’ONU en vérité n’a guère de latitude.

L'organisation a beau établir des règles, interdire formellement tout rapport sexuel avec des mineurs, l’octroi d’argent, de biens ou de services contre des faveurs sexuelles, elle n’est pas en mesure de les faire respecter. Impossible même d’engager de poursuites pénales contre les coupables, d’exercer des sanctions ou de prononcer des condamnations. C’est aux pays fournisseurs de ces bataillons de le faire. La formation, le commandement et la discipline, sont également de leur ressort.

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Soldats au rabais 

Or dans la grande majorité des cas, il s’agit de pays pauvres, qui trouvent dans ces missions de Casques bleus un moyen de financer leur propre armée. Le prix payé par soldat déployé est de 1.028 dollars par mois. Une somme colossale dans des pays tels que le Bangladesh, le Pakistan, l’Inde, l’Ethiopie, le Nigéria et le Rwanda, qui envoient le gros des bataillons sur le terrain. Des pays où la solde d’un soldat ne dépasse guère le 100 dollars par mois et encore, quand elle est payée. Des pays, aussi, où les relations sexuelles avec des mineures, les abus de pouvoir et les exactions de soldats contre la population civile se sont pas forcément sanctionnés.    

Certains pays comme l’Uruguay reversent intégralement à leurs soldats la prime de l’ONU, en plus de leur solde régulière. Mais c’est loin d’être le cas partout. De nombreux pays prélèvent une dîme, d’autres enfin ne reversent rien aux soldats envoyés comme de la chair à canon, dans les conditions les plus spartiates, sur les terrains les plus difficiles. En dix ans, plus de 800 Casques bleus sont morts en mission. 

 

©L’OBS



25/06/2015

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