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RCA : Les années Bokassa (1966-1979)



La phase de redressement.

 

Dans cette phase, le régime Bokassa jouit d’une certaine popularité. Le gouvernement en profite pour dynamiser le secteur de l’agriculture (coton, café), l’exploitation forestière et l’extraction minière. En Janvier 1966, est lancée « l’opération Bokassa » qui se définit comme une entreprise d’intérêt national portant le développement rapide de la RCA et qui se focalise particulièrement pour le monde rural. Le concepteur de cette opération n’est autre que le Ministre de l’agriculture M. Ange-Félix Patassé. Un slogan destiné à conscientiser cette opération est « E mou kodro na ndouzou. » Cette opération se traduit notamment par la remise de bœufs, charrues, chaînes de traction pour promouvoir la culture attelée ou par la vulgarisation des techniques propres à accroître les rendements (emploi des engrais et des insecticides pour le café et le coton, amélioration des semences etc.). La production de coton est ainsi passée de 29 000 T en 1965 à  58 000 T en 1970 et commença à jouer un rôle générateur dans le processus d’industrialisation du pays via les activités textiles, filature et huilerie qu’il générait. Le cheptel bovin s’est aussi accru jusqu’à couvrir une grand partie de la consommation nationale. L’exploitation de la forêt centrafricaine est devenue intensive grâce aux permis accordés à plus d’une dizaine de sociétés forestières. L’abattage qui était de 175 000 m3 en 1967 atteignit 583 000 m3 en 1973. Le secteur forestier est devenu la quatrième dimension de l’économie centrafricaine avec le coton, le café et le diamant fournissant 8% du PIB et employant près de 60 000 personnes. L’exploitation minière fit aussi l’objet d’une attention particulière et l’Office du Diamant fut créé en Juin 1966 et permis de garantir 40% des recettes à l’Etat sur les profits générés par les ventes extérieures du diamant. Cette action fit bondir la production à 609 360 carats en 1969, chiffre record inégalé à ce jour. La reprise du projet d’exploitation d’uranium de Bakouma avec la création en Avril 1969 de la Compagnie des Mines d’Uranium de Bakouma (URBA) en partenariat avec le Commissariat de l’Energie Atomique suscita beaucoup d’espoir mais ne verra finalement jamais le jour. Au plan industriel, citons la poursuite et finalisation de projets lancés sous Dacko soit l’usine textile Industrie Cotonnière Centrafricaine (ICCA), le barrage hydroélectrique de Boali, la briqueterie industrielle de Bimbo (BRICERAM), ou encore la société centrafricaine de cigarettes (SOCACIG). Le secteur touristique sera aussi renforcé avec le Safari et l’hôtel Saint sylvestre devenu respectivement Sofitel et hôtel du centre en plus du Rock hôtel appartenant au groupe Panayatopoulos. Signalons aussi la construction de l’université en 1969 ainsi que d’autres équipements sociaux économiques parmi lesquels on peut citer le marché central de Bangui, le lycée Bokassa devenu lycée des martyrs, l’immeuble du Ministère des affaires étrangères, la statue du Président Boganda, la gare routière de Bangui, les arcs de triomphe de Bangui ou encore la cité Houphouët-Boigny au PK22. Notons aussi la promotion de la femme centrafricaine avec le défilé de la fête des mères qui revêt depuis cette époque une importance particulière en RCA ou encore en nommant des femmes à de hautes fonctions (Madame Élisabeth Domitien, qui fut la première femme à occuper le poste de Premier Ministre en Afrique ou encore Madame Christiane Gbokou qui fut Ministre des Finances. A partir de 1969, alors que le général de Gaulle quitte la présidence française, les rapports entre la France et Bokassa se tendent. Des dizaines de coopérants français sont expulsés, les déclarations fracassantes se multiplient, les échanges avec les pays du pacte de Varsovie, URSS, RDA, Roumanie, Yougoslavie s’intensifient sous l’impulsion du Ministre des affaires étrangères Nestor Kombot Naguémon. La Yougoslavie a contribué au renforcement de la centrale de Boali II et a construit le complexe omnisport qui abritera le sacre. On parle même de la création d’une monnaie nationale. En Août 1969, à l’occasion d’une visite au régime Marxiste du Congo Brazzaville, Bokassa annonce sa conversion au socialisme scientifique. Pour marquer le coup, il demande le départ des troupes françaises. La même année, il exécute Alexandre Banza, son bras droit lors du putsch de la Saint Silvestre qu’il accuse de fomenter un coup d’Etat. Mais l’influence de la France en RCA est toujours très présente sous l’influence de Jacques Foccart, du directeur de la puissante chambre de commerce de Bangui, M. Poitevin et celle de Maurice Espinasse, le conseiller juridique de Bokassa. D’autant que la parenthèse socialiste se referme rapidement en novembre 1970, après la mort du général De Gaulle. C’est à l’occasion de ses obsèques que Bokassa rencontre pour la première fois Valéry Giscard d’Estaing. Le Centrafrique n’est pas un pays inconnu pour celui qui n’est encore que Ministre des finances en France. En effet, son père, Edmond Giscard d’Estaing a été directeur de la Société Financière Française et Coloniale (SFFC) qui détenait entre autres la compagnie la Compagnie forestière Sangha Oubangui. A cela s’ajoute la passion de VGE pour la chasse. A partir de 1970, il se rend régulièrement en Centrafrique pour traquer la faune locale. Ce faisant, il instaure avec Bokassa une relation qui dépasse largement le cadre de la diplomatie usuelle, surtout à partir de 1974, lorsqu’il accède à la magistrature suprême en France.

Le raidissement du régime.

Jean-Bedel Bokassa renforce pourtant son emprise et s'autoproclame président à vie le 2 mars 1972 et se promeut maréchal le 19 mai 1974. Ne tolérant plus la moindre opposition ou contestation, il fait arrêter Jean-Richard Sandos, le secrétaire Général de la centrale syndicale UGTC en Décembre 1973 et place Patrice Zémoniako Liblakenzé un de ses fidèles à la tête du syndicat. Soupçonnant les barons du régime comme Auguste Mbongo (ministre des travaux publics) ou le général Martin Lingoupou de comploter contre lui, il les fait exécuter.  A la suite d'un attentat commis contre Bokassa à l'aérodrome de Bangui le 3 février 1976, Pierre Maleombho, ancien ministre de Boganda et ancien président de l'Assemblée législative centrafricaine, co-fondateur avec Abel Goumba du M.E.D.A.C. est fusillé, avec plusieurs patriotes du F.P.O.  Outre sa dotation hebdomadaire sur fonds spéciaux, il exige des versements en espèces et sans décharge du Trésor Public de sommes de plus en plus importantes alors que celui-ci a de plus en plus de difficultés à payer les fonctionnaires. Avec les sociétés d’Etat, il a le droit à des prélèvements de l’ordre de 7% au titre de l’avance sur impôts et demande des contributions en guise d’avance sur bénéfices. Se considérant comme le premier homme d’affaires et premier paysan du pays,  il étend son emprise commerciale privée grâce aux deniers publics. Berengo est alors le siège de deux compagnies aériennes (Paysan Air et Centrafrique Charters Air Lines), d’une briqueterie à Boyali. De grands immeubles à usage commercial (Pacifique 1 et 2) à Bangui, une entreprise de construction et d’ameublement (SOCOCA), une société minière (La Couronne) font partie du patrimoine de Bokassa. S’étant rendu compte que les entreprises publiques sont des pompes à sous, il nationalise à tour de bras rentrant ainsi en conflit avec le secteur privé. Notons aussi la forte augmentation des fonctionnaires qui sont passé de près de 15 000 à environ 26 000 à la fin de son règne absorbant ainsi la moitié des dépenses de l’Etat environ. Le secteur public accroit donc son emprise dans l’économie centrafricaine avec une efficacité sujette à caution eu égard aux nombreuses faillites pour cause de mauvaise gestion. Beaucoup d’entreprises privés fermeront boutiques laissant derrière elles un vide qui sera comblé par des entrepreneurs syro-libanais arrivés massivement en Centrafrique après la visite de Bokassa au Liban en 1974. Pour échapper à la déclaration obligatoire des marchandises au-delà d’un certain seuil, ces hommes d’affaires saucissonnent les marchandises importées du Nigéria ou du Cameroun via Mbaïboum en plusieurs lots revendus par les petits revendeurs que l’on appelle « bouba nguéré » et qui stationnent à proximité des magasins de marchandises des vrais propriétaires de la marchandise. En septembre 1976, il dissout le gouvernement pour le remplacer par le Conseil de la révolution centrafricaine. Il se déclare musulman en octobre 1976 et change son nom en Salah Eddine Ahmed Bokassa avec l'objectif de plaire à Kadhafi pour bénéficier de l'aide financière libyenne mais il abjurera sa nouvelle religion trois mois plus tard.

Du sacre à la chute.

En décembre 1976, à la faveur d’un congrès du parti unique, Bokassa annonce la transformation de la République centrafricaine en Empire, et son couronnement à venir dans un délai d’un an. Avec effet immédiat, et sans la moindre concertation, la Constitution du pays est changée. L’année 1977 va donc voir la préparation et l’accomplissement de la cérémonie. Dès lors s’engage une folle course à l’organisation des réjouissances impériales dont est chargée, en priorité absolue, le gouvernement du premier ministre d’alors, Ange-Félix Patassé, qui s’acquitte de la tâche avec zèle. L’équivalent du budget annuel de l’État centrafricain est investi pour le grand jour, le 4 décembre 1977, auquel sont conviés 5.000 invités de marque. La France est représentée par son ministre de la Coopération, Robert Galley. La « bouffonnerie tropicale » raillée par la presse internationale est cofinancée et co-organisée par la France, l’Élysée, le ministère de la Coopération, celui de la Défense et, aussi, par le cousin germain du président de la République, François Giscard d’Estaing, directeur général de la Banque française de commerce extérieur. Concrètement, la BFCE accorde un très important découvert à l’Intercontinental de Courtage (ICC) dirigée par Jean-Pierre Dupont en charge de l’organisation de la cérémonie. L’armée de terre envoie la musique des Troupes de marine pour animer l’évènement, le ministère de l’intérieur dépêche sur place des tireurs d’élite et des policiers pour assurer la sécurité. La cérémonie a lieu au palais des sports de Bangui. Aucun chef d'État ou de gouvernement ne s'y rend, excepté le Premier ministre de l’Île Maurice. Pour marquer l’évènement, Bokassa revêt une réplique du costume que portait Napoléon Ier lors de son sacre, une épaisse cape écarlate doublée de fourrure d'hermine blanche et d'une robe incrustée de perles sur laquelle étaient brodés en fils d'or des soleils et des abeilles. La cérémonie est très fastueuse : 10 000 pièces d'orfèvrerie, 200 uniformes d'apparat, 600 smokings et pas moins de 60 000 bouteilles de Champagne et de Bourgogne. Un trône monumental fut créé par le sculpteur Olivier Brice, empruntant le symbole de l'aigle à Napoléon. La garde-robe impériale fut conçue par Pierre Cardin. La couronne en or pur, confectionnée par le joaillier Claude Arthus-Bertrand, comportait 7 000 carats de diamants. À la fin de la cérémonie, le nouvel empereur remonte les rues de Bangui à bord d'un carrosse de bronze et d'or tiré péniblement par huit chevaux importés du Haras national du Pin, situé en Normandie, envoyés par l'Élysée. Deux chevaux meurent lors du trajet ce qui contraint la famille impériale à parcourir les derniers mètres en limousine. En janvier 1979, un mouvement social provoqué par le non-paiement des salaires des fonctionnaires se développe dans la capitale centrafricaine. La situation dégénère après que Bokassa par l’intermédiaire de son Premier Ministre Henri Maïdou ait instauré une tenue unique à l'école que beaucoup de familles ne peuvent la payer, des manifestations d’écoliers seront réprimées. Le 18, prétextant que des policiers avaient été molestés lors d’une assemblée générale de lycéens et d’étudiants, les éléments de l’armée impériale de Bérengo appelée entre temps « les abeilles » font une descente dans les quartiers populaires. Environ 250 jeunes, raflés dans les rues de Bangui, sont passés à tabac avant d’être entassés dans les cellules de la prison de Ngaragba, bien trop étroites pour les contenir tous. Plus d’une centaine de victimes non recensées vont périr, pour la plupart étouffés. Impossible d'ignorer la gravité des exactions commises, surtout pour Amnesty International qui publie un rapport alertant l'opinion mondiale. Ce massacre fait définitivement perdre à Bokassa son aura et son appui auprès de la population. Aujourd’hui, le pays célèbre tous les 18 janvier « la journée des martyrs » pour commémorer les victimes de cette révolte estudiantine. Les protestions et la résistance contrat le régime iront crescendo alors que la contestation gagne tout le pays et tous les corps de métier. Le sommet franco-africain de Kigali en mai 1979 au Rwanda décide la mise sur pied d’une commission internationale d’enquête dont les conclusions seront fatales pour le régime. La situation en Centrafrique, qui s’embrase au printemps 1979, préoccupe la France d’autant que le régime Bokassa se rapproche dangereusement de la Libye. Le principe d’une opération militaire est arrêté au cours d'une réunion spéciale présidée par Giscard d’Estaing. Une question demeure cependant: une fois l'Empereur renversé, qui donc lui succédera ? Abel Goumba ? Non, il est non seulement considéré comme trop nationaliste mais aussi trop démocrate pour ramener l’ordre. Ange-Félix Patassé ? Lui non plus, car ancien membre du Parti communiste oubanguien, il est jugé trop dur, trop nationaliste et pas digne de confiance. Les Français lui reprochent aussi d'avoir, à l'époque où il était ministre, accordé l'exploitation de la mine d'uranium de Bakouma à un groupe suisse. D'autres noms sont évoqués : Sylvestre Bangui et David Dacko. Finalement, Dacko, (qui est depuis 1976 conseiller personnel de l’Empereur) qui a l’avantage d’avoir déjà « fait le job » est choisi, contre sa volonté, par la France. Dans la nuit du 20 septembre 1979, alors que Bokassa se trouve en Libye dans l'optique d'un rapprochement avec le colonel Kadhafi, le SDECE (services secrets français), lance l'Opération Caban (pour CentrAfrique-BANgui). David Dacko qui est depuis l’été 1979 en France pour soigner des soucis de santé habite chez un de ses enfants à l’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne. Il sera littéralement sorti du lit en pyjama au petit matin par des officiers français. On l’installe dans un avion de l’armée qui décolle aussitôt d’une base militaire près de Paris. Première escale: Ndjamena. Il descend de l’appareil pour remonter aussitôt à bord d’un avion de transport militaire pour Bangui avec une centaine de parachutistes français qui prennent position dans la ville. Aucun coup de feu ne sera tiré : les seuls membres des forces centrafricaines qui disposent d’armes – la garde personnelle de l’empereur – se rangent rapidement derrière les troupes françaises et les quelques soldats et conseillers militaires libyens se rendent, quand ils ne se réfugient pas dans leur ambassade. Même si les blindés et véhicules français patrouillent dans Bangui, l’atmosphère reste calme. Dacko annonce la fin de l’Empire, déclare la République et instaure un gouvernement de salut public. Le lendemain, les imposantes statues de l’empereur sont déboulonnées par une foule enthousiaste. Bokassa, qui demande l'asile politique à la France, est expulsé vers la Côte-d'Ivoire.

 

 ®Récit Thierry Simbi 

 

 



03/09/2018

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