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Centrafrique : Rapport sur les Peuhls Mbororo de Centrafrique une communauté qui souffre - 3ième Partie

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[La rédaction|Mis à jour|4 juillet 2015 ]

 

Association pour l’Intégration et le Développement Social des Peuhls de Centrafrique

L’étude formule les recommandations qui sont résumées ci-dessous :

I. L’impératif d’une enquête internationale sur allégations de crime de guerre, crime contre l’Humanité

et disparitions forcées à l’intérieur de la RCA et dans les pays voisins.

II. Pour la justice et la lutte contre l’impunité : les autorités judiciaires centrafricaines devraient ouvrir des instructions judiciaires sur les crimes commis contre les populations Peuhles Mbororo de la même façon que les crimes commis contre toutes les autres victimes du conflit en Centrafrique et examiner la responsabilité des auteurs.

III. Pour la réconciliation nationale : les futures instances chargées de la réconciliation devront

prendre en compte les exactions et les crimes commis contre les Peuhls Mbororo, notamment en facilitant le dépôt de leurs plaintes, dossiers d’indemnisation et autres démarches. Il s’agira également d’établir et de mettre en oeuvre le principe de protection des minorités en situation de conflit en RCA, notamment la minorité Peuhle.

IV. Travailler, à travers des programmes d’éducation et de sensibilisation formelles et non formelles à moyen et long terme, afin de déconstruire le discours à l’origine du déchaînement de la haine.

V. Créer un mécanisme visant l’accompagnement dans le cadre du retour, de la réinstallation et de la relocalisation des Peuhls Centrafricains déplacés ou exilés.

VI. Réfléchir à une réponse durable aux conflits entre agriculteurs et éleveurs, et ceux liés à la grande transhumance.

VII. Organiser avec l’aide et l’appui de la communauté internationale des espaces d’activités à travers des programmes d’actions à mener au plan national et des actions dans le cadre des pays concernés directement par la crise (Tchad, RCA, Cameroun).

VIII. Arrêter un plan de développement régional du Nord-Est centrafricain.

IX. La défense du droit inaliénable au retour des réfugiés avec un plan d’urgence pour faciliter leur réinsertion dans la vie nationale qui comprendrait un programme de reconstitution des cheptels.

X. Appuyer les acteurs et les initiatives en Centrafrique, mais aussi au plan sous-régional, visant à soutenir les droits et la culture des communautés peuhles et nomades dans une perspective de pleine intégration citoyenne.

 

Les recommandations sont détaillées dans la dernière partie de ce rapport.

 

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« Pour sa survie politique, un président centrafricain se doit d’avoir une boussole indiquant le Nord avec précision. A Ban­gui, que l’on soit Chef d’Etat ou opposant, mieux vaut conser­ver de bonnes relations avec N’Djamena. L’ancien Président François BOZIZE l’a appris à ses dépens. Il a été balayé le 24 mars par la Séléka après que N’Djamena a ouvert la voie aux rebelles et même, selon plusieurs sources, donné un sérieux coup de pouce lors de leur offensive finale. »

 

1.3 Un déficit important en matière de gouvernance politique et de l’Etat de droit

 

L’évolution politique de la RCA au cours des dernières décennies a été marquée par une instabilité chronique, conséquence des conflits armés, d’une administration déficiente, du manque de respect de l’ordre et de la loi, du recours trop fréquent à la violence. L’un des résultats de cette évolution est la récurrence des comportements inciviques dans les relations entre les citoyens et les groupes sociaux.

 

Au début de 1990, toutes les forces d’opposition se réunissent dans une coalition avec comme objectif la démocratisation du pays. Elles se mettent en grève et, avec la pression internationale, réussissent à réintroduire le multipartisme en 1991, système qui avait été interdit durant le règne de BOKASSA. PATASSE et le MPLC gagnent l’élection qui se tient en 1993, dans l’esprit de la vague de le cas pour BOKASSA, l’arrivée de BOZIZE est favorablement accueillie, considérée comme libératrice, et comme telle, marquée par la participation des acteurs politiques et de la société civile à la transition institutionnelle. Mais en 2005, la réalité est tout autre : insécurité généralisée, démocratisation préconisée par l’opposition. Pour la première fois depuis l’indépendance, la volonté du peuple s’est librement exprimée.

 

La victoire de M. PATASSE est un véritable changement démocratique. Elle rompt avec la tradition de mascarade électorale qui, pendant la Guerre Froide, laissait invariablement un homme fort à la Présidence, ne quittant le pouvoir que par la force à la suite d’un coup d’État. Le seul problème est que PATASSE hérite d’une armée tribale qui lui est hostile.

 

En proie à un multipartisme balbutiant et à une cécité politique chronique, la République centrafricaine baigne dans une culture de la violence politique : régimes autoritaires, tribalisme, ethnicité, religion et conflits identitaires, élec­tions contestées, rebellions armées, tensions politiques, guerres civiles, coup d’Etat, insécurité meublent invariablement la scène publique depuis son acces­sion à l’indépendance. Le résultat constitue un traumatisme : viol de filles et de femmes, recrutement d’enfants dans les forces et groupes armés, crimes internationaux, associations de malfaiteurs, spoliations des biens, mutilations des personnes adultes et âgées, affrontements entre la population résidente et les immigrants, surtout originaires du Tchad.

 

En effet, dès 1993, l’élection présidentielle pluraliste qui établit finalement Ange-Félix PATASSE a d’abord été l’objet d’une tentative de blocage militaire à l’initiative du Général A. KOLINGBA, soutenu par un certain Général MANTION, personnage placé à la présidence centrafricaine par l’Elysée.

 

Ces deux hommes ne s’accommodaient pas de l’alternance politique. Il a fallu que les Centrafricains occupent les rues des semaines durant pour contraindre KOLINGBA et MANTION à l’évidence d’une ère démocratique qui rompait avec une tradition qui laissait invariablement un homme fort à la tête d’un pays, et qui ne quitterait le pouvoir que par la force.

 

Mais PATASSE hérite en même temps d’une situation économique et sociale assez explosive qui couvait. En effet, l’Etat centrafricain cumulait des dizaines de mois de salaires impayés. Une mutinerie éclate et paralyse le pays durant des mois. Idriss DEBY, appelé à voler au secours de PATASSE, engage une médiation entre le régime politique et les militaires. Finalement l’armée de DEBY saute sur Bangui et mâte les mutins. Cette intervention est caractérisée pars de graves atteintes aux Droits de l’Homme ainsi que des violences exercées sur les femmes. La communauté internationale s’en émeut, puis plus rien sur le plan de la lutte contre l’impunité.

 

Le soutien de DEBY à PATASSE s’accroît : il contribue à l’aide budgétaire du gouvernement de PATASSE et sur la plan sécuritaire, encadre les militaires Centrafricains. En même temps, les Tchadiens infiltrent progressivement la plupart des circuits commerciaux et les leviers politiques et sécuritaires stratégiques.Cette situation provoque progressivement les ressentiments des Centrafricains contre le tout Tchadien.

 

L’interventionnisme du Tchad s’accroît : le renversement de PATASSE par le Général BOZIZE en 203 est imputé à DEBY ; de même le soutien de DEBY à Michel DJOTODJIA et la coalition politico-armée Séléka qui renversa BOZIZE en mars 2013.  

 

Avec l’appui de ses partenaires au développement, le gouvernement centrafri­cain organise le Dialogue Politique Inclusif (DPI) en décembre 2008 regroupant tous les acteurs de la vie politique et sociale ; ces assises étaient la tentative la plus importante de surmonter l’instabilité chronique en RCA. Le DPI a enregis­tré la présence des représentants des groupes politico-militaires avec lesquels en 2007 et en 2008 des accords séparés de paix et l’Accord Global de Paix de Libreville (AGPL) avaient été signés.
Par ailleurs, en vue de résoudre les problèmes régionaux de sécurité liés aux conflits récurrents au Darfour, au Tchad et en RCA, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté, en septembre 2007, une résolution pour la mise en place d’une force multidimensionnelle, la Mission des Nations Unies en RCA et au Tchad (MINUCART) dans l’Est du Tchad et le Nord-est de la République Cen­trafricaine. Toutefois, le mandat de la MINURCAT a pris fin en décembre 2010, à la demande du gouvernement tchadien.

 

1.4 Une insécurité récurrente

 

Pays post conflit, la Centrafrique reste un pays fragile ; la longue période de crise ayant non seulement réduit l’activité économique, amenuisé les revenus de l’Etat mais aussi détruit nombre d’infrastructures sociales. Le sous-effectif et le sous équipement des forces de défense et de sécurité de la RCA ne leur permettent pas de restaurer la sécurité sur toute l’étendue du territoire.

 

Le problème au plan sécuritaire de la Centrafrique s’articule autour de deux points : situation préoccupante des Droits de l’Homme et insécurité généralisée (1) . En effet, de nombreux groupes armés écument dans tout le territoire et échappent au contrôle de l’Etat. On compte les ex-éléments de Jean-Pierre BEMBA, appelés Banyamulenges, établis dans les zones voisines de la RD Congo et les ex-gardes de PATASSE, dans le Sud-Ouest du pays, actifs sur l’axe Carnot-Berberati. Des «libérateurs Tchadiens et Centrafricains impliqués dans les actes de banditisme sur les routes et dans les villages dans le Centre et le Nord, communément appelés coupeurs de route ou Zaraguinas, sont aussi présents. Le régime BOZIZE fait face à la même situation que ses ex-compagnons d’armes qui l’avaient aidé à chasser PATASSE, notamment les soldats issus des FACA, des irréguliers Tchadiens – essentiellement Zaghawa, ex-soldats de Hissein HABRE, pilleurs de route aventuriers, etc.

 

La Police et la Gendarmerie sont également indexées dans les violations des Droits de l’Homme. On dénombrait fin 2012 plusieurs foyers de tension : au Nord-Ouest, région peuplée par les Kaba, Taley, Souma, Manja, Gbaya, Vallé, Litos, où opère l’APDR (l’Armée Populaire pour la Restauration de la Démocratie) ; au Nord-Est : région sous l’emprise d’éléments de la CPJP (Convention des Patriotes pour la Paix et la Justice) et l’UFDR (Union des Forces Démocratiques Républicaines) et de groupes armés tchadiens et soudanais du Darfour. Au Centre-Est : foyer de trois groupes armés à savoir la LRA (Lord Resistance Army), la CPJP (Convention des Patriotes pour la Paix et la Justice) et l’UFDR (Union des Forces Démocratiques Républicaines). Les attaques armées des coupeurs de route ou Zaraguinas et d’autres groupes y sont également fréquentes. Au Sud-Est, la LRA (Lord Resistance Army) est à l’origine de plusieurs attaques contre des groupes ethniques. Ces ethnies sont composées de : Zandé, Nzakara, Kpatéré, Yakouma, Langba, Ngbougou. La cohabitation est difficile entre les éleveurs Peulhs et les populations autochtones.

 

Une nouvelle coalition politico-armée composée de factions d’opposonts et d’ex-rebelles contre le gouvernement BOZIZE est formée en fin 2012 : la SELEKA. Son nom vient du terme du «Sango» dont le sens oscille entre « alliance » et « serment ». Elle regroupe aussi des mouvements politico-militaires hétérogènes, dont la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) de Nourredine ADAM, l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR) de Michel DJOTODJIA, la Convention Patriotique pour le Salut du Kodro (CPSK) − Kodro signifie en Sango «pays », « patrie » − dirigée par Mahamat Moussa DAHAFFANE (un Peuhl MBororo), le Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC) dirigé par Martin KOUMTAMADJI (aussi connu sous le nom d’Abdoulaye MISKINE). La Séléka rassemble aussi en son sein des mouvements plus marginaux (Union des Forces Républicaines, Alliance pour la Renaissance et la Refondation) ainsi qu’une vaste main d’oeuvre recrutée parmi d’anciens rebelles, bandits « coupeurs de route », hommes et jeunes gens évoluant le long de ces frontières poreuses, entre la Centrafrique, le Cameroun, le Tchad et le Soudan ; là où la violence et la guerre sont des expériences ordinaires et où le « métier des armes» est aussi une activité de subsistance et une forme de socialisation (1). Ceci explique les violences exercées sur les populations civiles dans la marche des Séléka vers Bangui.

 

Même si depuis 2008, cinq des groupes rebelles qui opèrent dans la partie Nord et Sud-Est du pays ont signé des accords de paix avec le Gouvernement et se sont inscrits dans un processus de DDR, les populations continuent de subir les attaques des braconniers en provenance des pays frontaliers, en quête de produits de la faune centrafricaine.

 

Les exactions de la LRA (Lord Resistance Army) ougandaise, en provenance de la République Démocratique du Congo voisine, qui s’est installée dans le Sud-Est de la RCA, se poursuivent et provoquent des déplacements de populations dans une région déjà sinistrée sur le plan économique.

 

Cette insécurité est renforcée par des bandes armées centrafricaines et étrangères qui opèren plus particulièrement dans l’Ouest du pays. Enfin, depuis peu, des tensions interethniques sur­gissent entre Goulas et Rongas dans la Vakaga, ainsi que des tensions entre agriculteurs et éle­veurs, dont certains sont en provenance de pays transfrontaliers. Cest tensions sont souvent liées à l’accès aux ressources naturelles telles que la terre et l’eau.

 

Cette situation d’insécurité persistante, à la fois cause et conséquence du déficit de la présence efficiente des services de l’Etat dans les zones de conflit, accentue les disparités pour l’accès à l’eau, la santé, l’éducation et aux infrastructures économiques (transport, énergie) entre le Sud et le Nord où les services de base sont quasi absents et la présence d’agents et d’institutions de l’Etat est faible.

 

En dépit des efforts entrepris avec l’organisation en septembre 2006 d’un dialogue national regroupant l’ensemble des partis politiques et des organisations de la société civile, soit un an après un cycle électoral relativement bien réussi, l’adoption en décembre 2004 d’une nouvelle constitution, la tenue en mars et mai 2005 d’élections législatives et présidentielles, la mise en place d’institutions démocratiques (Parlement, Cour Constitutionnelle, Conseil d’Etat, Cour de Cassation, Tribunal des Conflits, Cour des Comptes, Haut Conseil de la Communication, Conseil National de la Médiation, Conseil Economique et Social, etc.), l’adoption d’un nouveau Code Electoral et la réécriture du Code Pénal, du Code de Procédures et du Code de Justice Militaire, le déficit en matière de gouvernance et d’Etat de droit demeure important.

 

2 . LA CRISE ACTUELLE: UNE CATASTROPHE POLITIQUE ET HUMANITAIRE

 

La crise politique en Centrafrique nait de la prise du pouvoir à Bangui en mars 2013 par une coalition, les Séléka, à dominance musulmane. Elle s’est distinguée par des exactions et des violations graves et massives des Droits de l’Homme ciblant les non musulmans : des viols, des actes de vandalismes, des scènes de pillages, des assassinats, des attaques armées sur des églises et autres à Bangui et à l’intérieur du pays. Cette milice dénommée « les Ex-Séléka » (après la dissolution officiele de la Séléka en plusieurs groupes armés) a eu le soutien de certaines communautés musulmanes cen­trafricaines et non centrafricaines. Le Tchad est vivement cité dans le soutien et l’encadrement des Ex-Séléka.

 

En réaction à cette violence politique et humanitaire qui leur était ainsi imposée, les Centrafricains d’obédience chrétienne se sont organisés et ont formé à leur tour une milice armée qui s’est illustrée par une attaque armée à Bangui contre les Ex-Séléka le 6 décembre 2013. Cette attaque s’est sol­dée par des centaines de pertes en vies humaines parmi la population civile. L’attaque de la milice chrétienne baptisée « Anti-Balaka » va être marquée par un déchainement de violence et de haine en direction des communautés musulmanes installées en RCA depuis des décennies, notamment les Peuhls Mbororo. Des soupçons de participation dans les exactions pèsent également sur des éléments des forces armées Centrafricaines (FACA) dans l’appui et l’encadrement des Anti-Balaka.

 

Perpétrées par les Ex-Séléka et les milices chrétiennes Anti-Balaka, les atteintes aux Droits de l’Homme et au Droit Humnaitaire sont graves et massives :

 

- Sur le plan des Droits de l’Homme, de nombreuses violations relevant de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Les notions de « purge ethnique » et de « pré-génocide » sont souvent revenues dans les discours officiels et les rapports des OING, relayés par les médias internationaux

 

- En conséquence des violences exercées sur les populations civiles, une catastrophe humanitaire caractérisée par : des milliers de déplacés, de retournés Tchadiens, Camerounais, Maliens, Sénéga­lais, de refugiés, de femmes, d’enfants sans abris livrés aux intempéries, privés de soins de santé, d’école, d’hôpitaux, des églises et des mosquées vandalisés et détruits .

 

Au Tchad, de nombreux Peulhs ayant fui les violences résultant de la crise en Centrafrique sont sta­tionnés dans les Régions du Moyen Chari et du Mandoul, du Logone Oriental et du Chari-Baguirmi avec une forte présence en milieu rural (zones frontalières avec la RCA) et dans les périphéries des villes telles que Doba, Goré, Baïbokoum, Koumra, Maro, Bépopen et Sarh.

 

La majorité d’entre eux hésite à se rapprocher du HCR, de peur d’être à nouveau marginalisée comme dans leur pays d’origine.

 

D’après certaines sources, les réfugiés Peuhls Centrafricains au Tchad sont répartis comme suit : 800 à Koumra, 3000 à Maro dans la Moyenne-Sido, 2435 à Sarh, 350 à N’Djamena, 4320 à Goré, et 2500 à Moundou, soit 13405 personnes

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3 . LES PEUHLS EN  CENTRAFRIQUE

3.1 Histoire de lImplantation des Peuhls Mbororo

Les MBororos constituent la grande branche nomade des PEUHLS d’Afrique Occidentale. Cer­taines sources évoquent leur origine comme venant de l’ancien Mali, c’est-à-dire l’empire Mandingue. Mais des sources documentées soutiennent que les MBororos de RCA seraient plutôt originaires des territoires nigériens. Les mêmes sources leur attribuent le statut de « continuateurs » des premiers Peuhls qui vinrent de l’Est, puis atterrirent au Fouta Toro et au Fouta Djalon, où ils se fixèrent, trou­vant le pays favorable et se mélangeant aux races locales

Ce mouvement MBororo semblerait s’être dispersé sur deux directions : une partie gagna les ter­ritoires BORNOUAN, tandis que l’autre descendit vers le Sud, probablement en suivant le chemi­nement des Foulbés qui s’établirent au Cameroun et plus précisément vers l’ADAMAOUA. Une autre partie du rameau BORNOUAN pris la route du Sud et aurait fait sa jonction avec l’autre vers N’GAOUNDERE. Mais en ADAMAOUA, les MBororos ne pouvaient supporter la tutelle des Lamibés Foulbés. Ils essayèrent de leur échapper, tout en restant dominés par les exigences de pâturages. Ils ne pouvaient remonter vers les territoires du Nord Cameroun où se trouvaient encore des Lamidats. Ils tentèrent donc de pénétrer en Centrafrique une première fois en 1914 mais les Bayas firent un mauvais sort aux troupeaux et même portèrent atteintes aux personnes. Vers 1920, ils recommen­cèrent timidement, puis s’installèrent définitivement vers 1924.

 

Quatre périodes historiques majeures caractérisent la vie des Peulhs Mbororo en Centrafrique. La période initiale couvre les années 1920 où, partis du Cameroun, les Peulhs MBororo arrivent en RCA et s’installent dans la région de la Nana Mambéré. Globalement, le processus de l’immigration MBororo aurait évolué de la manière suivante : des éleveurs ont transhumé alternativement du Nord Cameroun au Tchad en fonction des saisons depuis la fin du XIXème siècle. Ils auraient ensuite contourné les pâturages de l’Oubangui en 1914 pour échapper aux exactions et aux réquisitions des troupes allemandes. Mais des différends avec les sédentaires les auraient contraints à réintégrer le Cameroun, une fois la paix revenue. Après diverses tentatives timides en 1921-1922, certaines sources laissent entendre que les premières migrations se sont produites au Sud de Koundé en di­rection des chutes Lancrenon pour échapper aux brimades de certains Lamido vers 1926 ; plusieurs chefs Foulbés étant à l’origine de ces déplacements . En 1932, Peuhls MBororos et Foulbés pos­sédant plusieurs milliers de têtes de bétail occupaient les pâturages le long de la frontière, au Nord de la subdivision de Bouar-Baboua et au Sud de celle de Bocaranga. Dans la même période, des MBororo, en provenance du Cameroun et du Nigéria affluent : ils fuient leurs chefs traditionnels et les impositions trop lourdes, venant en « Oubangui » où de grands parcours sont disponibles et où il n y a pas d’impôt sur le bétail. Ces Peuhls MBororo sont réputés non violents et solidement attachés à l’Islam.

 

Ils possèdent des zébus de longues cornes appelés Mbororozi et des zébus Goudali à bosses tom­bantes très implantés dans le nord du Cameroun.

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Ce sont les premiers à introduire les boeufs en République Centrafricaine. Avant l’arrivée des Peulhs MBororo, la Centrafrique ne possédait pas le moindre cheptel bovin sur son territoire. En 1908, PSI­CHARI décrit la région de Bouar et de l’Ouham-Pendé sans évoquer nulle part d’activité pasto­rale. En revanche, il révèle que l’approvisionnement en viande est assuré par un troupeau d’animaux de boucherie convoyé par des bergers Peuhls, qui suit la colonne militaire depuis son départ du Ca­meroun. Actuellement, le cheptel national atteint des millions de têtes. Cette situation est en effet le fruit d’une longue série d’essais, d’expériences et de projets qui ont été poursuivis avec ténacité par les pouvoirs publics, notamment le Service de l’Elevage. Ce service spécialisé, fortement structuré peut mener à bien une politique cohérente de l’élevage en République Centrafricaine, avec la conti­nuité et les pouvoirs nécessaires

 

Puis on assiste à une dissémination géographique progressive de la communauté à travers laquelle, sous l’encadrement de l’administration coloniale, les Peulhs essaiment dans la Waka, dans le centre du pays. Certains chefs, notamment Ardo OUMAROU, fixés initialement à Bossembele migrent vers l’Est, à Damara ou Yppi et Alindao (Bambari). Certains vont occuper les pâturages de Yaloké, Carnot et Boda, etc.

 

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Dans un rapport, J.C. BILLE note avec pertinence : « Lorsque le MBororo devra s’enraciner, peut-être acceptera-t-il de considérer comme patrimoine, non seulement son troupeau, mais aussi son sol», et d’ajouter : «L’élevage doit bénéficier avant toute chose d’un climat de confiance qui permette à l’éleveur de ne pas se sentir indésirable, séparé de sa nation. Sa fixation, sa participation à l’éco­nomie sont les plus sûrs garants de sa discipline».

La fixation des Peuhls MBororos, déjà fortement amorcée, était pratiquement acquise en les inté­grant dans la communauté centrafricaine. L’Etat leur reconnait le titre de nationaux en organisant des structures administratives, politiques et économiques propres et adaptées à leur mode de vie, contrairement au Tchad ou au Cameroun, ce qui fera d’eux par la suite les pasteurs transhumants les mieux encadrés d’Afrique.

 

Ces atouts économiques favorisent l’intégration politique et économique des Peulhs MBororo. Il faut souligner au passage que pour en arriver là, les Peulhs MBororos et leurs bétails ont posé de très nombreux problèmes aux autorités depuis leur implantation. Les objectifs essentiels étaient d’abord de les maintenir sur place, alors que la stabilité dans le pays était encore précaire – on connait la facilité de mobilité et d’exode de ces grands nomades. Les approcher, gagner leur confiance pour les intégrer dans la communauté en leur apportant assistance sanitaire, assistance vétérinaire et organi­sation administrative a aussi été un défi. Sous l’impulsion d’une volonté politique, cette intégration se traduit par une éclosion, dans les années 1970, de collectivités locales. L’Etat centrafricain créé des communes d’élevage, ce qui laisse s’établir aux Peulhs un double espace, un espace économique où les échanges économiques et commerciaux s’organisent entre la communauté et les autoch­tones. Un espace politique, où on assiste à l’émergence de maires Peulhs éleveurs dans une aire géographique considérable, notamment dans la Nana Mambéré, De Gaulles, la Waka au Centre, la Basse Kotto et la Haute Kotto, est aussi mis en place. Cette deuxième période correspond ainsi à la période d’intégration économique et politique de la communauté Peulh MBororo de Centrafrique.

Sur le plan strictement politique, cette dynamique favorise l’intégration des Peulhs dans des struc­tures d’encadrement, notamment dans le secteur de gros élevage à travers la Fédération Nationale des Eleveurs de Centrafrique (FNEC) ou à travers l’Agence Nationale de Développement de l’Ele­vage (ANDE), fortement appuyées par les partenaires techniques et financiers dans les années 1980-1990, notamment la Banque Mondiale.

Le processus de structuration de la filière bétail/viande, imposé par les bailleurs de fonds, a consisté à faire entrer de manière progressive dans un cadre formel, contrôlé par l’État, des secteurs écono­miques largement informels. Le but était de faire bénéficier les membres de ces associations de for­mations, mais surtout de leur faire payer cotisations, taxes et impôts. Ce processus avait débuté en 1974 avec la création de l’Association Nationale des Eleveurs Centrafricains (ANEC), affaiblie par la reforme agraire de 1970. Ensuite, en 1982, la création de l’Association Nationale des Bouchers Cen­trafricains (ANBC) devenue en 1985 la Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains (FNEC, qui avait créé les Groupements d’Intérêt Pastoraux GIP). Le processus s’est poursuivi avec la création de l’Association Centrafricaine des Commerçants du Bétail (ACCB) en 1991, puis de l’Association des Commerçants de Bétail Centrafricain (Acobeca) en 1998.

3.2 Organisation des communautés peuhles

 

Les Peuhls sont organisés au sein de familles élargies qui constituent toutes ensemble plusieurs groupes (ou clans) appelés chez les Peuhls « légnol», rassemblés autour d’un chef dignitaire l’Ardo. On peut retrouver aujourd’hui en Centrafrique une centaine de familles regroupées au sein de quatre légnols.

 

Le premier légnol arrivé est donc bien celui des Djafoune venus du nord Cameroun en 1920, qui se sont installés dans l’ouest de la RCA. Ils rassemblent environ 50 familles et 50% de la population peuhle de Centrafrique.

 

Un deuxième légnol, des Wodabé du Cameroun sont eux-aussi venus dans les années 1922 tandis que ceux du Tchad sont venus plus tard en 1975. Ils rassemblent 10 familles et représentent envi­ron 16% des Peuhls Centrafricains. Les Wodabé sont présents partout sur le territoire, surtout dans l’Ombella-M’Poko, l’Ouham, l’Ouham Pende et la Ouaka.

 

Le troisième légnol, celui des Ouda, est venu du Tchad, du Nigéria et du Niger dans les années 1975- 1976 et ses membres se sont surtout installés dans le Nord-Ouest dans la Préfecture Nana Gribizi, dans le Oum Boumou et la Haute Kotto. Ils rassemblent 10 familles et représentent eux-aussi environ 16% des Peuhls.

Le dernier légnol, celui des Danadji, originaire en partie du Nigeria et en partie du Tchad et ses membres sont venus en Centrafrique en 1975-76.

 

Il existe aussi d’autres communautés transhumantes non centrafricaines qui nomadisent réguliè­rement en RCA et qui posent de nombreux problèmes, en particulier les Mbararas arabes qui sont des éleveurs Tchadiens mais aussi des Peuhls Ouda et Wodabé Tchadiens. Ces derniers brûlent les champs, sont armés et pillent sur leur chemin. Il y a eu aussi amalgame entre Peuhls et musulmans durant la dernière crise, assimilés à des étrangers Tchadiens, et à des coupeurs de route et bracon­niers qui utilisent les pistes des Peuhls.

 

Il existe des tensions entre les légnols. Certains groupes, en particulier venus plus récemment en important des cultures conflictuelles de leur région d’origine, posent des problèmes particuliers à la communauté. Ces groupes ont fournis jusqu’à 80% des troupes peuhles de Baba Lade, de la Séléka ou aujourd’hui du Général Darassa.

 

Les sédentaires Peuhls ne sont que 15% dont la majorité continue à nomadiser en brousse. Les Djafoune sont davantage sédentarisés (50%), scolarisés et plus structurés. Sur les 7 communes d’élevage, tandis que la dernière ne rassemble que des Wodabé et les 6 autres rassemblent essen­tiellement des Peuhls Djafoune.

 

Si chaque famille a un chef dignitaire Ardo, seuls les Djafoune ont un Lamido. Le Lamido est l’équiva­lent d’un roi ou d’un sultan, doté d’une autorité traditionnelle et culturelle sur l’ensemble des légnols. Cette autorité est confirmée par les autorités politiques du pays. Le Lamido a pouvoir de justice tradi­tionnelle, il gère des impôts pour l’Etat et lève la dime (Djaka) pour la gestion du lamidat. Il est aussi un chef religieux qui nomme les Imams et qui travaille avec les marabouts. Il garde aujourd’hui ce rôle traditionnel tout en endossant un rôle d’interface avec le Gouvernement. Le Lamido nomme les Ardo de tous les légnols. La communauté peuhle n’est pas repliée sur elle-même, en témoigne le grand nombre de mariages entre ethnies. Les Peuhls hommes se marient souvent avec des femmes des autres communautés de RCA.

 

3.3 Lorganisation économique de la société peuhle

 

L’économie des Peuhls MBororos repose exclusivement sur l’élevage, lui-même composé de boeufs zébus. Chez les MBororos, les grands éleveurs partagent leurs animaux en deux catégories : les «Sourezi» dont les troupeaux sont composés de vaches laitières et vivent dans la « concession » même du propriétaire, et les « Horezi ». Les troupeaux Horezi quant à eux sont composés principale­ment de mâles castrés et de femelles stériles. Le troupeau est confié à un berger et peut être parfois très éloigné du propriétaire. C’est dans ce troupeau que sont les animaux destinés à la boucherie et que l’on pratique les gros prélèvements qui permettent de payer le voyage à la Mecque.

 

Lorsque la période de transhumance de saison sèche survient, un inventaire des bêtes faibles est effectué : celles âgées, et boiteuses sont vendues aux commerçants qui parcourent la brousse. Puis le MBororo leur fait boire de l’eau «natronée» et, un matin, a lieu le départ, la descente vers les grands cours d’eau.

 

Le troupeau constitue le « coffre fort » du MBororo qui vend ses bêtes au gré de la nécessité : pour se nourrir, acheter du natron ou payer ses impôts. Mais il vend surtout les bêtes jeunes, c’est-à-dire celles les plus exposées à la maladie. Et quand, par crainte de sanctions il ne pourra vendre une jeune bête, il se débarrassera de la plus vielle et la plus squelettique, et conservera de beaux boeufs pour des besoins plus importants.

 

En RCA, l’éleveur MBororo opère d’abord la sélection sur la robe de la bête sans négliger la produc­tion laitière. Il n’est pas rare de voir de superbes taureaux castrés parce qu’ils ont une robe fauve. La castration se pratique par écrasement et martelage entre deux bâtons, avec parfois toute une cérémonie.

 

La thérapeutique utilisée pour les soins du bétail est très simpliste : la fuite devant la maladie, le natron, et le fer rouge. Les principales maladies qui frappent les bovins en RCA sont : l’ascaridiase ou «souara». Très fréquente et surtout mortelle chez le veau de un ou deux mois, le charbon ou « mboutou » tue surtout à un ou deux ans. La trypanosomiase ou « wadahoundé » fait des ravages après les transhumances de saison sèche ayant amené les troupeaux au contact des grandes gale­ries forestières, et les dermatoses.

Le MBororo élève très peu de moutons en RCA. Quand il le fait, c’est pour avoir trois ou quatre têtes et pouvoir sacrifier le mouton traditionnel à la fête de LAIADJI (1). Ce mouton est de taille moyenne, en général squelettique, blanc à vilaine toison.

Le MBororo utilise aussi un cheval petit et trapu, mais très rarement. Très peu de géniteurs vivent sur place, la plupart étant amenés du Cameroun, et se vendent chers. Mal nourris et mal soignés ils ré­sistent peu aux grandes fatigues et, non ferrés, souffrent sur les affleurements de roches latéritiques.

 

4 . LES PEUHLS DANS LA CRISE ACTUELLE

4.1 Problématique

Les Peuhls MBororo, éleveurs ou gardiens de bétail, dont ils ne sont souvent même pas proprié­taires, sont la cible des différents régimes qui se sont succédés depuis plus de 20 ans. A chaque alternance, le nouveau pouvoir les accusant d’être à la solde du précédent, ils continuent de subir représailles, amendes, taxes illégales, vols de bétail… Leur situation est encore pire aujourd’hui dans ce pays où l’on chasse « les étrangers musulmans ». Les Peuhls de l’Ouest du pays ont fui en masse les massacres, les viols, les pillages… 60 000 se sont réfugiés au Cameroun, et 40 000 au Tchad, se mêlant aux milliers d’autres musulmans qui ont fui le pays. Quelques communautés sont restées piégées et vivent encerclées par les Anti-Balaka.

Certes, une minorité de Peuhls a participé à des rébellions : 350 d’entre eux ont suivi Baba Ladé, chef d’un mouvement en rébellion contre le président DEBY puis ont rejoint la Séléka en 2013. Mais il ne faut pas confondre les Peuhls Centrafricains avec les coupeurs de routes et les braconniers très nombreux dans ce pays, et surtout avec d’autres Peuhls mercenaires venus du Tchad, du Soudan, du Nigeria, du Niger pour combattre aux côtés de la Séléka. Des groupes nomades très dangereux, armés et vindicatifs, viennent aussi chaque année du Tchad et du Soudan pour de longues transhu­mances. Tous ceux-là ne sont pas des Peuhls Centrafricains. Même si certains d’entre eux sont aujourd’hui dans les structures politiques et de commandement de la Séléka (un porte-parole, un chef d’opération militaire), il s’agit de quelques centaines de personnes sur une communauté dont on ne connait pas la taille avec précision, certains parlant de 180 000 membres, d’autres allant jusqu’à 400 000 voire 750 000 personnes, en tout cas une communauté présente dans presque toute la Centrafrique.

Par amalgame, ceci amène les Centrafricains, mais aussi de nombreux acteurs et observateurs de la crise centrafricaine, à soupçonner la communauté peuhle d’être partie prenante dans le conflit. Personne ne semble s’interroger sur la situation actuelle et l’avenir de cette importante communauté centrafricaine.

 

4.2 Les Peuhls victimes ignorées depuis 30 ans

En République Centrafricaine, on ne connait le Peuhl que sous un seul angle : l’élevage. « On naît, on vit et on meurt avec son métier » . Le Peuhl ignore totalement l’école, les enfants ne sont donc pas scolarisés. Le Peuhl MBororo ne s’intéresse pas non plus à la politique. Ignorant ce que leur conférait leurs prérogatives en tant que sujet de droit, ils étaient des laissés pour compte, de sorte que tous les régimes politiques qui se sont succédé en RCA se sont servis d’eux économiquement (1). Qu’est-ce qui explique donc qu’ils soient indexés, stigmatisés et finalement ciblés dans la cruauté qui s’est déferlée sur cette minorité (2) en Centrafrique dans la crise post-ré­gime de BOZIZE ? Plusieurs hypothèses pourraient explique cette situation.

 

Les années 1990 correspondent à ce que l’on nomme la « phase des dérives ». Ces dérives, carac­térisées par des violences, des atteintes aux droits humains, des voies de faits, etc., tirent leurs ori­gines à la fois du degré de puissance économique des Peulhs Mbororo, et des multiples situations politiques et économiques conjoncturelles que traverse la République Centrafricaine.

En effet, dans les années 1990, la puissance économique qu’est devenue la communauté peuhle de Centrafrique attire des convoitises, et ceci à plusieurs niveaux.

Politiquement, ce pays marqué par l’extrême pauvreté et la faiblesse financière de l’administration publique, l’Etat se tourne vers le Peulh et fait de lui le principal contribuable : impôts de tout genre au travers d’actions légales, licites, ou illicites, etc.

Ensuite au niveau des Forces de Défense et de Sécurité centrafricaines, la communauté peuhle a subi des pressions financières et économiques que ces forces publiques ont exercé dans les années 1990’ Ces dernières organisent en faveur de l’émergence du phénomène de prédateurs appelés sous le vocable « coupeurs de routes », ou encore « Zaraguinas ». Les coupeurs de route se manifestent par des prises d’otages d’enfants, contre de fortes rançons ; leurs actions criminelles se soldent aussi par des tueries et des assassinats. Les crimes imputés aux coupeurs visent les populations rurales en général, mais ciblent surtout les Peulhs MBororo, du fait de leur situation économique enviable.

Les années 1990 sont aussi une période de crise pour les producteurs ruraux, notamment dans les filières agricoles. Cette conjoncture provoque une perte de pouvoir d’achat des agriculteurs et, par conséquent, provoque et développe en leur sein des appétits par rapport aux éleveurs, majoritaire­ment composés de Peulhs. La cohabitation pacifique entre agriculteurs et éleveurs, bâtie dans les années 1970 à la faveur de la réforme agraire sous BOKASSA et traduite par des regroupements des villages dans la cadre de la culture attelée, vole en éclat. En effet, les communautés d’agricul­teurs, à cause des conflits avec les éleveurs, s’en prennent aux bétails, mènent des attaques ar­mées et des actions de représailles sur leurs voisins Peulhs. Ces frictions préfigurent les violations massives qui vont s’exercer sur la communauté peuhle à la faveur de l’arrivée des Séléka en 2012.

 

1 : Selon des témoignages concordants, dans les pratiques courantes des voies de fait qui s’exercent sur les voyageurs, le Centrafricain paye par exemple 100 FCFA, alors que le Peuhl est sommé de verser 500 FCFA, soit cinq fois plus, parce que, dit-on, il est économiquement plus puisant que les autres Centrafri­cains. Mais il faut noter que les Peuhls MBororos de RCA sont également victimes des autres musulmans, qui opèrent sur eux d’énormes extorsions d’argent lors des pèlerinages.
2 : Les estimations établissent leur nombre à 700.000 personnes sur 6.000.000 d’habitants en RCA, soit 20% de la population totale.

 

Extrait du mémorandum de l’AIDPSC, 12 février 2014
Nous sommes des éleveurs et des gardiens de bétail dont nous ne sommes souvent pas les propriétaires. Depuis plusieurs années, à chaque changement de régime, nous sommes victimes de représailles : le nouveau nous accusant d’être à la solde du précédent.
Par exemple, lorsque Monsieur Ange Félix PATASSE arrive au pouvoir en1993, son entourage et les membres de la garde présidentielle arrêtent et rackettent les éleveurs Peuhls-MBororo en les accusant d’être les gardiens du bétail et les partisans de son prédécesseur André Kolingba.
Plus tard après la chute du président PATASSE, les membres de la garde rapprochée de son tombeur, François BOZIZE, ont également arrêté arbitrai­rement et rançonné notre communauté, nous accusant d’être des coupeurs de route et des partisans du président Ange Félix PATASSE.
L’an dernier, après que quelques groupes peuhls centrafricains aient rejoint la Séléka, toute la communauté a été stigmatisée par le régime de Monsieur BOZIZE qui a ensuite mené des représailles contre nous.
Après son coup de force, la Séléka nous a accusés d’être les complices et gardiens de bétail des figures de l’ancien régime. C’est ainsi que depuis l’an­née dernière, nous sommes victimes de meurtres et de rackets. Sous la Sé­léka, les éleveurs peuhls se sont vus imposer, « un droit de pâturage »illégal variant de 500 000 à 10 000 000 FCFA par famille en fonction de la taille du bétail. Cette rançon était dix fois plus élevée que celle qui nous était imposée sous le régime de François Bozize.
Ce sont maintenant les Anti-BALAKA également, qui tuent, torturent, violent et massacrent les Peuhls MBororo du fait de leur appartenance religieuse musul­mane et en les accusant d’être de connivence avec les Sélékas.
Toutes ces exécutions et violations des droits des Peuhls ont entraîné des déplacements massifs des populations à l’extérieur du pays où la situation est loin d’être favorable.

Dans pareil contexte caractérisé par des pressions d’origines diverses, la tendance à l’autodéfense vis-à-vis des coupeurs de route voit le jour en milieu peuhl centrafricain: les hommes vont se doter d’armes à feu (armes de guerre, armes de chasses, armes traditionnelles, etc.) en vue de sécuriser les bétails. Cette tendance à l’auto sécurisation est renforcée dans le cadre de la transhumance entre le Tchad et la RCA d’une part, et entre le Soudan et la RCA d’autre part. On voit ainsi des convoyeurs équipés d’armes exercer cette activité de mobilité et d’exploitation de troupeaux hors des frontières internationales de la RCA (RD Congo, Congo, Gabon, etc.) et, retourner en RCA sans bétails mais fortement armés.

Tous ces éléments ambiants visant les Peuhls vont aboutir à une cristallisation quand François BO­ZIZE prend le pouvoir à Bangui en 2003. Cette cristallisation va se traduire par une mauvaise per­ception des populations musulmanes, un amalgame contre tout musulman, qu’il s’agisse de Peuhls, de Haoussa ou de Bambara, etc.

Les violences et atteintes ayant pour cibles les Peuhls de Centrafrique prennent naissance depuis les années 1990. Cette situation tire son origine de la crise économique et l’apparition du phéno­mène des coupeurs de route qui, dans toute leur brutalité et leur violence, frappent de plein fouet la Centrafrique.

4.3 La Paupérisation des éleveurs Peuhls de RCA

Dans les années 70-80, on constate un phénomène de sédentarisation des éleveurs Peuhls en Centrafrique. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette mutation sociologique, mais elle est surtout attribuée à une diminution importante des effectifs du troupeau, entraînant l’impossibilité de vivre uniquement des revenus d’un élevage conduit de manière extensive. L’éleveur qui se paupérise, en perdant tout ou partie de ses bêtes, doit se tourner vers d’autres types d’activités économiques pour survivre. Et pour générer des revenus monétaires afin de pouvoir subsister, il se tourne naturellement vers l’agriculture car l’accès à la terre est relativement aisé et peu onéreux. Mais la pratique agricole nécessite un état de moindre mobilité, ne serait-ce que provisoirement. Puis d’autres activités choi­sies par l’éleveur comme le commerce, la pêche ou la recherche de diamants imposent une certaine sédentarité. La diminution des effectifs bovins est souvent aussi liée à une décapitalisation accélérée du troupeau, conséquence d’une augmentation des charges monétaires induites par l’accroissement de la taille de la famille et par l’inflation des prix des produits de première nécessité. L’éleveur se voit alors contraint de consommer des produits alimentaires manufacturés, des médicaments humains et animaux. La diminution de la taille du troupeau s’explique aussi par des raisons indépendantes de la volonté des éleveurs : d’abord les maladies que l’on sait en recrudescence, mais aussi les vols et les rançons demandées par les Zaraguinas en cas de rapt d’enfant. L’insécurité grandissante en brousse, avec la présence des coupeurs de route et du vol des bêtes, pousse également les éleveurs à rechercher une installation permanente (sédentarisation) le long des principaux axes routiers réputés plus sûrs.

Cette nouvelle donne expose des jeunes à la manipulation politique, comme BABA LADE ne s’est pas privé d’en user par des recrutements massifs de jeunes Peuhls.

Le début des dérives surviennent avec BABA LADE(1), chef rebelle Peuhl Tchadien ayant éta­bli sa base politique et militaire sur le territoire nord centrafricain. BABA LADE recrute de jeunes essentiellement parmi les Peuhls Il sévit et s’illustre dans des violations massives des Droits de l’Homme, des braquages. Le phénomène de coupeurs de route dénommés « Zaraguinas » est at­tribué aux hommes de ses troupes et aux Peuhls en général. Les populations du Nord centrafricain, qu’il s’agisse de chrétiens, de musulmans et de Peulhs payaient pourtant au prix fort l’effort de guerre de BABA LADE. Mais leur mutisme face aux souffrances que leur infligeaient simultanément les troupes de Baba Ladé, la Séléka et les Anti-Balaka les laissaient apparaître comme ayant fait allé­geance à ces groupes armés. L’idée de vengeance se forme progressivement dans l’esprit collectif des Centrafricains non musulmans, qui n’attendaient que leur « jour ». Cette idée de vengeance se renforce, surtout qu’après le départ de BABA LADE de le RCA, ces hommes, la majorité de ses éléments centrafricains sont restés avec leurs armes, puis se sont reversés au sein de la formation rebelle Séléka (2).

Aussi, l’apparition subite du Peuhl au sein des forces ou groupes armés provoque une surprise gé­nérale, lui dont on ne connait d’autres activités en dehors de l’élevage. Cette situation déstabilise les esprits, d’autant que l’on compte au sein des plus hautes structures politiques et militaires des figures peuhles (3), ce qui finit par établir définitivement dans les esprits, à tort d’ailleurs, l’idée de tra­hison, de complicité et de collusion des Peuhls MBororos avec les Séléka dans les déchaînements de violence exercés sur les Centrafricains non musulmans. Ainsi, la cohésion séculaire qui régnait entre Peuhls et l’ensemble des communautés en RCA vole en éclat. Les Peuhls se retrouvent pié­gés, surtout qu’on n’identifie en leur sein aucun leader politique capable de proposer et de faire valoir un agenda politique.

 

1 : Cette formation armée s’illustre beaucoup plus en RCA que sur le territoire tchadien. Il signe un accord de paix avec N’Djamena en 2012, rentre au pays, puis est nommé successivement Conseiller du Premier Ministre, Préfet à Maro (Chef-lieu de la Grande Sido, Département frontalier avec le Nord-Est de la RCA. Il est mis en accusation par la justice centrafricaine en 2014 pour crimes internationaux. Il échappe en décembre 2014 à une tentative d’enlèvement des services spéciaux tchadiens, s’enfuit en RCA où il est mis aux arrêts, puis à la demande du Gouvernement tchadien, il est l’objet d’un transfert judiciaire au Tchad où son dossier est en instruction.
2 : Coalition constituée de formations rebelles, essentiellement des résiduels des hommes de Baba Ladé, des mercenaires Tchadiens, Soudanais . Ayant à leur tête Michel Djotodjia et soutenus par N’Djamena, ils marchèrent en quelques semaines sur Bangui où ils renversèrent le Général Bozizé et s’illustrèrent dans des violences cruelles contre les Centrafricains non musulmans.
3 : le Général Ali Darassa, un des leaders Séléka, et le Général Mahamat Moussa Dahaffane de la Convention Patriotique pour le Salut du Kodro sont Peuhls, leur alliance avec les Séléka a servi de prétexte dans le déchaînement des violences contre les populations peuhles, qui n’avaient aucune accointance avec lui. Dafane a signé l’Accord de Brazzaville en janvier 2014.
 

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A suivre….



04/07/2015

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