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République Centrafricaine: ce que les médias français ne vous diront pas

[ Par Sam La Touch |Mis à jour|lundi 4 août 2014 ]

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La situation en Centrafrique est cahotique même si des négociations porteuses d’espoir ont débuté entre les partis en conflit en RCA mais la couverture médiatique française du conflit, qui ravage ce pays depuis un an et demi, est plus que discutable. Si l’on en croit les médias mainstream et même de nombreux médias qui se prétendent « libres », la situation actuelle résulterait avant tout des conflits entre les milices rivales mais nulle mention n’est faite du rôle délétère des autorités françaises dans son « ancienne » colonie. Tout au plus, il apparaît dans la majorité des articles publiés dans les médias français sur le sujet, que le gouvernement français téléguidé par l’Etat-major aurait fait une erreur d’évaluation en envoyant un nombre trop faible de soldats (1200-1600) pour rétalir la paix dans un pays grand comme une fois et demi la France ou bien éventuellement en s’engageant dans une situation qu’elle n’aurait fait que dégrader. Ces analyses pour la plupart excluent toute approche diachronique tenant compte du rôle français dans le conflit actuel en RCA, de sorte que la lecture synchronique de la situation, dans le hic et nunc, sur un modèle typiquement africaniste, ne peut fournir aux citoyens lambda qu’une grille de lecture racialiste.

La situation pouvant se résumer à cette version : un conflit éclate entre une milice rebelle hétéroclite (Séléka) et le pouvoir en place de Bozizé. Cette milice a renversé le pouvoir autocratique en place par un coup d’Etat. Parvenu au pouvoir, en mars 2013, la Séléka a perpétré des massacres visant la population civile à majorité chrétienne. Les forces armées françaises sont intervenues pour faire cesser les conflits perpétrés par la milice de la Séléka et s’interposer entre milices de la Séléka et anti-balakas soutenus par les partisans de l’ancien président. Cette lecture laisse à penser qu’il s’agit d’une affaire purement centrafricaine entre rebelles et loyalistes dans un pays africain sans tenir compte du contexte géopolitique néocolonial.

Or le Centrafrique n’est pas n’importe quel pays, il s’agit d’une « ancienne » colonie française où la France a des intérêts économiques, militaires et géopolitiques considérables. En occultant l’implication française et sa dimension historique et économique, la plupart des médias français opèrent une double forclusion qui fournit implicitement une lecture racialiste du conflit. Mais si nous réintégrons une analyse historique et géopolitico-économique de la situation en s’attardant sur le rôle du gouvernement français, on découvrira l’ampleur des responsabilités françaises dans le cauchemar dans lequel le Centrafrique est plongé. Ce scotome françafricain des médias français qu’il soit mainstream ou « libre » tient sans doute à de nombreux facteurs qui font sans doute la spécificité du magistère médiatique français à l’égard de la politique africaine criminogène de la France. Ce processus d’autocritique si faiblement développé à l’égard de l’exécutif et de la politique étrangère de son propre pays tient sans doute pour partie au régime français de « monarchie républicaine » où ceux-ci ont été sanctuarisés par la Constitution du Général en 1958 dans le contexte des « évènements d’Algérie ». Si les critiques des médias US, britanniques ou allemands (notamment la presse « libre » mais aussi la presse mainstream) sont beaucoup plus fréquents à l’égard des décisions de l’exécutif et de la politique étrangère de leurs gouvernements respectifs (nous nous en faisons d’ailleurs régulièrement l’écho sur ce blog avec de nombreux articles anglo-saxons traduits en langue française), qui se discutent effectivement au Parlement, en France elle n’est encore qu’à l’état de reliquat. Le régime de la Vème République est un frein puissant au journalisme d’investigation sur un sujet où souvent l’omerta a régné à savoir sur le sujet de la Françafrique (qui n’existerait plus actuellement selon bon nombre de médias français). Outre cette dimension politique à prendre en compte, cela s’explique aussi par la situation particulière de la presse française qui outre ses liens étroits avec le lobby militaro-industrio-financier qui opère dans les « anciennes » colonies d’Afrique (Total, Areva, Bouygues, Dassault, Lagardère, Bolloré, Orange,…) subit une autre forme de dépendance. Une double dépendance même : étatique et idéologique. Etatique, car fait particulier dans un pays démocratique, la grande majorité de la presse française est subventionnée par l’Etat. Idéologique parce que les représentations du magistère intellectuel sont connotées par le courant nationalo-souverainiste et colonialiste qui prend des accents rouge-brun dans les médias dits « libres » ou de « gauche ».

Mais revenons au Centrafrique et aux informations que vous ne retrouverez pas (ou si peu) dans les médias français.

1. Les médias français ne vous diront pas que la majorité des kleptocrates installés à la tête de ce pays, souvent qualifié de « porte-avions » français en raison de la présence de sa base militaire et aérienne séculaire, l’ont été par l’armée ou/et les services français depuis lère des indépendances de Bokassa à Samba-Panza en passant par Bozizé et plus récemment Djotodia. Ils ne vous diront pas que Paris s’est toujours arrangé pour assujettir son ancienne colonie et la maintenir dans une situation de totale dépendance économique, militiare et politique envers « l’ex »-métropole.

2. Ils ne vous diront pas que le dictateur Bozizé a été installé et renforcé en 2006-2007 avec l’aide de l’armée française et de ses mirages pour conquérir l’ensemble du pays.

3. Ils ne vous diront pas non plus que le dictateur Bozizé n’avait plus le soutien de l’actuel gouvernement français en raison ducontrat qu’il avait signé avec la Chine leur attribuant l’acquisition du bloc pétrolier A. Pas plus qu’ils ne vous diront que le dictateur Djotodia arrivé au pouvoir en mars 2013 s’est empressé d’annuler ce contrat et d’assurer qu’il continuerait à traiter avec « l’ancienne » puissance coloniale (Pro-French Central African Republic coup leaders scrap Chinese oil deals ; France, Japan form alliance targeting Chinese influence in Africa). En toile de fond de cet engagement du Tchad, derière lequel manoeuvre la France dans les coulisses (mais aussi les USA), il y a le partage du pétrole centrafricain à la frontière avec le Tchad (US, France deploy troops to Central African Republic) et les intérêts miniers notamment en uranium tels que signalés par l’Humanité dès le début 2013.

The Guardian de Londres a rapporté que « La coalition de combattants rebelles de la Séléka, a commencé à saisir les villes des zones minières dans le pays riche en diamants le mois dernier (janvier 2013), et a déclaré qu’il n’attaquera pas la capitale Bangui et devrait entamer des négociations avec le gouvernement à Libreville, la capitale du Gabon voisin de la semaine prochaine. » – WSWS a rapporté que le président Bozizé a insinué que la révolte contre lui a quelque chose à voir « avec l’octroi des contrats d’exploration pétrolière plus tôt cette année qu’il a accordé à des sociétés chinoises et sud-africaines » – Quant au rôle de l’Occident dans cette affaire, l’Humanité (Paris) a noté dans un article publié mardi et traduit ci-dessous dans son intégralité, « il est certain que Paris ne perd pas de vue les intérêts français centraux en RCA. Cette République est une caricature d’une économie d’extraction typique des anciennes-colonies d’Afrique. Le géant français de l’énergie Areva se développe dans Bakouma, à 900 kilomètres (560 miles) au nord-est de Bangui, un projet d’exploitation d’uranium. Le gisement a été découvert dans les années 1960 .. . par le Commissariat à l’énergie atomique« . (NEWS: US, French troops heading to Central African Republic as rebels advance on capital).

4. Les médias français ne vous diront pas qu’Idriss Déby le dictateur qui a armé la Séléka est un dictateur qui a été maintenu au pouvoir en 2008 grâce à l’intervention militaire française. De sorte que lorsque les médias pointent du doigt la responsabilité de premier ordre du « despote » Déby, ils oublient de dire que Déby n’est bien souvent que le pantin tchadien des intérêts de l’Etat français dans la sous-région. Ils ne vous diront donc pas qu’il a été installé à la tête du Tchad grâce au soutien des services et de l’armée française il y a plus de 25 ans. L’autocrate Déby vient d’ailleurs d’accéder à la demande française de créer la plus grande base militaire française en Afrique à Ndjamena dans le cadre de la mission « Barkhane » qui prétend lutter contre le terrorisme dans la région sahélienne. Ils ne vous diront donc pas que Déby est un pantin françafricain qui exécute les volontés de l’Etat-major français et de l’Elysée en Afrique : au Mali et au Tchad et ailleurs posant plus généralement la question des responsabilités françaises directes et indirectes dans la crise actuelle en Centrafrique.

5. Ces médias ne vous diront pas que « le chef de guerre », François Hollande (tel qu’il fut nommé par l’AFP), a refusé de faire intervenir l’armée française lors de la montée en puissance de la Séléka début 2013 malgré des accords de coopération militaire entre la France et la RCA et surtout comment il a refusé de faire intervenir l’armée française pour défendre les accords de paix centrafricain signés en janvier 2013 à Libreville entre la Séléka et l’autocrate Bozizé.
« D’une manière générale si nous sommes présent ce n’est pas pour protéger un régime mais pour protéger nos ressortissants et nos intérêts » (François Hollande, en mars 2013,« La France n’interviendra pas, mars 2013)

6. Ils ne vous diront pas non plus que des mercenaires français issus de l’armée française, ainsi que des officines de sécurité françaises sont venus sécuriser le pouvoir du nouveau kleptocrate Djotodia soutenu par l’axe franco-tchadien avec en arrière plan les USA qui avaient aussi des troupes sur le terrain. Pas plus qu’il ne sera question des nombreux réseaux françafricains qui sont venus graviter autour de ce nouveau tyran imposé par un coup d’Etat dans la plus pure tradition françafricaine. Il n’y a donc quasiment rien eu, dans la plupart des médias (hormis dans quelques médias spécialisés), sur l’arrivée ou le renforcement en masse des réseaux françafricains Miterrrand, Guéant, Attias, Fabius…en RCA. [(Centrafrique : retour sur la non intervention française (BdA) ; Eburnanews Les révélations d’un officier centrafricain sur le putsch contre Bozizé: Des soldats français y étaient avec les rebelles de la Séléka; LDC Les Français sécurisent Djotodia].

7. La majorité des médias français ne vous diront pas que la France, en décembre 2013, a désarmé initialement exclusivement les Sélékas lors de l’intervention militaire Sangaris favorisant les représailles sanglantes des anti-balakas et participant ainsi de par son attitude partiale (avec un virage à 180 degrés de sa politique étrangère antérieure de soutien envers la Séléka en mars 2013) au chaos centrafricain.

8. Ces médias ne vous diront pas non plus que Djotodia et Déby qui ont participé directement au carnage en Centrafrique sont protégés par le gouvernement français et ne font l’objet pour le moment d’aucunes poursuites pour leurs crimes en Centrafrique. Au contraire, le dictateur Idriss Déby a été célébré par le « chef de guerre » François Hollande et son M.A.E. Preuve s’il en était de leurs complicités, pour ne pas dire de leurs collaborations actives.

9. Ils n'évoqueront pas non plus les liens entre les composantes islamistes de la Séléka et leurs homologues de Boko Haram ainsi que les nombreux islamistes qui ont opéré en Libye sous guidage des services français et britanniques lors de la destruction de la Libye par les forces atantistes.

 

Tous ses éléments occultés mériteraient pourtant d'être intégrés dans les analyses médiatiques concernant le contexte géopolitique qui a vu naître la crise centrafricaine afin d'aider à la désaliénation du citoyen lambda sur la politique africaine de la France. Une quasi-absence de débats au Parlement, des médias dépendants de l'Etat et des lobbies militaro-industrio-financiers françafricains, une situation désastreuse de la presse en matière d'investigation sur la politique africaine de la France, une idéologie néocolonialiste profondément enracinée dans l'histoire nationale, autant d'éléments qui vont à l'encontre de la philosophie des Lumières dont se targue la France. Une philosophie qui apparaît de plus en plus comme une gigantesque duperie anesthésiante des consciences collectives sur les crimes et les politiques prédatrices commises en Afrique au nom des concitoyens. Un "abyme" français où les "ténèbres" ne sont pas forcément là où on l'aurait pensé si l'on veut bien se donner la peine d'ouvrir les yeux.

 

©Le-Blog-Sam-La-Touch.over-blog.com



04/08/2014

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