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La crise centrafricaine : une question de confiance !

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 [ Par  Shérazade Gatfaoui |Mis à jour|19 avril 2015 ] 

La Centrafrique traverse, depuis mars 2013, une crise politique, sécuritaire et humanitaire sans précédent. Ce chaos est le résultat de la profonde crise de confiance que connaît le pays depuis sa création en 1958. Les partenaires engagés dans la résolution de cette crise doivent intégrer l’impérieuse nécessité de reconstruire la confiance des citoyens entre eux, des citoyens envers les institutions et les politiques.

La communauté internationale a été amenée à intervenir, depuis l’offensive en décembre 2012, puis la prise de pouvoir par la Séléka en mars 2013, suite aux exactions de cette dernière (alliances de rebelles majoritairement musulmans) et des Antibalaka (milices chrétiennes) contre les populations. Les interventions, qui vont jusqu’à prendre la forme d’une mise sous tutelle, visent à rétablir la paix, garantir la sécurité et assurer la stabilisation politique. Malgré une certaine accalmie, force est de constater que les interventions de la Communauté Internationale (SANGARIS, MISCA, EUFOR et MINUSCA), telles qu’elles se sont déployées depuis le début des opérations, ne suffisent pas à rétablir la sécurité et à mettre fin aux violences.

La Centrafrique traverse la crise la plus grave de son histoire. Selon Didier Niewiadowski, ancien Conseiller de Coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France de Bangui : « la dernière crise ne peut s’apparenter à une nouvelle mutinerie impliquant les seules forces armées de Centrafrique ». Cette crise est à la fois nationale et régionale. Elle implique la Centrafrique et les pays de la sous-région (Cameroun, Tchad, Soudan, Congo Brazzaville, République Démocratique du Congo). Aussi, les risques associés aux activités des groupes armés transnationaux pourraient mettre en péril l’équilibre des États de la sous-région. Elle se distingue également par sa dimension inter-religieuse et inter-communautaire. Suite au renversement, par la Séléka, du Président François Bozizé en mars 2013, Michel Djotodia est devenu le premier chef d’État musulman dans un pays majoritairement chrétien. Les actions violentes de la Séléka à l’encontre des populations chrétiennes puis des Antibalaka envers les populations musulmanes ont aussitôt plongé le pays dans la terreur. Face à la gravité de la situation, certains observateurs et experts internationaux n’ont pas hésité à la qualifier de « nettoyage ethnique ». Alors que l’objectif de l’action internationale est d’assurer le cessez-le-feu entre les parties belligérantes, l’enjeu aujourd’hui va au-delà de la gestion du conflit inter-religieux et de la réconciliation entre les communautés. Il s’agit avant tout d’une crise du système politique et judiciaire.

La défiance règne

La République Centrafricaine est atteinte d’un mal persistant, la défiance, devenue le marqueur distinctif de la société centrafricaine depuis son indépendance, accompagnée de multiples mutineries contribuant à l’instauration de cette défiance devenue culturelle. Ce pays est devenu la fabrique de comportements opportunistes et déviants. Le constat est accablant : anarchie, insécurité, disparition de l’État de droit, faillite de l’économie, paupérisation de la population, perte de sens de la fonction de l’État, des politiques et déclin progressif du sentiment national. La crise de confiance qui en découle, pour ne pas dire l’absence de confiance, peut être considérée comme un des facteurs clés du conflit entre les communautés. Elle apparaît comme un obstacle majeur à la reconstruction de la Centrafrique. Elle est en grande partie liée au dysfonctionnement continu des institutions, censées être les garantes de la confiance. Enfin, les divergences régionales et la répartition confuse des tâches entre les acteurs de la gestion de la crise aggravent le sentiment de défiance des populations et des partenaires impliqués.

Reconstruire la confiance : le défi du Forum de Bangui

La construction d’une nation forte ne peut s’imaginer sans confiance entre l’État, les Institutions, les associations, les politiques, les partenaires commerciaux et les citoyens. À ce jour, tous les dispositifs conventionnels mobilisés pour résoudre cette crise ne suffisent pas à rétablir cette fiabilité. Il est alors nécessaire d’en penser les conditions et d’éveiller les consciences de chacun sur la nécessité de construire la confiance pour permettre la reconstruction du pays (reconstruire l’État et les Institutions publiques/State-Building).

Que faut-il faire pour construire la confiance en Centrafrique ? D’une part, il est nécessaire de définir clairement la position et le rôle de la Communauté Internationale dans la gestion de la crise centrafricaine. Quelles sont aujourd’hui les priorités, les positions, la volonté, les plans d’action concrets de la France, de l’Europe et des Nations Unies sur le long terme ? À l’heure actuelle, face à la persistance des exactions, le rétablissement, le maintien et la consolidation de la paix semblent compromis, sans ce préalable. Pourtant, l’action internationale pourrait être le premier garant du rétablissement de la paix et de la construction de la confiance. En d’autres termes, qui aura le courage et les moyens d’aller plus loin que les opérations sous casques bleus et d’assurer l’application stricte des résolutions des Nations Unies ? Penser l’action internationale dans la période post-conflit et au-delà paraît une évidence. La France qui semble détenir tous les leviers militaires, humanitaires, politiques et économiques, pourrait en être l’initiatrice. La création d’un Haut Conseil pour la Construction de la Confiance en Centrafrique pourrait ainsi être une initiative internationale. Chargée d’apporter une aide à la décision, de faire des recommandations et de proposer des solutions adaptées, cette instance réaliserait des audits de confiance (ex. : confiance entre citoyens, des citoyens envers les Institutions, des investisseurs en RCA). Elle serait composée de membres experts du monde de la recherche, de l’entreprise, de la politique, des médias, du sport et de la culture. L’idée serait de contribuer collectivement à la construction de la confiance entre citoyens, politiques, institutions, partenaires économiques et financiers, et médias. Un rapport annuel et des avis consultatifs concernant la construction de la confiance dans tous ces domaines pourraient faire l’objet d’applications par le gouvernement centrafricain.

D’autre part, les politiques centrafricains doivent s’interroger sur la modernisation du système politique. Les Centrafricains manifestent une grande défiance à l’égard des compétences des politiques et de leur intégrité. Cependant, gagner du crédit auprès des citoyens passe par la capacité à en faire preuve. L’une des composantes majeures de leurs réflexions et de leurs actions devrait être la construction de la confiance (Confidence Building) des citoyens envers les politiques et des citoyens entre eux. Ils doivent aujourd’hui montrer une volonté réelle de co-construire avec les citoyens un projet de société. Cela nécessite de développer de nouvelles politiques d’envergure pour reconstruire le pays et son économie. Néanmoins, le leadership politique, la vision d’un parti politique pour incarner la volonté d’ancrer durablement le changement sont des conditions préalables au développement du pays.

Alors que le monde s’accorde à dire que la Centrafrique est un pays failli, les Centrafricains, bien au contraire, et plus que jamais, peuvent s’atteler à penser eux-mêmes les solutions à cette crise. Cela ne peut se faire sans dialogue et sans coopération entre politiques, représentants des Institutions et de la société civile. Le dialogue inter-centrafricain/Forum de Bangui, prévu fin avril 2015, pourrait être une occasion historique pour poser les fondations de la construction d’une « société de confiance » et d’un « État de confiance ». Il est fondamental de répondre aux attentes profondes des Centrafricains, de leur redonner une liberté de pensée et d’actions. Des mesures et des efforts devraient être menés pour recréer un Nation-building, visant à redonner du sens au « vivre ensemble » et à reconstruire l’identité nationale. La création d’une Commission de mise en place et de contrôle de mesures de Confidence Building pourrait permettre de proposer des actions concrètes et d’évaluer, dans ce domaine, les pratiques des institutions. La construction de la confiance en Centrafrique nécessitera la mobilisation de tous et devrait à la fois être un pari politique, citoyen, tourné vers l’avenir.

 

©Contrepoints



19/04/2015

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