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Déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Centrafrique, débat et vote sur cette déclaration

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M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Centrafrique, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution.

 

Je rappelle que la Conférence des Présidents a décidé que ce vote donnerait lieu à un scrutin public, et qu’il n’y aurait pas d’explications de vote.

 

La parole est à M. le Premier ministre.

 

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, le 5 décembre dernier, le Président de la République décidait d’envoyer nos soldats en République centrafricaine afin d’éviter à ce pays de sombrer dans le chaos.

 

En effet, la Centrafrique était en proie à une violence généralisée et à une dérive confessionnelle. Les Séléka, ces milices à dominante musulmane qui avaient déposé quelques mois auparavant le président Bozizé, multipliaient exactions et pillages. Les anti-balaka, recrutés parmi les populations chrétiennes, commençaient à s’en prendre aux civils musulmans, par esprit de vengeance, mais aussi, parfois, pour des motifs crapuleux.

 

Sur la base d’un mandat des Nations unies et en appui à la force de l’Union africaine, l’opération Sangaris poursuivait deux objectifs : rétablir la sécurité en République centrafricaine et permettre le retour des organisations humanitaires ; favoriser la montée en puissance de la force africaine, la MISCA, et son déploiement opérationnel. Cette intervention répondait à l’urgence. Il n’y avait plus, en Centrafrique, ni armée, ni police, ni justice. Les écoles et les hôpitaux avaient cessé de fonctionner. À la tête d’un État failli, l’équipe de transition avait perdu tout contrôle, et la spirale de la violence prenait brutalement une ampleur nouvelle. À la veille de notre intervention, les massacres avaient fait pas moins de 1 000 victimes dans la capitale. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce qu’était la réalité centrafricaine !

 

La France, par la voix du Président de la République à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, avait, dès septembre 2013 – je tiens à le rappeler ici –, alerté la communauté internationale. Mais, à l’exception des États voisins, de l’Union africaine et des acteurs humanitaires, notre mise en garde n’avait pas permis de surmonter une coupable indifférence, et la République centrafricaine se trouvait au bord du gouffre.

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Mesdames et messieurs les députés, voilà la question que nous devons nous poser : fallait-il que la France, qui était, grâce à ses forces prépositionnées, la seule à pouvoir intervenir sans délai en appui à la MISCA, laisse ces atrocités se perpétrer et le pays s’enfoncer dans une situation que certains, à l’ONU, ont qualifiée de « pré-génocidaire » ? Fallait-il abandonner ce pays en plein coeur de l’Afrique, dans une région déjà très fragilisée par les conflits dans les Grands Lacs ou au Soudan ? Fallait-il prendre le risque de laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et du terrorisme ? Fallait-il rester sourds à l’appel au secours désespéré de la population centrafricaine et à la demande de soutien des Africains ? À l’évidence, non ! Je sais que, comme moi, ce n’est pas l’idée que vous vous faites de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas la conception que nous avons du rôle de notre pays dans le monde. C’est d’ailleurs ce que vous aviez tous exprimé, mesdames et messieurs les députés, lors du précédent débat.

 

Bien au contraire, la France devait prendre ses responsabilités. Et c’est parce que nous avons agi que des massacres de masse ont été évités, que chaque jour des vies sont sauvées, et que la République centrafricaine a une chance de pouvoir reprendre en main son destin. C’est aussi parce que nous avons été capables d’ouvrir la voie que, peu à peu, avec nos amis africains, nous entraînons nos autres partenaires internationaux. Je le rappelle : la France a pris ses responsabilités. Contrairement à ce que je lis ou entends parfois, la France n’est pas seule, elle n’est pas isolée, mais elle a pris ses responsabilités. En peu de temps, la MISCA est passée d’environ 2 500 hommes au début de notre intervention à 6 000 aujourd’hui. Elle accomplit un travail de grande qualité, en bonne coordination avec Sangaris. De nombreux pays contribuent aux opérations en cours, par un soutien logistique indispensable : c’est le cas des États-Unis et de nos partenaires européens. L’Union européenne apporte aussi un soutien financier, à hauteur de 50 millions d’euros.

 

Au-delà de ce soutien, l’Union européenne a décidé d’engager directement des troupes sur le terrain en établissant à l’unanimité, le 10 février dernier, l’opération EUFOR-RCA. Elle a pris cette décision plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait dans des circonstances comparables. Dans les prochains jours, un premier échelon devrait arriver sur le terrain. Cette force européenne aura pour mission principale d’assurer la sécurité de l’aéroport de Bangui et de certains quartiers, ce qui permettra à la MISCA et à Sangaris de continuer à se déployer en province, où leur intervention est très attendue. À ce jour, une dizaine de partenaires européens ont fait part de leur intention d’y contribuer. Le processus de génération de forces se poursuit. Comme l’a annoncé la chancelière Merkel à l’occasion du conseil des ministres franco-allemand la semaine dernière, l’Allemagne devrait, elle aussi, participer à cet effort par des moyens logistiques.

 

Il appartient aux Nations unies de faire davantage, et de faire plus vite : c’est le souhait exprimé par le secrétaire général lui-même. L’ONU doit notamment être en mesure de coordonner l’aide humanitaire, de préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, ainsi que d’aider le gouvernement centrafricain à avancer vers les élections. Les Nations unies ont un rôle évident à jouer dans la lutte contre l’impunité, grâce au déploiement d’une commission d’enquête internationale, dont le travail complétera celui de la Cour pénale internationale. Enfin, la préparation d’une opération de maintien de la paix, en partenariat avec l’Union africaine, doit s’accélérer – j’y reviendrai dans un instant.

 

Mesdames et messieurs les députés, nos efforts ont commencé à porter leurs fruits. L’embrasement généralisé qui menaçait a été évité. La mobilisation internationale s’organise. Sangaris poursuit avec opiniâtreté les objectifs qui lui sont assignés. À Bangui même, l’insécurité ne se concentre plus que sur quelques quartiers. La plupart des combattants ex-Séléka ont été désarmés et cantonnés, sous le contrôle de la MISCA, et nombre d’entre eux sont repartis vers le nord du pays. Dans la capitale, la menace vient principalement des anti-balaka, contre lesquels nous agissons de manière très vigoureuse. Dans la moitié occidentale du pays, des affrontements entre communautés ont toujours lieu. En lien étroit avec la MISCA, nos forces font le maximum pour protéger les populations chrétiennes et musulmanes avec une totale impartialité. À l’est, il convient de veiller à ce que les regroupements d’ex-Séléka n’aboutissent pas à une coupure de fait entre cette région et le reste du pays.

 

Le départ massif de populations musulmanes constitue un sujet de vive inquiétude, dans un pays où les religions ont longtemps vécu en bonne harmonie. Les pays voisins, à commencer par le Tchad et le Cameroun, font preuve de beaucoup de solidarité en accueillant un nombre important de réfugiés. Ils doivent pouvoir compter sur l’appui de la communauté internationale ; celui de la France leur est pleinement acquis. En matière humanitaire, la situation reste en effet très critique, avec 250 000 réfugiés et 825 000 déplacés, dont 400 000 dans la capitale. Un habitant sur deux a besoin de soins médicaux d’urgence, un sur cinq d’aide alimentaire. Le départ de nombreux musulmans, qui animaient le commerce, fragilise encore davantage l’économie. Sur place, les agences des Nations unies s’efforcent de faire face. Le Programme alimentaire mondial a mis en place un pont aérien, qui permet de ravitailler les déplacés en attendant que la MISCA, soutenue par Sangaris, sécurise totalement l’axe vital entre Bangui et le Cameroun. De nombreuses ONG, qui n’avaient jusqu’à présent pas pu agir, sont très actives, dont Médecins du monde et Médecins sans frontières, qui gèrent le seul hôpital resté ouvert à Bangui.

 

Sur le plan politique, la nouvelle présidente de transition, Catherine Samba-Panza, première femme à diriger un pays d’Afrique francophone, a su créer une dynamique, et je tiens à lui renouveler devant vous le soutien de la France. Il faut maintenant que cette dynamique puisse se concrétiser dans la vie quotidienne de la population, et que le paiement du salaire des fonctionnaires reprenne, afin que les institutions de base recommencent à fonctionner. Les pays de la région ont promis leur aide. Il est important que les institutions financières internationales, elles aussi, soient au rendez-vous. La France agit en ce sens.

 

Mesdames et messieurs les députés, je viens de décrire sans fard la situation de la République centrafricaine. Oui, il faut bien le dire, les difficultés sont considérables. Non, la France ne les sous-estime pas et ne cherche pas à les minimiser. Pour autant, les premiers progrès sont réels et une perspective se dessine, dans tous les domaines. Des élections doivent être organisées d’ici février 2015…

 

M. Yves Fromion. En novembre !

 

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …et des étapes importantes ont été franchies : le code électoral a été adopté et l’autorité électorale est désormais en place. Il y a urgence à ce que la communauté internationale mette les moyens nécessaires au respect de ce calendrier.

 

Pour son développement, la République centrafricaine, qui a longtemps fait partie des orphelins de l’aide, a besoin de l’assistance internationale. À Bruxelles, le 20 janvier dernier, près d’un demi-milliard de dollars ont été promis pour faire face aux défis humanitaires les plus pressants et engager dès maintenant la reconstruction économique et sociale du pays. La France s’est engagée à hauteur de 35 millions d’euros pour 2014. Notre assistance technique redémarre, et nous travaillons à accélérer la remise en marche de l’État. Ceci est nécessaire pour permettre le retour des principaux bailleurs, le FMI, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l’Union européenne.

 

Quant à la sécurité, une opération de maintien de la paix sous casque bleu nous paraît seule à même de répondre aux besoins de la Centrafrique. La MISCA effectue un travail indispensable, qui doit être conforté dans la durée. La mise en place d’une opération de maintien de la paix permettra de garantir les renforts nécessaires, sur le plan militaire, et d’assurer, sur le plan civil, le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants, ainsi que l’organisation des élections. Le secrétaire général des Nations unies présentera dans les tout prochains jours un rapport en ce sens ; nous souhaitons que le Conseil de sécurité l’examine début mars, afin que l’opération puisse être déployée au plus vite. D’ici là, Sangaris assurera son rôle de relais, aux côtés de la MISCA et de l’opération EUFORRCA.

 

Afin de répondre à la situation et à l’appel du secrétaire général de l’ONU, le Président de la République a décidé, à la suite du conseil de défense du 14 février, d’en porter les effectifs à 2 000 hommes. Notre effort supplémentaire comprend le déploiement anticipé de forces de combat et de gendarmes français, qui participeront ensuite à l’opération européenne. Au-delà, la France pourra réduire son effort et maintenir une présence en appui à l’opération des Nations unies, mais elle n’a pas vocation à se substituer aux forces internationales, auxquelles il incombe d’assurer, dans la durée, la sécurisation de la République centrafricaine.

 

Mesdames et messieurs les députés, à Bangui et partout en République centrafricaine, nos soldats ont trouvé un pays dévasté. Comme toujours, ils ont fait preuve d’un grand courage et d’un professionnalisme particulièrement élevé, qui sont l’honneur de la France. Je salue leur engagement et je rends hommage à nos trois soldats qui ont perdu la vie lors de missions opérationnelles, les caporaux Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio le 10 décembre dernier, et le caporal Damien Dolet ce dimanche. Je salue aussi la mémoire de leurs compagnons d’armes, les soldats de la MISCA tués en opérations. Dans cette épreuve, la nation a su se rassembler, dès le déclenchement de notre opération, et je veux en remercier tous les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition.

 

Une délégation de députés, conduite par la présidente de la commission des affaires étrangères, Élisabeth Guigou, est allée à Bangui, la semaine dernière, pour prendre toute la mesure de la situation. Le Gouvernement continuera, par ailleurs, – je m’y engage – à informer autant que nécessaire la représentation nationale. Chacun est conscient, ici, que notre action n’est pas terminée. Et c’est la raison pour laquelle, conformément à l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, je suis venu vous demander, aujourd’hui, d’autoriser la prolongation de notre intervention. Cette intervention a permis d’éviter la destruction totale de la Centrafrique. L’action et le courage de nos soldats forcent l’admiration.

 

Les conditions sont réunies pour qu’un accompagnement international robuste – militaire, humanitaire et politique – permette à la République Centrafricaine de retrouver le chemin de la paix. D’ici là, il nous revient de continuer à assumer nos responsabilités. C’est un défi, mais c’est aussi l’honneur de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs des groupes UMP et UDI.)

 

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

 

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, le débat que nous avons aujourd’hui est grave, nécessaire, mais aussi délicat. Nécessaire bien sûr, parce que l’article 35 de la Constitution prévoit l’autorisation par le Parlement d’une intervention extérieure dépassant quatre mois. Nécessaire aussi car l’action de nos forces armées en Centrafrique ne peut réussir sans le soutien de la nation. Et ce soutien – ce consensus, je l’espère – ne peut exister s’il n’y a pas de débat.

 

Mais l’exercice est également délicat. En raison du calendrier parlementaire, il se tient alors que l’opération Sangaris en Centrafrique n’a que deux mois et demi. À l’heure des nouvelles technologies et de l’actualité en continu, les cycles de l’information sont sans cesse plus courts et plus nombreux. Aussi le lancement de cette opération peut-il sembler avoir eu lieu il y a une éternité. Il commence même, aux yeux de certains commentateurs, à s’enliser. Mais que sont deux mois et demi pour un pays plongé depuis des décennies entières dans un chaos politique ancien et complexe, qui a fini par ébranler l’unité même de son peuple ?

 

Car il faut le rappeler : si le Président de la République a décidé de déclencher l’opération Sangaris quelques heures seulement après le vote de la résolution 2127 des Nations unies, c’est pour enrayer une spirale de violence qui menait tout droit la République Centrafricaine vers son autodestruction, vers un génocide. À ce titre, la rapidité et l’efficacité avec lesquelles les forces françaises se sont déployées à plusieurs milliers de kilomètres de nos frontières ont permis d’éviter le pire. Je tiens d’ailleurs à remercier et à saluer tous les personnels de la défense qui ont contribué, directement ou indirectement, à atteindre l’objectif immédiat de Sangaris : empêcher des crimes de masse qui auraient signé la fin de la Centrafrique et la déstabilisation des pays voisins. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

 

Je veux aussi, à mon tour, rendre hommage aux soldats de première classe Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, du 8e RPIMa de Castres, qui ont perdu la vie lors d’un échange de tirs au début de l’intervention, et au caporal Damien Dolet, du régiment d’infanterie chars de marine de Poitiers, qui a perdu la vie dimanche dernier. Je veux aussi dire à leurs familles toute la gratitude et la reconnaissance de la patrie tout entière à leur endroit.

 

Alors bien sûr, la situation sur le terrain reste fragile. Les communautés musulmanes, associées à tort aux ex-rebelles de la Séléka qui avaient porté Michel Djotodia au pouvoir, quittent les principales villes du pays, notamment à l’Ouest, sous la menace des milices anti-balaka qui, sous couvert de la religion, tuent, volent et pillent leurs concitoyens.

La bonne volonté des autorités de transition, des dignitaires religieux ou encore des ONG ne pourra mettre fin à elle seule au sentiment d’impunité dont jouissent ceux qui terrorisent des pans entiers de la population. L’arrivée au pouvoir de la présidente de transition Catherine Samba-Panza constitue une nouvelle donne pour la reconstruction politique du pays, mais ce processus sera long et difficile. Sans les ressources financières et matérielles suffisantes pour acheminer l’aide humanitaire, pour rémunérer les agents des ministères régaliens que sont la défense, l’intérieur, la justice, pour assurer le bon déroulement des élections prévues en 2015, le fonctionnement minimal d’un État de droit digne de ce nom ne sera pas garanti et les factions prédatrices jadis au pouvoir continueront de menacer le pays.

 

La France pare donc au plus pressé, sécurise autant que faire se peut la capitale et commence à se projeter dans le reste du pays. Afin de répondre au mieux aux urgences, le Président de la République a augmenté de 400 nos effectifs supplémentaires de militaires et gendarmes sur place.

 

Ces renforts sont les bienvenus, car ils garantiront les premiers acquis à Bangui tout en augmentant notre capacité d’action en province. Mais ils ne sont que temporaires et ne doivent pas cacher la réalité du terrain : l’aide de tous est indispensable pour la reconstruction de la Centrafrique.

 

Nous avons besoin de l’aide des Centrafricains, de tous les Centrafricains, car la République Centrafricaine et ses institutions ne pourront se reconstruire sans la réconciliation de son peuple dans toutes ses composantes. Il faut désormais mettre de côté les ruines de la haine et du ressentiment pour poser les fondations d’une société pacifiée.

 

Nous avons besoin de l’aide des Africains. Les 6 000 hommes de la MISCA accomplissent un travail remarquable, mais leur manque de mobilité, de logistique et de transmission sont des freins réels à sa capacité de projection sur le terrain, malgré l’assistance des Américains.

 

Nous avons besoin de l’aide des Européens. Le déploiement de l’opération de l’Union européenne, l’EUFOR-RCA, censée rassembler près d’un millier d’hommes, doit avoir lieu rapidement avant que saison des pluies n’entrave les voies de circulation.

 

Je salue les pays qui ont d’ores et déjà annoncé leur participation à cette opération. Alors qu’un détachement de la brigade franco-allemande va rejoindre les effectifs présents au Mali plus d’un an après le lancement de l’opération Serval, je ne perds pas espoir quant à la participation future d’éléments de groupements tactiques européens en Centrafrique. Certains de nos partenaires freinent des quatre fers et je le regrette car à terme, ces outils n’ont pas été générés pour rien, mais bien pour servir les missions de Petersberg qui fondent la politique européenne de sécurité et de défense. À cet égard, il faudrait plus d’allant pour rejoindre le mouvement initié par notre pays.

 

Nous avons besoin d’une opération pour le maintien de la paix. Le Président de la République l’a fait savoir au secrétaire général des Nations unies : la Centrafrique a besoin de casques bleus. Une mission des Nations unies serait à la fois une bouffée d’oxygène pour les forces de la MISCA et de Sangaris et pour les ONG, mais aussi un levier inestimable pour permettre aux autorités de transition de mettre en œuvre la feuille de route prévue par les accords de Libreville.

 

Enfin, et surtout, nous avons besoin du soutien des Français. Je sais que certains d’entre eux ont du mal à comprendre pourquoi nous nous engageons militairement à plus de 5 000 kilomètres de Paris. La tentation du repli sur soi est chose commune en période de difficultés. Mais nous sommes la France, le pays des droits de l’Homme, fondateur des Nations unies et membre permanent de son Conseil de sécurité. Nous avons la capacité militaire de couvrir un large spectre de missions. Nous avons des responsabilités sur la scène internationale.

 

Je le dis autant plus aisément que la République Centrafricaine est au carrefour de la région des grands lacs, de l’Afrique de l’Est et du Sahel. Toute incapacité prolongée pour la Centrafrique à contrôler son territoire serait une véritable aubaine pour les réseaux terroristes et mafieux, ainsi que des trafics en tout genre – ivoire, diamant, êtres humains, armes lourdes et légères, drogue. Car si la nature a horreur du vide, les criminels le chérissent plus que tout.

 

Empêcher l’effondrement de la République centrafricaine, c’est éviter la déstabilisation, par un effet « dominos », du Cameroun, du Soudan, de la République démocratique du Congo ou encore du Tchad voisins. Il me semble que la RCA est bien une poudrière en puissance, et l’aurait été si nous n’étions pas intervenus, pour l’ensemble du sous-continent, comme ont pu l’être les Balkans au siècle dernier.

 

Alors oui, cela peut nous sembler lointain. Mais l’Afrique se trouve aux portes de l’Europe, et tout embrasement de l’autre côté de la Méditerranée représente un risque stratégique majeur pour notre sécurité. Les destins de nos deux continents sont liés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre dispositif prépositionné doit évoluer pour faire face aux nouvelles menaces bien sûr, mais demeure essentiel pour prévenir et juguler l’éclatement de crises.

 

Nous partageons avec l’Afrique subsaharienne en général, et avec la République centrafricaine en particulier, une histoire commune. Au nom d’un long et sombre chapitre de cette histoire, certains estiment que nous n’aurions pas dû intervenir. Mais c’est précisément parce que cette période est révolue que nous avons pu lancer l’opération Sangaris, sous le mandat des Nations unies. C’est parce que nos relations avec la RCA sont désormais sans ambiguïtés que sa présidente peut demander que l’on accompagne jusqu’au bout le processus de transition.

 

Et puis, qu’aurions-nous pu faire d’autre que d’aider ce pays ami ? En décembre dernier, alors que nos forces se déployaient, mille Centrafricains sont morts en moins de vingt-quatre heures. Combien de vies auraient été perdues si nous étions restés les bras croisés et si le Président de la République n’avait pas décidé quelques heures après le vote de la résolution de l’ONU d’intervenir et de demander à nos troupes de s’engager sur le terrain ?

 

Il faut être clair, tourner la page de cette histoire, ce n’est pas tourner le dos à l’Afrique, ce n’est pas se rendre coupable de non-assistance à État en danger ! C’est prendre toute sa part de responsabilité, sa juste part, dans le respect du droit international et en étroite coopération avec les organisations régionales et les Nations unies.

 

Mes chers collègues, vous l’avez compris, notre intervention a permis d’éviter un drame humanitaire, mais le chemin à parcourir vers une situation sécuritaire stabilisée et un ordre politique reconstruit reste long et difficile.

 

M. Charles de Courson. Dix ans !

 

M. Bruno Le Roux. Le Parlement restera vigilant quant aux évolutions à venir, et l’Assemblée nationale utilisera tous les moyens à sa disposition pour exercer sa mission de contrôle. Car tout comme il ne peut y avoir consensus dans l’hémicycle sans débat préalable, il ne peut y avoir soutien du législatif sans droit de regard sur l’action de l’exécutif, dans le respect des prérogatives de chacun.

 

Pour cela, les missions d’information des commissions compétentes effectueront, comme elles en ont l’habitude, un travail minutieux d’évaluation. Et, grâce à l’article 4 de la nouvelle loi de programmation militaire, toutes les opérations extérieures en cours feront désormais, chaque année, l’objet d’un débat au Parlement afin d’en dresser un bilan politique, opérationnel et financier. Nous avons bien l’intention de nous appuyer sur ces avancées. Il y a un siècle de cela, quand l’ombre de la Grande Guerre commençait à planer sur le monde, Jean Jaurès avait raison : « L’affirmation de la paix est le plus grand des combats. » Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement et l’armée française, nos soldats engagés sur le terrain, peuvent compter sur le groupe socialiste, républicain et citoyen pour les aider à mener ce grand combat pour la paix en Centrafrique. Pour la sécurité de ce pays, pour la stabilité du continent africain, et pour la sécurité collective. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC,écologiste et RRDP.)

 

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob.

 

M. Guy Geoffroy. On va sortir de la langue de bois !

 

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République a engagé nos soldats en Centrafrique le 5 décembre dernier. La Constitution lui confère ce pouvoir, mais elle confère aussi au Parlement celui d’accepter ou de refuser la prolongation d’une opération militaire. Ce pouvoir, il nous revient de l’exercer avec un sens aigu des responsabilités,…

 

M. Jacques Myard. Très bien !

 

M. Christian Jacob. …par respect pour le constituant qui nous l’a confié, par respect pour nos hommes présents sur le terrain et qui risquent leur vie pour la France. (Applaudissements.) Comme mes prédécesseurs, je souhaite honorer la mémoire de nos trois soldats qui sont tombés en mission. (Mêmes mouvements.)

 

Par respect enfin pour l’Assemblée nationale, car il serait tout de même paradoxal d’avoir réclamé ce pouvoir de codécision et de l’exercer comme une simple formalité. L’Assemblée nationale n’est pas la chambre d’enregistrement d’une décision présidentielle.

 

M. Jacques Myard. Très bien !

 

M. Christian Jacob. Nous avions soutenu l’opération Sangaris car elle s’appuie sur le vote d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La France exige la force du droit international pour intervenir.

 

M. Jacques Myard. Sauf en Syrie !

 

M. Christian Jacob. C’est une constante de notre diplomatie politico-militaire depuis 1945 et nous y sommes profondément attachés.

 

Nous avions soutenu l’opération Sangaris car la France sert, dans un pays à feu et à sang, une mission noble, juste et finalement conforme aux valeurs de la République. Pouvait-elle, sans rien faire, sans rien dire, cautionner des pillages, des viols, des massacres confessionnels et ce qui aurait inexorablement débouché sur un génocide ? Nous ne le pensions pas en décembre, nous le pensons toujours pas aujourd’hui. Détourner le regard de cette région du monde où la France a une histoire si particulière serait incompréhensible.

 

En décembre, avant d’exprimer la position du groupe UMP, favorable à cette intervention, j’avais évoqué nos doutes et nos inquiétudes. La France était bien seule et elle l’est toujours. Le Président de la République a été, disons-le, bien imprudent dans cette affaire, passant de l’hésitation à la précipitation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est d’ailleurs une marque de fabrique de l’action internationale du chef de l’État. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. Guy-Michel Chauveau. Dommage, vous aviez bien commencé !

 

M. Christian Jacob. Cette imprudence débouche, comme nous le craignions, sur une impasse, sur un piège dont on voit mal comment vous allez sortir. Où est la stratégie partagée de l’Union européenne ? Nulle part. Où sont les renforts européens promis ? S’ils arrivent, combien seront-ils exactement ?

 

Le Président de la République n’a pas réussi, à ce stade, à entraîner nos partenaires. II n’a pas su leur expliquer que dans cette partie du monde, ce n’est pas une affaire franco-africaine qui se joue. Nous avons certes une responsabilité historique en Afrique, mais l’Europe en a une également. Il appartenait à François Hollande d’exercer un vrai leadership. Il a échoué. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

 

Notre seconde inquiétude tient à la soutenabilité de cette opération. Nos armées font un travail remarquable avec un sens du devoir exceptionnel. Vous savez pertinemment qu’elles ne pourront pas tenir éternellement. Elles le pourront d’autant moins que vous avez sous-évalué les dépenses des OPEX et anémié le budget de la défense avec une loi de programmation très faible et sans ambition. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. Pierre Lequiller. Eh oui !

 

M. François Loncle. Et vous, qu’avez-vous fait ?

 

M. Christian Jacob. Les militaires nous disent – vous devriez les écouter – que vous ne leur donnez pas les moyens de vos ambitions, ni d’une manière générale, ni en Centrafrique. C’est pourquoi la baisse à venir des effectifs de l’armée de terre est une aberration. Un moratoire sur ces réductions d’effectifs s’impose pour faire face à ce contexte d’engagement opérationnel accru. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

 

Un bon chef militaire vise des objectifs crédibles et affecte les moyens en conséquence. En l’occurrence, François Hollande n’est pas un bon chef des armées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.– Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. Sébastien Denaja. Vos propos sont indignes !

 

M. Henri Jibrayel. Scandaleux !

 

M. François Loncle. Qu’avez-vous fait en Libye ?

 

M. le président. Seul M. Jacob a la parole. Calmez-vous, mes chers collègues.

 

M. Christian Jacob. J’ai demandé au nom de mon groupe – et fini par obtenir – une mission parlementaire, malheureusement de très courte durée, qui s’est rendue à Bangui au début de la semaine dernière. Pierre Lellouche, Philippe Meunier et Alain Marsaud y représentaient notre groupe ; notre collègue Yves Fromion a également eu l’occasion de se rendre plusieurs jours à Bangui la semaine dernière.

 

Que nous disent nos collègues ? Que nos soldats sont héroïques, que Bangui respire à nouveau peu ou prou. Ils nous disent encore que la périphérie de la capitale et le reste du pays sont toujours en proie à de très vives tensions et sont hors de contrôle. On ne peut pas exclure que les hommes de la Séléka décident de prendre le contrôle de la partie nord-est du pays.

 

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. C’est bien pour cela qu’il importe de prolonger notre présence !

 

M. Christian Jacob. Ce ne sont pas les 1 600 soldats français du contingent initial, ce ne sont pas 400 hommes de plus qui pourront durablement remettre sur pied un État qui n’existe plus, un État qu’il faudra le rebâtir de A à Z.

 

M. Jacques Myard. Eh oui !

 

M. Christian Jacob. Il faudra des années, non seulement pour reconstruire l’État, mais encore pour réconcilier les communautés religieuses et garantir l’intégrité territoriale du pays.

 

M. Pierre Lequiller. C’est la vérité !

 

M. Christian Jacob. Ce ne sont pas les efforts et la bonne volonté de la présidente Samba-Panza qui sont en cause.

Reconnaissez-le, dites-le aux Français. Nous ne voulons pas la répétition des mensonges de décembre. Car oui, cela va encore vous choquer, mais le Président de la République nous a menti en annonçant « une mission courte qui n’a pas vocation à durer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. François Loncle. Minable ! Archi-nul !

 

M. Christian Jacob. Nous devions rester six mois au plus, avec 1 600 hommes, et votre ministre de la défense admet du bout des lèvres que ce sera plus long, beaucoup plus long. Pour combien de temps encore ? Je crains que vous ne le sachiez pas et que vous improvisiez. Ce sera un domaine de plus où, avec François Hollande, vous emmenez la France dans l’inconnu. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

 

En vérité, vous nous emmenez dans un piège terrible, terrible car la France ne peut plus repartir, à moins de prendre le risque insoutenable de déclencher un génocide dans ce pays. Les plus fanatiques attendent le signal du déchaînement de la haine, et ce signal sera le départ de nos soldats.

 

À ce stade, et au regard d’une forme d’incurie dans la gestion diplomatique de ce dossier (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC), vous n’avez qu’une porte de sortie. Et trouver cette porte de sortie, extrêmement étroite, suppose de démultiplier vos efforts pour vaincre la frilosité de la communauté internationale.

 

M. Jean-Philippe Mallé. Votre discours n’est pas au niveau !

 

M. Sébastien Denaja. Lisez le blog d’Alain Juppé !

 

M. le président. Mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer !

 

M. Christian Jacob. Vous aurez l’occasion de me répondre.

 

Nous pensons qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de déployer une véritable opération d’ordre et de maintien de la paix. La France ne peut plus se contenter de vagues promesses de contributions volontaires des États. Il faut obtenir de l’ONU un financement et un commandement dans lequel la France prendra sa part avec les forces africaines de la MISCA. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.) Si vous n’obtenez pas ce changement profond dans la mission en Centrafrique, celle-ci risque de devenir un bourbier pour notre pays. Vous ne serez sans doute plus là quand cela arrivera, alors ne laissez pas à d’autres, demain, la charge de faire ce que vous n’avez eu ni le courage, ni la volonté, ni la force politique de faire.

 

M. Henri Jibrayel. Ridicule !

 

M. Christian Jacob. Car c’est bien à cela que votre politique nous expose : devoir dans quelques mois ou quelques années réparer vos erreurs si c’est encore possible. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. Christian Assaf. Comme en Libye !

 

M. Christian Jacob. Les députés du groupe UMP demandent donc solennellement que soit installée une mission parlementaire permanente de suivi à laquelle toutes les forces politiques de la représentation nationale seraient associées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupeUMP.)

 

M. Sébastien Denaja. Quelle ambition !

 

M. Christian Jacob. Il faut éviter que le financement de cette opération ne se fasse au détriment

du budget de la défense.

 

Les députés du groupe UMP souhaitent que vous mesuriez bien que leur vote ne sera pas un blanc-seing. Ce ne sera pas un oui à une opération où la France est isolée, dramatiquement isolée ; ce ne sera pas un oui à une opération non financée dans la durée ; ce ne sera pas un oui à François Hollande. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. François Loncle. Assumez votre position !

 

M. Christian Jacob. J’aimerais que vous veniez répondre à ces questions à cette tribune au lieu de vociférer.

 

D’aucuns pensent que François Hollande mériterait que nous lui disions non. Il le mériterait d’autant plus que lui-même a souvent fait preuve d’une grande légèreté par le passé. Souvenez vous : lors de la séance du 8 avril 2008, ici même, François Hollande a défendu une motion de censure portant sur l’engagement de nos forces en Afghanistan. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Il n’avait pas hésité à refuser la prolongation de l’engagement militaire de la France.

 

M. André Schneider. Eh oui, ils l’ont oublié !

 

M. Christian Jacob. Celles et ceux qui étaient présents dans l’hémicycle se souviennent que ce ne fut pas glorieux pour l’image de la France, pas glorieux non plus pour le chef d’un parti de gouvernement. Le sens de l’État qu’il n’a pas eu, nous l’aurons pour lui aujourd’hui. Notre vote sera donc un oui, un oui d’espoir pour le peuple centrafricain, un oui de respect et de reconnaissance pour nos soldats que nous admirons profondément, un oui pour l’honneur et le rayonnement de la France qui sortirait affaiblie, voire déconsidérée, par un retrait unilatéral. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

 

M. François Loncle. Ils ont vraiment choisi le plus mauvais !

 

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

 

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m’exprime au nom du groupe UDI et de son président, Jean-Louis Borloo à qui je souhaite – mais je pense que je ne suis pas le seul – un très prompt rétablissement. (Applaudissements.)

 

Le Gouvernement nous demande aujourd’hui de voter l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Centrafrique, comme nous l’avions fait il y a dix mois pour le Mali. Permettez-moi, avant toute chose, de souligner l’engagement de nos hommes sur le terrain qui une fois de plus, par la qualité de leur action, font honneur aux armes de la France. Dans un contexte particulièrement difficile, bien différent de celui du Mali car aucun adversaire n’est clairement identifié, c’est une mission périlleuse qu’ils ont à assumer.

 

Au premier rang des troupes sur place, il y a la 11e brigade parachutiste, et plus particulièrement le prestigieux 8e RPIMA de ma chère ville de Castres qui, dès le début du conflit, a une fois encore payé un lourd tribut, et je veux saluer ici la mémoire des soldats Antoine Le Quinio et Nicolas Vokaer. J’ai également une pensée pour le caporal Damien Dolet, mort dimanche dernier, qui appartenait au régiment d’infanterie de chars de marine de Poitiers. (Applaudissements.)

 

L’engagement de l’armée française en République Centrafricaine aux côtés des forces africaines de la MISCA, conformément à la résolution 2121 du Conseil de sécurité des Nations unies, était une décision extrêmement lourde et grave. Il était impératif et urgent d’intervenir. C’était une obligation morale. C’était une nécessité humanitaire. C’était un choix qui a fait honneur à la France, parce qu’il était conforme aux valeurs universelles de notre pays. De cela, nous avions pleinement conscience et nous avons dit notre volonté de soutenir cette décision qui conduisait notre pays sur une route que nous savions longue et difficile.

 

Mes chers collègues, la République Centrafricaine est aujourd’hui plongée dans le plus sombre des chaos. En vérité, il n’y a plus d’État : les fonctionnaires ne sont plus payés depuis cinq mois, la justice ne fonctionne pas, les prisons sont fermées. La Centrafrique est un État failli qui ne parvient plus à assurer ses missions essentielles, n’exerce plus de contrôle sur des parties significatives de son territoire et connaît une crise humanitaire intense. Il y a près d’un million de personnes déplacées, dont plusieurs dizaines de milliers à Bangui, pour l’essentiel massées près de l’aéroport ; plus de 200 000 personnes ont quitté la Centrafrique pour trouver asile sur le sol des États voisins. Le long des routes cahoteuses du pays, villages désertés et maisons brûlées témoignent des atrocités récentes et de la crainte qu’elles suscitent. Sur les sites surpeuplés où se trouvent les personnes déplacées, les besoins en vivres et en médicaments sont criants.

 

C’est aujourd’hui la moitié de la population, soit deux millions et demi de personnes, qui a besoin d’une assistance humanitaire d’urgence. Et plus rien ne semble entraver une tornade effrayante de violences : pillages, agressions, viols et meurtres, dont les premières victimes sont les plus fragiles. C’est le règne des milices. Ce sont des massacres perpétrés avec l’aveuglement de la plus épouvantable sauvagerie, de la plus impitoyable envie de vengeance. C’est la loi du talion : les règlements de compte prennent aujourd’hui pour cible les citoyens de confession musulmane devenus des boucs émissaires, victimes expiatoires des actions de terreur menées par les ex-Seleka, de mars à décembre 2013.

 

À ce titre, l’action de l’archevêque de Bangui, de l’imam et du responsable des églises protestantes, que nous avons rencontrés la semaine dernière, et qui diffusent de concert un message de paix et mènent sur le terrain des missions de conciliation, mérite d’être soulignée. La vraie Centrafrique, qui a toujours vécu dans un multi-confessionnalisme tolérant, ce sont eux qui l’incarnent. Nous voici donc plus que jamais face à notre devoir, face à cette vérité supérieure que révèle la difficulté, face à cette universalité au service de la vie, qui nous conduit à risquer d’autres vies. C’est là profondément la grandeur de la France que de faire du droit et de la force le rempart contre la barbarie, et c’est la grandeur de nos 2 000 soldats de l’opération Sangaris que d’incarner cette vocation universelle propre à la France. Encore une fois, je veux saluer fraternellement chacune et chacun d’entre eux, et saluer également la constitution du nouveau gouvernement de transition et la détermination de la présidente, Mme Catherine Samba-Panza. Pour autant, est-il bien raisonnable d’évoquer la tenue d’élections en février 2015, alors qu’il n’existe aucune force politique nationalement structurée, aucun fichier électoral, ni même aucun recensement ? Les réalités sont là et l’excès de mots se heurte à l’insuffisance des moyens. Avant de songer à voter ou à reconstruire l’État, il faut rétablir l’ordre et la sécurité. Il faut bien admettre que l’ampleur de la situation sur place a été sous-estimée et que les forces militaires dépêchées sur place sont insuffisantes – 2 000 Français et 6 000 Africains de la MISCA, alors que les experts évaluent le besoin à plus de 30 000 soldats – pour stabiliser le pays. La tâche de nos soldats se révèle donc bien plus complexe que nous ne l’avions imaginée, la situation étant de plus en plus intenable. Nos soldats essayent, avec leurs moyens, d’apaiser un conflit aux multiples facettes, dans une situation très instable où le soutien d’aujourd’hui peut devenir l’adversaire de demain et vice-versa. Il faut bien l’admettre, monsieur le Premier ministre, cette intervention s’inscrira dans la durée, contrairement à ce qu’avait solennellement promis le Président de la République aux Français en engageant les forces françaises en décembre dernier. Par méconnaissance, calcul ou inconstance, force est de constater qu’il s’est trompé – voire qu’il nous a trompés.

 

M. Yves Fromion. C’est certain !

 

M. Philippe Folliot. Et si l’objectif militaire est partiellement atteint, du moins à Bangui, ce n’est pas le cas, tant s’en faut, dans le reste du pays. Nous sommes en Centrafrique depuis longtemps avec l’opération Boali, mais il faut avoir l’honnêteté et le courage de reconnaître que vous nous avez engagés à un niveau supérieur, non pas pour des mois, mais pour des années, voire des décennies !

 

M. Dominique Tian. C’est vrai !

 

M. Philippe Folliot. Souvenez-vous, monsieur le Premier ministre, des propos de Jean-Louis Borloo, vous enjoignant ici même, il y a quatre mois, de responsabiliser les États voisins et l’Union africaine, de mobiliser l’Europe et de rassembler la communauté internationale pour que le calme revienne rapidement et durablement dans cette partie de l’Afrique. Malheureusement, comme au Mali, le Gouvernement français fait cavalier seul alors qu’en 2008, par exemple, l’intervention française au Tchad avait été lancée dans le cadre de l’EUFOR Tchad-RCA avec douze contingents européens, grâce aux efforts du ministre de la défense Hervé Morin. Vous êtes restés sourds à ce conseil et pas assez sensibles aux leçons de cette expérience.

 

Bien sûr, nous nous réjouissons de l’envoi d’une force européenne, initialement de 500 hommes, portée ensuite à 1 000 hommes, cantonnés à une présence statique de protection de l’aéroport de Bangui et de quelques quartiers. Mais un acte politique fort, dans une opération de cette nature, ne saurait se résumer à un acte symbolique tel que celui-ci, d’autant que cette force serait pour le moment composée en grande partie de Français, de nos amis estoniens et géorgiens ainsi que de quelques éléments roumains et polonais. Mais tous les grands pays européens en sont absents car, en réalité, l’Europe ne nous suit pas.

 

Lors d’une question d’actualité en décembre, j’avais également été le premier à demander, au nom du groupe UDI, l’envoi de forces de gendarmerie européennes. Nous nous réjouissons d’avoir été entendus, même symboliquement, avec l’envoi d’une cinquantaine de gendarmes mobiles, car la nature même de nombre d’opérations est de type maintien de l’ordre autant que militaire. L’effort de Sangaris pour remettre la gendarmerie centrafricaine sur le terrain avec ses propres moyens, en lui offrant un repas par jour, est louable et méritoire.

 

Il faut également prendre en compte le coût des OPEX en temps de crise. Alors que plus de 100 millions d’euros ont déjà été engagés, vous devez, monsieur le Premier ministre, dire à la représentation nationale quel sera le coût total en 2014 et si celui-ci, conformément à vos engagements, sera supporté par le budget de la nation et non par celui de la défense.

 

M. Yves Fromion. Cela m’étonnerait !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Vous savez très bien comment cela se passe !

 

M. Philippe Folliot. Il faut à nouveau demander, monsieur le Premier ministre, la création d’un fonds européen de financement des opérations extérieures pour les pays qui n’engagent pas d’hommes : c’était l’une des suggestions faites par Jean-Louis Borloo en décembre dernier, et l’une des dix-huit propositions du programme de l’UDI pour la défense. Puisque cela est nécessaire, alors faites-le ; mais, au-delà du nécessaire, contribuez dès maintenant au souhaitable. La République Centrafricaine est aujourd’hui une zone grise, qui peut devenir demain un grand espace de promesses ; or cette promesse a besoin de lumière pour se révéler.

 

Il faut donc le dire clairement : nous sommes là-bas pour très longtemps, car on ne reconstruit pas un pays tant que les haines ne se sont pas apaisées ; on ne reconstruit pas un pays qui n’a pas reconstitué les principes et les moyens de son fonctionnement ; on ne reconstruit pas un pays tant qu’il n’a pas réussi à remettre sur pied un État, une administration et une armée ; on ne reconstruit pas un pays, qui ne dispose pas du préalable le plus élémentaire de son développement : l’énergie. Un des problèmes de la Centrafrique, en effet, tient à son très faible accès à l’énergie : seuls 3 % de la population y ont accès. La lumière manque au coeur de l’Afrique ; or, sans lumière, il n’y a pas de redressement économique possible.

 

Aussi longtemps que cela sera nécessaire, nous ne cesserons de le répéter : au-delà du Mali, au-delà de la Centrafrique, le Gouvernement doit proposer à l’Europe un grand plan de solidarité pour l’Afrique, au niveau économique, énergétique, agricole, éducatif, car rien ne sera durable sans une réelle politique pour l’Afrique. Ce gigantesque continent, notre voisin, qui comptera deux milliards d’habitants en 2050, mérite une stratégie globale, dépassant les plans d’aide que nous lui avons ponctuellement accordés jusque-là.

 

Nous le savons : l’Afrique est notre plus grand danger comme notre plus grande chance. Le danger est devant nos yeux lorsque nous combattons pour défendre les populations de la Centrafrique et pour éviter que ce pays ne reste une zone de non-droit. Mais nous devons également être conscients de la chance exceptionnelle que représente notre voisin africain : des forêts intactes, un formidable potentiel en matière d’énergies renouvelables et une population jeune.

 

Si la sécurisation de l’Europe passe par la sécurisation de l’Afrique tout entière, notre futur dépend également de son développement équilibré. Le développement durable de la Centrafrique est la condition sine qua non de son relèvement. Mais regardons plus loin : cela doit constituer le point de départ d’un plan global en faveur de l’Afrique.

 

Mesdames et messieurs les députés, mes chers collègues, nous pensons que la France doit être le pays des réconciliations, pour elle-même d’abord, mais aussi pour les autres : telle est la vocation de la République, cette République laïque qui est parvenue à surmonter toutes ses tensions intimes par une volonté féroce de préserver à chaque individu sa liberté de conscience. C’est le miracle laïque, dont tant de pays aujourd’hui aux prises avec les fanatismes et les tensions interculturelles pourraient utilement s’inspirer.

 

Oui, la France doit être prête à servir la paix et la réconciliation au-delà de tout intérêt économique à courte vue : c’est la condition préalable à la réussite de tous les plus beaux projets avec l’Afrique, pas seulement économiques, mais avant tout humains. Nous devons faire de ce lien fraternel qui nous unit à ce merveilleux continent un fil d’Ariane tendu vers l’avenir. Nous n’y parviendrons pas seuls, et c’est en soi la force de ce message de réconciliation d’un peuple avec lui-même et des pays européens entre eux. Mesurez la force de l’exemple que nous pourrions ainsi donner au monde entier !

 

Le groupe UDI votera donc en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris en Centrafrique, mais sous certaines conditions. Nous en appelons à votre sens des responsabilités, monsieur le Premier ministre : le Gouvernement doit dire très clairement que ce n’est pas à la France de porter seule le fardeau de l’impuissance internationale. Ce n’est pas à la France d’être en première ligne sur toutes les crises qui parcourent le continent africain. Certes, la France a une vocation universelle, mais elle est de moins en moins une puissance universelle. Si elle ne peut compenser l’impuissance internationale à elle seule, elle a toutefois vocation à susciter l’élan collectif des nations du monde. La grandeur d’un pays comme la France, c’est de savoir partager la prise de décision.

 

Le Gouvernement doit également dire très clairement aux Français que la reconstruction de la Centrafrique va durer de nombreuses années ; c’est pourquoi l’Europe doit véritablement s’engager et assumer sa responsabilité de protéger.

 

Par ailleurs, nous demandons officiellement et solennellement qu’une nouvelle résolution de l’ONU soit votée, permettant de déployer au plus vite des casques bleus dans le cadre d’une force conséquente de rétablissement de la paix en application du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

 

Le Gouvernement doit s’engager à organiser d’ici quelques mois un nouveau débat solennel au Parlement, éventuellement suivi d’un vote, afin de dresser un bilan de l’action sur le terrain et de la mobilisation africaine, européenne et internationale en Centrafrique.

 

M. Charles de Courson. Très bien !

 

M. Philippe Folliot. Enfin, au-delà de ces considérations sécuritaires immédiates, il faut très clairement que le Gouvernement s’engage à promouvoir un véritable plan de développement pour l’Afrique, et ce avec tous ses partenaires africains et européens.

 

Oui, la France, comme elle l’a fait pour elle-même jadis, peut espérer que de la réconciliation naisse la prospérité, car l’Afrique s’éveille aujourd’hui. À l’aune des différentes commémorations des deux dernières guerres mondiales, n’oublions pas que l’Afrique a payé son tribut à la paix en Europe. Il s’agit aujourd’hui d’un juste retour des choses : nous ne devons pas l’oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

 

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

 

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission de la défense, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, chers collègues, avant toute chose, je souhaite à mon tour rendre hommage, au nom du groupe écologiste, au caporal Damien Dolet, mort hier en République Centrafricaine, ainsi qu’aux deux autres soldats français déjà morts en mission au tout début de l’intervention, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio.

 

Le 5 décembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a mandaté la France pour intervenir militairement en Centrafrique ; le même jour, le Président de la République lançait l’opération Sangaris pour endiguer une crise tant humanitaire que sécuritaire. Enfin, le 9 décembre, en vertu de l’article 35 de la Constitution, vous êtes venu devant notre assemblée, monsieur le Premier ministre, accompagné de M. le ministre de la défense, pour préciser les objectifs de notre engagement militaire.

 

Je souhaite réitérer le soutien de mon groupe à la décision du Président de la République et dénoncer les attaques lamentables et bassement politiciennes que M. Jacob a prononcées tout à l’heure au nom du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

 

Le groupe écologiste avait alors approuvé l’intervention militaire, pour des motifs qui conservent toute leur pertinence aujourd’hui. Tout d’abord, la France a une part de responsabilité dans la faillite de l’État centrafricain. En effet, du temps de la colonisation, elle a délaissé ce pays au point de déléguer son exploitation à des sociétés concessionnaires privées. Ainsi, à l’indépendance, ce pays s’est trouvé dépourvu des moyens nécessaires à la construction d’un État souverain sur l’ensemble de son territoire.

 

M. Dominique Tian. Quel rapport ?

 

M. François de Rugy. Au-delà de cette responsabilité historique ancienne, l’envoi de militaires français en Centrafrique a été décidé dans un contexte d’extrême urgence, en ultime recours, alors que la crise menaçait de dégénérer en conflit ethnique et que 500 000 déplacés étaient en situation de détresse humanitaire.

 

Mme Laure de La Raudière. Avec des amis pareils, vous n’avez pas besoin d’ennemis !

 

M. François de Rugy. Enfin, si la France est intervenue, elle l’a fait dans la concertation, à la demande des organisations panafricaines, avec le soutien de l’Union européenne et sous le mandat que lui avait délivré le Conseil de sécurité des Nations unies.Incontestablement, cette intervention était nécessaire et elle le demeure aujourd’hui. Pour autant, l’évolution de la situation en Centrafrique n’en est pas moins extrêmement préoccupante.

 

Malgré la présence de 1 600 soldats français – bientôt 2 000 – et de 6 000 militaires africains opérant dans le cadre de la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la crise centrafricaine a fait 2 000 morts, 100 000 réfugiés et un million de déplacés. Le risque d’une famine généralisée est réel et imminent. Les tensions confessionnelles sont à leur comble : les musulmans fuient Bangui pour rallier l’est centrafricain, parfois le Tchad, et l’hypothèse d’une partition de l’État est une crainte de plus en plus crédible. Les chrétiens, dénonçant une campagne de communication trop véhémente contre les milices anti-balaka, se retournent contre les autorités de transition et les militaires français. Les rares administrations qui fonctionnent encore sont débordées, l’aide humanitaire est insuffisante et les exactions à Bangui, mais surtout en province, sont quotidiennes.

 

Pour les écologistes, ce bilan doit conduire la France à faire évoluer son intervention et ses moyens. Je voudrais ainsi saisir l’occasion de ce débat pour formuler quatre propositions.

 

La première consiste à doubler nos effectifs militaires présents sur le théâtre centrafricain, en une fois et pour un délai de quatre mois, soit le temps de rotation d’une mission extérieure. Aujourd’hui, nous augmentons le nombre de soldats envoyés sur place progressivement, comme le montre la récente décision du président de la République d’augmenter de 400 hommes le dispositif Sangaris. Or de l’avis de nombreux experts militaires, cette tactique d’incrémentation est généralement inopérante dans la mesure où elle contribue à alimenter la résilience des groupes armés et échoue à produire un effet dissuasif massif.

 

La mesure que nous proposons porterait le nombre de soldats français sur le terrain à 4 000 et permettrait d’endiguer l’amplification de la violence en maillant le territoire, en protégeant les civils de façon plus efficace et en veillant au cantonnement des groupes armés. En effet, la Centrafrique est un pays de 623 000 kilomètres carrés, une superficie largement supérieure à celle de la France, et Bangui, la capitale, où sont stationnées la majorité de nos troupes, compte plus d’un million d’habitants.

 

Les experts militaires considèrent qu’en théorie, pour une mission de stabilisation telle que celle menée actuellement par la France en Centrafrique, il faudrait un ratio d’environ vingt soldats pour 1 000 habitants. En dessous de ce seuil, jamais une mission de cette nature n’a été correctement remplie. Si l’on additionne les 1 600 soldats français actuels et les 6 000 soldats africains, dont le niveau d’opérationnalité est très inférieur aux standards européens, on atteint péniblement un ratio de 7,6 soldats pour mille habitants. Souvenons-nous qu’en novembre 2013, alors que le niveau de tension était moindre, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait plaidé en faveur de l’envoi de 9 000 Casques bleus en Centrafrique. Certes, l’action militaire ne résoudra pas tout. Mais elle constitue le préalable à la canalisation des violences et à la reprise de l’aide. Elle est la condition sine qua non à la transition politique.

 

À cet égard, une nouvelle présidente, Mme Catherine Samba-Panza, a été élue présidente du Conseil national de transition à la fin du mois de janvier. Elle devient temporairement l’interlocutrice de la communauté internationale et le dépositaire légitime de l’autorité en République centrafricaine. Il faut noter qu’elle demande d’ailleurs la poursuite de l’intervention française et internationale. Son gouvernement a par ailleurs annoncé la tenue rapide d’élections. Mais le paradigme électoral souffre de certaines limites qu’il convient de ne pas occulter. La reconstruction du tissu social, la sauvegarde de la souveraineté territoriale et la restauration de l’État appellent une transition politique qui s’inscrit dans la durée. Reconstruire les structures étatiques est un défi posé à la communauté internationale en République centrafricaine, comme il se pose dans d’autres pays : nous l’avons vu au Mali. L ’Organisation des nations unies doit relever ce défi de façon plus opérationnelle qu’elle ne le fait aujourd’hui.

 

Notre deuxième proposition consiste à interpeller davantage nos partenaires européens afin qu’ils apportent un soutien militaire et financier plus significatif à cette intervention qu’ils soutiennent politiquement et diplomatiquement. Si la France augmentait significativement ses effectifs en République centrafricaine, on peut estimer que cela créerait un effet d’entraînement à l’échelle européenne. Cela placerait les États membres face leurs responsabilités, la France ayant mis toutes ses capacités en jeu. Tout échec éventuel de l’intervention serait alors aussi la conséquence directe d’une absence de solidarité européenne.

 

Si, le 20 janvier, les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l’Union européenne ont bien approuvé l’envoi de soldats européens en Centrafrique, la contribution de chaque pays reste encore indéterminée, et surtout très faible, puisqu’il ne s’agit que de 500 soldats. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont refusé d’envoyer des troupes au sol. La Belgique, la Pologne et la Hongrie ont promis des renforts, sans donner de garanties quantitatives. L’Estonie a annoncé l’envoi de cinquante-cinq soldats… Une fois de plus, l’Union européenne se condamne à être un nain politique sur la scène internationale.

 

L’Union européenne a pourtant les moyens de soutenir la France en Centrafrique : elle dispose de deux groupements tactiques de haut niveau, les fameux battlegroups que les Britanniques refusent de mettre à disposition de leurs partenaires. Elle peut également assurer des missions de formation, à l’instar de ce qu’elle fait actuellement au Mali. Elle peut enfin contribuer à alléger la charge financière de l’opération pour la France. Rappelons que l’opération Serval au Mali, que toute l’Europe a approuvée, a déjà coûté à la France près de 500 millions d’euros. La stabilité de l’Afrique est partie prenante de la sécurité européenne et la France ne saurait indéfiniment en assumer seule le coût humain et budgétaire.

 

Pour le groupe écologiste, le troisième impératif est de rééquilibrer les relations avec nos partenaires africains en privilégiant un dialogue avec les organisations régionales et en réduisant notre dépendance vis-à-vis du Tchad en Afrique centrale.

 

La communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale et la communauté économique des États de l’Afrique centrale constituent aujourd’hui des structures qui doivent être davantage associées à notre politique africaine. Les initiatives fructueuses de la CEEAC dans la lutte contre les menaces maritimes dans le golfe de Guinée prouvent d’ailleurs que ces organisations peuvent mener des actions efficaces contre l’insécurité.

 

En revanche, la fragilité démocratique et politique des régimes en place implique de niveler notre coopération bilatérale avec les États d’Afrique centrale que sont le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République centrafricaine, les Congo et le Tchad pour ne pas dépendre lourdement de l’un d’entre eux.

 

Concernant le Tchad, le groupe écologiste s’étonne qu’aucune voix politique, à l’exception de celle de notre collègue Noël Mamère, ne se soit élevée pour questionner la lune de miel francotchadienne, qui n’est pas nouvelle mais qui semble avoir été réaffirmée depuis un an. En effet, le déclenchement simultané des opérations Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique, dont le Tchad constitue le premier soutien africain, a placé la France dans une position de relative dépendance vis-à-vis de N’Djamena, faisant du président Idriss Déby le nouveau pivot de notre politique en Afrique centrale.

 

Cette orientation n’est pas sans susciter de nombreuses interrogations. Tout d’abord, il faut rappeler que le Tchad est en partie responsable de la déstabilisation de la Centrafrique. Sans la complaisance, voire le soutien actif du président tchadien Idriss Déby, les rebelles de la Séléka, dont un tiers sont eux-mêmes tchadiens, n’auraient pu s’emparer du nord-est centrafricain puis de Bangui. Et cette proximité, fondée sur des intérêts économiques et une appartenance religieuse commune, continue de faire des dégâts puisque les nombreux actes de collusion entre soldats tchadiens de la mission africaine et ex-rebelles de la Séléka alimentent les tensions. De par ses nombreuses imbrications et ingérences récentes en Centrafrique, le Tchad ne peut y être vu comme un État impartial.

 

Ensuite, il convient d’évaluer ce partenariat à la lumière des méthodes autoritaires, répressives et inégalitaires, du président Déby, qui continue de s’attirer les foudres des associations de défense des droits de l’homme. La contestation des quatre dernières élections par l’opposition, la disparition des opposants au régime comme M. Saleh ou encore le système de corruption généralisée qui mine ce pays mériteraient certainement que la France prenne davantage ses distances avec le pouvoir en place.

 

Par ailleurs, on peut s’interroger sur le coût stratégique d’un tel partenariat dans la mesure où cette position de relative dépendance vis-à-vis du Tchad lui confère davantage de poids dans la conduite des opérations, alors même que ce relais a des intérêts évidents à faire valoir en Centrafrique. Au premier jour du désarmement, les autorités tchadiennes n’ont d’ailleurs pas hésité à faire entendre une voix discordante de celle de la France, alertant sur le risque d’une opération qui ciblerait majoritairement les populations musulmanes. Depuis cette date, force est de constater que l’objectif du désarmement érigé en priorité par la France a été relégué au second plan.

 

Enfin, même d’un point de vue budgétaire, la décision de faire du Tchad le premier relais de la France dans la sous-région ne va pas de soi. Car ce réchauffement des relations francotchadiennes a pour corollaire un choix : celui de faire du dispositif Épervier, situé à N’Djamena, le point d’appui des opérations menées en République Centrafricaine au mépris de toute logique économique. Traditionnellement la grande base militaire de la France en Afrique centrale est celle de Libreville, au Gabon, où la France dispose d’un contingent de 900 hommes et dont le financement est assuré par l’enveloppe de 800 millions d’euros dédiée aux forces permanentes stationnées en Afrique. À l’inverse, le dispositif Épervier, bien que déployé depuis 1986, reste considéré comme une force temporaire, et est donc financé par la dotation OPEX de 450 millions d’euros, déjà largement mise à contribution par les opérations Serval au Mali et Sangaris en République centrafricaine. De toute évidence, ce choix de financement inadapté risque de générer des surcoûts OPEX importants.

 

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste ne partage pas les conclusions d’une délégation parlementaire au Tchad qui estimait devoir exprimer la reconnaissance de l’Assemblée nationale aux autorités tchadiennes. Sans que cela remette en cause notre soutien à l’intervention en République centrafricaine, nous considérons que ces questions ne doivent pas devenir l’angle mort de la stratégie française en Afrique. De l’avis de nombreux observateurs, les services français doivent d’ailleurs tirer les conclusions de la non-anticipation de la crise centrafricaine et rompre définitivement avec la tradition des questions taboues. C’est à ce prix que nous parviendrons à bâtir une nouvelle politique africaine, pleinement respectueuse de la souveraineté et des intérêts de nos partenaires.

 

En définitive, monsieur le Premier ministre, chers collègues, c’est avec beaucoup de questions mais également avec beaucoup d’attentes et d’espérance que le groupe écologiste votera pour la prolongation de l’intervention en Centrafrique,…

 

M. Henri Jibrayel. Très bien !

 

M. François de Rugy. …en appelant de ses voeux davantage de responsabilité et de solidarité de la part de la France, de l’Europe et de toux ceux qui peuvent concourir à la sécurité et à la paix en République centrafricaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

 

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

 

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, les événements qui se sont déroulés en Ukraine ces jours derniers ont quelque peu éloigné de l’information au moins ceux de Centrafrique. Mais le sujet reste présent ici. Présent, puisqu’en application de l’alinéa 3 de l’article 35 de la Constitution, le Gouvernement soumet la prolongation de la décision de M. le Président de la République de faire intervenir les forces armées à l’étranger à l’autorisation du Parlement. Présent également, puisque, avec huit autres parlementaires – quatre membres de la commission des affaires étrangères dont la présidente de ladite commission, Mme Élisabeth Guigou, et quatre membres de la commission de la défense – et leur accompagnateur, le colonel Audelet, je me suis rendu pendant un jour et demi, en tant que président du groupe d’amitié France-RCA, d’abord au Gabon, à Libreville, puis le 17 février 2014, en Centrafrique, à Bangui. Présent enfin, car le groupe Radical de gauche et apparentés a commencé à appeler l’attention sur la situation en RCA le 28 mai 2013 ici, puis à nouveau le 9 octobre 2013, le 11 décembre 2013 et le 15 janvier dernier.

 

Dans ce contexte, nous n’avons pu accueillir que favorablement la mise en oeuvre de cette mission qui nous a permis de confronter nos avis à la réalité du terrain. Nos avis, nous les tirons des comptes rendus qui nous sont donnés par la presse, mais aussi, pour de nombreux parlementaires dont je suis, de contacts fréquents avec des responsables politiques et des citoyens du pays. J’ai donc naturellement apprécié d’être reçu avec nos collègues par nos ambassadeurs au Gabon, et en RCA par le général Francisco Soriano, commandant de l’opération Sangaris en Centrafrique, qui a pu livrer à la représentation nationale à travers nous les informations indispensables à la compréhension de la situation locale. Une information d’abord sur l’état de nos forces, les moyens de commandement terrestres et aériens déployés, une information ensuite sur les objectifs à venir, celui de la stabilisation de la situation et celui du désarmement des forces en présence, une information enfin sur l’état de l’adversité. Cette mission a coûté la vie à trois de nos soldats ; aussi avons-nous apprécié que le général Soriano nous explique le soin qu’il apporte à s’avancer vers les objectifs en risquant le moins possible la vie de nos militaires. Nous avons d’ailleurs assisté à une arrestation, mais aussi pu voir un stock imposant d’armes saisies.

 

Au total, l’exécution de la mission s’inscrit dans les réponses que vous aviez pu nous faire, messieurs les ministres : renouer, sur ce sol, avec une sécurité minimale en tentant d’arrêter la spirale des crimes, mettre fin à une dérive confessionnelle source de violence, permettre le retour des humanitaires, rétablir des structures étatiques de base, encourager la montée en puissance de la mission internationale de soutien à la Centrafrique qui, même si elle date de septembre 2013, a des objectifs identiques et qui continuent d’être justes pour qui va voir la situation sur le terrain.

 

Au-delà de cette rencontre, nous sommes aussi allés dans le plus grand camp de déplacés de Bangui, le camp M’Poko, qui est, je veux le préciser, un camp parmi les cinquante-cinq répertoriés par l’UNICEF dans la capitale centrafricaine. Ce camp focalise l’attention par sa taille gigantesque : songez que les premiers déplacés sont arrivés le 5 décembre, jour de l’offensive des milices d’autodéfense chrétiennes, les anti-balaka. Aujourd’hui, ce sont plus de cent mille personnes qui sont massées au bord des pistes de l’aéroport M’Poko, dans une situation de chaos.

 

Nous avons aussi rencontré l’administration locale, la présidente Catherine Samba-Panza et son Premier ministre, ainsi que plusieurs ministres et le président du Conseil national de transition.

 

Nous avons donc eu un autre récit de la situation, celui d’une guerre civile, d’un pays déchiré par le conflit, lequel installe une blessure profonde et durable entre des populations, des ethnies qui avaient jusque-là trouvé les moyens de travailler et de vivre ensemble.

 

Enfin, il nous a été donné de rencontrer les ONG françaises, qui ont complété ces récits de leur expérience de terrain, ainsi que le chef du Bureau intégré des Nations-unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine, le général Gaye, puis le général Michel Mokoko, commandant la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine. Nous avons aussi rencontré les autorités religieuses.

 

Cela dit, mon premier mot va naturellement à nos trois soldats décédés ; le deuxième à nos forces présentes et actives sur le terrain qui, du soldat au commandant, ont une haute conscience de leur mission et du rôle de la France en République centrafricaine ; le troisième aux ONG françaises qui font un travail considérable et le quatrième à nos concitoyens qui, malgré le chaos, ont choisi de rester à Bangui.

 

La prolongation de la mission s’impose évidemment. La situation n’est pas stabilisée, loin s’en faut. La guerre civile rôde, avec son cortège d’outrances et les risques sécuritaires, sanitaires, encourus par une population qui, sans État et sans argent, serait livrée à elle-même mais surtout à ses éléments les plus extrémistes.

 

Au-delà, ce climat de haine communautaire se développe au coeur d’une région de conflits – Doba, le Darfour, l’Ituri, les enclaves –, dans un pays convoité pour ses richesses et dont la porosité des frontières a transformé en refuge. Mais surtout, monsieur le Premier ministre, c’est un territoire stratégique. Il le fut pour la France, dans un projet stoppé en 1898 ; pour les mêmes raisons, ce territoire est stratégique aujourd’hui pour des groupes terroristes : la fermeture de l’arc de cercle formé par les Shebab, Aqmi et Boko Haram, de l’océan Indien à l’Atlantique. Personne ne peut nier cela. Personne ne peut nier non plus que cette éventualité n’est pas uniquement une menace pour la France ; elle l’est pour l’Europe entière. Voilà pourquoi j’avais, dans cet hémicycle, appelé l’Europe à adosser à la France des forces complémentaires. L’Union européenne a donné, fin janvier, son feu vert. Baptisée EUFOR-RCA, cette mission est en train de se constituer depuis la semaine dernière, pour un déploiement espéré au mois de mars 2014.

 

L’intervention consiste à sécuriser le secteur de Bangui et ses populations, notamment l’aéroport M’Poko et les grands axes de la ville ; l’objectif final étant de conduire une transition en République centrafricaine pour contribuer, dans la zone de Bangui, à l’établissement d’un environnement sécurisé et de nouveau à un transfert d’autorité à la MISCA, qui est la force de l’Union africaine en République centrafricaine. Il s’agit d’abord de contribuer à la protection de populations qui sont menacées, ensuite d’établir les conditions propres à soutenir autant que peut se faire la reprise économique et permettre le retour des populations déplacées. Cet appel qui a été entendu par l’Union européenne doit se concrétiser rapidement et sans doute être renforcé. Il s’adresse aussi aux pays voisins, qui ont intérêt à voir se stabiliser cette région de l’Afrique.

 

Je veux enfin saluer le travail réalisé. Chacun dans son rôle, vous avez, messieurs les ministres, monsieur le Premier ministre, après la décision du Président de la République, su faire que la France joue son rôle devant les nations. Les difficultés que nous rencontrons encore aujourd’hui sont certes importantes : elles étaient attendues. Nous l’avons dit.

 

Nous devons persister dans une voie de justice, pas seuls cependant ; et c’est dans cette voie-là, avec l’Union européenne, avec les Nations unies, avec les États africains, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, que notre soutien vous est acquis. (Applaudissements sur lesbancs des groupes RRDP et SRC.)

 

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

 

M. André Chassaigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Centrafrique connaît une nouvelle période de crise aiguë. Cette crise ne sera pas résolue par une énième intervention militaire française, sans objectif pérenne de démocratie et de paix. C’est, hélas, un scénario récurrent depuis l’indépendance de cette ancienne colonie.

Le drame qui se joue aujourd’hui prend toutefois une ampleur nouvelle et fait s’effondrer l’unité d’un pays déjà fragilisé par la pauvreté et une instabilité politique chronique. Privé d’État, le pays est en butte aux violences de groupes armés que l’armée française, malgré ses actions courageuses, a du mal à contrôler.

 

Je voudrais d’abord rendre hommage aux victimes de ce conflit, avec une pensée pour les proches de nos soldats.

 

La situation se révèle bien plus complexe que ne l’affirmaient à l’envi les partisans de cette intervention, à grand renfort de schémas quelque peu simplistes. Nous avions alerté sur les risques de cette entreprise quasi solitaire, hasardeuse au regard de la dimension socio-religieuse du conflit et compte tenu du passé colonial qui lie notre pays à la Centrafrique, officiellement mais théoriquement indépendante depuis 1960. La France ne pouvait mener seule une mission d’interposition digne de ce nom. En se donnant pour objectif central de désarmer les Séléka, la France a-t-elle suffisamment mesuré les conséquences et prévu l’après ?

 

La situation actuelle est dramatique et les massacres commis renforcent le spectre génocidaire. À la mort semée par les Séléka, groupe hétéroclite de rebelles locaux et de mercenaires venus des pays voisins, du Tchad et du Soudan en particulier, a succédé celle enclenchée par les antibalaka. Le rapport de force inversé, la loi du talion est appliquée contre les civils musulmans par les milices à dominante chrétienne.

 

De fait, l’intervention française n’a pas mis un terme au chaos. Étonnamment, la France n’avait pas vraiment mesuré les conséquences de l’inversion du rapport de force. Faute d’avoir pu enrayer la spirale de la violence, l’opération Sangaris a déclenché une logique de représailles qu’elle échoue toujours à neutraliser. Loin d’avoir pacifié le pays, elle a suscité des poussées de haine manifestement sous-estimées. Nous avions prédit ces difficultés. Nos soldats se trouvent dans une situation complexe. Les exactions restent quasi quotidiennes dans la capitale Bangui et la situation incontrôlée en province. Les représailles se traduisent par des lynchages, des destructions de maisons, de mosquées : autant de crimes qui creusent chaque jour un peu plus le fossé entre les membres de la communauté centrafricaine.

 

Le récit de tous les observateurs, politiques, journalistes, représentants d’ONG qui se sont rendus en Centrafrique, est à cet égard édifiant : il témoigne de la situation de chaos qui règne à Bangui, avec un sentiment d’aggravation plus que d’apaisement. Il nous faut bien faire le constat que les forces militaires françaises ne sont toujours pas parvenues à juguler cette violence.

 

Les ONG mobilisées en Centrafrique ont donné l’alarme. Amnesty international dénonce le « nettoyage ethnique de civils musulmans » qui se déroule dans l’ouest de la Centrafrique, sans que nous parvenions, dans les conditions actuelles, à l’empêcher. Cette analyse est partagée par le Haut-Commissaire pour les réfugiés, Antonio Guterres, qui a dénoncé la poursuite d’un « nettoyage ethno-religieux massif » mené par des milices anti-balaka. L’objectif est d’effacer toute trace de la présence musulmane dans le pays. Les populations musulmanes sont contraintes à l’exode aux frontières du Tchad et du Soudan. Pour Ban Ki Moon, « la brutalité sectaire est en train de changer la démographie du pays, la partition de facto est un risque avéré ». Environ un quart des 4,6 millions d’habitants de la Centrafrique a dû se déplacer, dans le pays même, par crainte des violences entre chrétiens et musulmans. Depuis décembre 2012, 246 000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins.

 

Le spectre du génocide rwandais est dans tous les esprits, vingt ans après, funeste anniversaire ; cependant, l’analogie avec la situation centrafricaine ne se justifie pas pleinement et la prudence est de mise. Et il serait tout aussi erroné de croire que la violence trouve son origine dans des haines ancestrales, afin de mieux passer sous silence de graves erreurs politiques, économiques et stratégiques.

 

Force est de constater également que la France n’a pas encore pu rallier d’autres forces à sa mission d’interposition, à l’exception du contingent africain dont le renforcement constitue effectivement un enjeu majeur. Notre armée se retrouve une fois de plus seule en première ligne.

 

Je comprends, monsieur le Premier ministre, que vous valorisiez cette force africaine ; mais sur le terrain, elle se révèle plus virtuelle que réellement opérationnelle. Les grandes puissances se satisfont cyniquement de cette situation. L’intervention isolée de la France a dispensé les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe d’agir. Pourtant, l’Afrique en général et la Centrafrique en particulier ne sauraient représenter un quelconque pré carré français : le sort de ce pays relève d’abord de la souveraineté de son peuple. Il revient donc légitimement à la communauté internationale de lui venir en aide. Les appels à un déploiement de casques bleus de l’ONU restent pourtant lettre morte. Quant à nos partenaires européens, ils feignent de s’indigner, sans apporter de réponse à la hauteur du drame.

 

On nous annonce que l’Union européenne déploiera cinq cents soldats le mois prochain. L’équivalent d’un bataillon ! L’opération européenne est de fait une opération minimale, d’autant plus qu’elle n’atteindra vraisemblablement pas sa pleine capacité opérationnelle avant l’été. L’exécutif avait annoncé une opération rapide ; aujourd’hui, il doit demander au Parlement l’autorisation de prolonger l’intervention des forces françaises.

 

La France étant désormais au coeur de la tragédie centrafricaine, il nous incombe, en responsabilité, de nous interroger sur la réponse à apporter au désespoir de ce peuple. Je le dis avec gravité : dans les conditions actuelles de l’intervention française et de ses conséquences, nous ne pouvons abandonner le peuple centrafricain à son triste sort.

 

Cela étant, force est de constater que l’intervention armée, telle qu’elle a été menée jusqu’aujourd’hui, n’est pas satisfaisante. Qualifiée d’opération de police, courte par nature, elle ne devait durer que de quatre à six mois, le temps de sécuriser Bangui et les principaux axes du pays, selon le ministère de la défense. Ces objectifs semblent encore hors d’atteinte, au vu de la réalité du terrain.

 

De même, nous sommes encore à cette étape loin des objectifs humanitaire et sécuritaire qui étaient affichés au début de l’opération pour mieux la justifier. Plus de 2,5 millions de personnes sont dans l’attente d’une aide humanitaire d’urgence. Des épidémies, notamment de choléra, sont à craindre. Les champs ne sont plus correctement cultivés. La nourriture commence à manquer dans certains secteurs. Les Nations Unies sont d’ailleurs en train d’établir un nouveau pont aérien pour acheminer des céréales depuis le Cameroun.

 

Face à l’impasse militaire et diplomatique, face au climat de terreur et au désastre humanitaire, les perspectives politiques peinent à se dessiner. Vous le savez, nous n’avons cessé de plaider avec force en faveur de cette approche. Des élections ont certes été annoncées dans un an ; nous en mesurons les difficultés, les listes électorales ayant été détruites avec l’ensemble des archives du pays.

 

Sous une forte pression franco-tchadienne, la classe politique centrafricaine s’est dotée en un temps record d’une présidente de transition, Mme Catherine Samba-Panza ; mais cette courageuse femme d’État peine à incarner une quelconque réconciliation nationale. En fait, on ne sait toujours pas quels objectifs et quelles solutions politiques et de sécurité sont poursuivis. Notre seule présence militaire ne saurait constituer une fin en soi. Le bilan de ces derniers mois, que je viens de dresser, en est la preuve la plus évidente. Cette présence ne peut suffire à régler le problème, ni sur le fond ni dans la durée, car la crise centrafricaine est d’abord politique.

 

C’est au nom de la solidarité entre les peuples que la France doit permettre au peuple centrafricain de prendre son destin en main. Elle n’a pas vocation à trouver et à imposer elle-même une solution, sa solution. Pourtant, notre pays a la responsabilité historique de créer les conditions susceptibles de mettre fin aux atrocités et au chaos. Elle le doit au peuple centrafricain. Aussi doit elle plaider et agir encore davantage en faveur d’une action multilatérale sous l’égide des Nations Unies, de manière à transformer le plus rapidement possible la MISCA et Sangaris en opération de maintien de la paix.

 

Pour être efficaces, les forces de maintien de la paix doivent être impartiales. Le départ des troupes tchadiennes, dont les liens – et les dérives – sont établis avec des membres de la Séléka, semble donc s’imposer. Mais l’appui d’autres forces armées africaines – notamment l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Éthiopie – est indispensable, prioritaire et déterminant.

 

M. Laurent Furst et M. Gilles Lurton. Très bien !

 

M. André Chassaigne. Cet appui s’impose pour que nous puissions nous extraire de ce huis-clos. Paris s’honorerait d’être à l’initiative d’une conférence internationale pour la paix et le développement en Centrafrique et dans la sous-région, conférence qui devrait avoir pour objectifs la construction d’une solution politique partagée, l’arrêt des ingérences extérieures, l’unité du pays face aux menaces de partition, ainsi que la reconstruction de l’État, des services régaliens et des services publics dévastés ou inexistants en dehors de Bangui. Ce sont là autant de conditions pour que la République Centrafricaine recouvre sa souveraineté, et donc la paix. Du reste, aucune solution politique ne sera viable sans un changement de paradigme pour le développement du pays. Pour sortir la Centrafrique du cycle des crises, il faut des réponses structurelles.

 

L’effondrement de la Centrafrique a des causes profondes, liées aux multiples ingérences et dominations jalonnant l’histoire de ce pays. Encore aujourd’hui, pendant que la barbarie se déchaîne, le pillage des ressources se poursuit. Aucune issue ne sera possible tant que la République Centrafricaine n’aura pas retrouvé sa pleine souveraineté. En cela, les richesses du sol et du sous-sol doivent revenir au peuple centrafricain. C’est pourquoi nous proposons que les richesses du pays soient désormais considérées comme des biens publics. Les filières diamantifères, aurifères et forestières pourraient dès lors être placées sous contrôle public du peuple centrafricain. De même, les contrats en cours ou à venir dans l’extraction minière, de l’uranium et du pétrole devraient être rendus publics et bénéficier au développement du pays.

 

À l’image de la France qui s’est dotée d’une architecture permettant la reconstruction après les années de guerre et d’occupation en 1945, la Centrafrique doit se réapproprier ses richesses pour mettre un terme aux ingérences et aux conflits. La France, qui porte une lourde responsabilité historique dans ce désastre, a une dette incommensurable envers le peuple centrafricain. Elle pourrait agir en ce sens pour ouvrir de nouvelles relations de respect et de co-développement.

 

De fait, ni la guerre ni la force ne représentent la solution de sortie de crise. Il ne peut y avoir de solution uniquement militaire. La solution est avant tout politique ; elle n’est pas unilatérale, mais multilatérale. Et surtout, elle n’appartient pas à la France mais au peuple centrafricain. Nous espérons que la majorité entendra enfin notre voix, celle de la sagesse et de la responsabilité, celle qui devrait guider nos relations avec l’Afrique dans le respect de ses peuples.Un tel respect impose de leur donner les moyens de construire, de manière pérenne, leur pleine souveraineté et de se réapproprier leurs richesses.

 

Au nom des principes et des valeurs qui viennent d’être exposés, les parlementaires du Front de gauche refusent de signer un blanc-seing en faveur de l’intervention française. Cependant, face à cette situation de chaos, nous ne pouvons aujourd’hui retirer nos troupes et abandonner le peuple centrafricain à son triste sort.

 

M. Jean-Paul Bacquet. Heureusement !

 

M. André Chassaigne. C’est la raison pour laquelle, tout en laissant la liberté de vote à chacune et à chacun, nous ne nous opposerons pas à la prolongation de la présence des forces françaises en Centrafrique, dans l’attente du transfert, urgent et indispensable, de cette opération à une force multinationale de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur certains bancs du groupe SRC.)

 

M. Marc Dolez. Excellent !

 

M. Jean-Paul Bacquet. Bravo pour la liberté de vote !

 

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

 

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, je veux à mon tour saluer le travail remarquable de nos soldats en République Centrafricaine sous le commandement du général Soriano. Trois d’entre eux ont été tués ; à cet instant, j’ai, comme vous tous, une pensée pour eux et pour leur famille.

 

Chers collègues, il faut voter en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris, d’abord parce qu’elle a évité des massacres, parce qu’elle en évitera d’autres et aussi parce qu’elle est le pilier d’une stratégie crédible. À Bangui, où je me suis rendue la semaine dernière avec une délégation de députés des commissions des affaires étrangères et de la défense – nous étions neuf –, nos troupes ont déjà permis d’améliorer visiblement la sécurité, monsieur Chassaigne. Grâce à la présence de Sangaris, la capitale retrouve progressivement une activité normale : les commerces ont rouvert et la circulation reprend.

 

Ces premiers résultats doivent désormais être élargis à l’ensemble du pays. Avec la force africaine – la MISCA – forte de 6 000 hommes, les soldats français se déploient vers l’ouest du pays pour sécuriser la route reliant la Centrafrique au Cameroun, dont nous savons qu’elle est un axe majeur pour les approvisionnements, notamment en biens de première nécessité. Lorsque cette opération sera achevée, nos troupes et la MISCA se projetteront vers l’est de la Centrafrique.

 

Je veux rappeler que c’est à l’initiative du Président de la République que la France, mandatée par les Nations unies, a réagi avec rapidité et responsabilité pour éviter un risque de génocide et de chaos généralisé. Car si le chaos s’était installé en Centrafrique, ce pays aurait pu devenir un sanctuaire pour des groupes terroristes tels que Boko Haram, actifs dans les pays voisins.

 

Notre intervention était donc indispensable, mais il faut aujourd’hui la prolonger, non seulement pour étendre à l’ensemble du territoire les progrès réalisés à Bangui, mais également parce que la situation humanitaire est critique. La population réfugiée dans les camps, où l’hygiène laisse gravement à désirer, notamment à côté de l’aéroport, vit dans la crainte des milices. L’exode des populations musulmanes se poursuit. Le général Soriano, en lien avec les Nations Unies et les organisations non gouvernementales, dont je salue l’action, a pris l’initiative d’établir un camp qui offre chaque nuit une protection aux habitants du cinquième arrondissement de Bangui, qui est un quartier mixte peuplé de musulmans et de chrétiens. D’autres refuges de ce type seraient très utiles dans la capitale pour favoriser le retour des déplacés avant la saison des pluies.

 

Après la sécurité et l’humanitaire, le troisième défi est la reconstruction de l’État dans la capitale et en province. Les fonctionnaires, nous le savons, ne sont plus payés depuis cinq mois. La police et la justice doivent pouvoir punir les auteurs d’exactions et mettre fin au sentiment d’impunité. La prison de Bangui vient d’être réhabilitée, le tribunal fonctionne, mais cela doit aussi être le cas partout dans le pays. Il est crucial que les policiers et gendarmes centrafricains, qui oeuvrent déjà aux côtés de nos forces, disposent des moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

 

À cet égard, le plus urgent, chers collègues, est d’accorder une aide financière, comme nous l’a demandé avec insistance la Présidente Catherine Samba-Panza. Le Premier ministre, M. André Nzapayéké, nous a également fait part du besoin d’une assistance technique dans tous les domaines, notamment pour restructurer le Trésor public.

 

Au-delà, quelles sont les perspectives ? Depuis le début, nous avons une stratégie : organiser le relais de Sangaris par une opération de maintien de la paix des Nations unies. Cette dernière permettra d’augmenter la présence militaire et, fait essentiel, déclenchera dans sa composante civile la mise en oeuvre d’importants moyens au service de la situation humanitaire, de la reconstruction de l’État, du désarmement et de l’organisation des élections prévues pour le

début 2015.

 

À partir du 10 mars, je veux le rappeler, l’Europe va débuter le déploiement de près de 1 000 hommes – et non pas 500 – pour épauler nos 2 000 soldats et les 6 000 soldats de la MISCA. Contrairement à ce que certains prétendent, nous ne sommes pas seuls : depuis le début, nous avons avec nous les 6 000 soldats africains, qui sont trois fois plus nombreux que nous, et nous aurons bientôt l’appui de 1 000 soldats européens. Dire que nous sommes seuls, c’est nier l’action et l’utilité de la force africaine dont je rappelle que dix-neuf soldats ont déjà été tués en République Centrafricaine et dont personne ne parle ici en Europe.

 

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Très juste !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Bravo !

 

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Grâce à l’important travail de notre diplomatie, que je salue également, le déploiement de Casques bleus est désormais un objectif partagé par le Secrétariat général de l’ONU et par les autorités centrafricaines. Je ne doute pas que nous surmonterons bientôt les dernières réticences et hésitations de certains de nos partenaires du Conseil de sécurité et de l’Union africaine. La nouvelle chef de l’État, Mme Catherine Samba-Panza, ainsi que le nouveau Premier ministre, sont des personnalités compétentes et énergiques. Leurs efforts et leurs engagements doivent recevoir notre soutien plein et entier.

 

Nous avons eu raison d’intervenir. C’est tout le mérite de ce Président de la République d’avoir

décidé, dès le lendemain du jour où le mandat nous a été confié par l’ONU, d’envoyer nos troupes

en Centrafrique. À ma connaissance, chers collègues, aucun de ses prédécesseurs ne s’était

vraiment préoccupé de la situation désastreuse qui se développait dans ce pays.

 

M. Philippe Meunier. Ce n’est pas vrai !

 

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous devons prolonger la présence de nos forces avec les Africains et les Européens : voilà la stratégie de la France.

 

Je vous invite donc, chers collègues, à voter en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris, à défendre ainsi nos intérêts stratégiques et nos valeurs et à permettre enfin que ce malheureux pays, détruit par des dictateurs sans scrupules, puisse se relever au bénéfice de tous les Centrafricains. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe écologiste.)

 

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, je remarque d’emblée que ces débats sur les opérations militaires extérieures sont devenus fréquents. Non qu’il faille se réjouir de la nécessité d’intervenir à l’étranger ; mais on peut être satisfait de la capacité de la France à assumer ses responsabilités.

 

Je remarque aussi que ce vote intervient très tôt avant le délai de quatre mois au-delà duquel la Constitution impose le vote du Parlement. L’autorisation de prolongation inscrite dans la Constitution en deviendrait presque une autorisation d’emblée, et je me félicite de ce renforcement du rôle du Parlement.

 

Le déplacement de la délégation parlementaire en Centrafrique, avec la présidente Élisabeth Guigou, aura permis à plusieurs de nos collègues de prendre conscience des réalités locales ; pour un certain nombre d’entre eux, c’était manifestement utile. Et depuis la formation de ce Gouvernement, jamais le ministre de la défense ne s’était aussi souvent rendu devant notre commission. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre disponibilité et pour le respect que vous témoignez à l’égard de cette noble Assemblée.

 

Le Parlement est régulièrement informé, quoi qu’en disent certains, et dès décembre 2013, une mission permanente de la commission de la défense, monsieur Jacob – c’est dommage, il ne m’écoute pas(Exclamations sur les bancs du groupe UMP) – a été décidée par le bureau de notre commission. Cette mission, qui a été décidée en décembre, se déplacera dès la semaine prochaine dans les pays limitrophes concernés par les prépositionnements. Nous y accomplirons notre mission de contrôle, mais aussi de soutien à nos forces, contrairement à ce que certains esprits malveillants – ou peut-être mal informés – veulent faire croire. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

 

Au-delà de ce déplacement de notre mission permanente se déplacera, rappelons que les Nations unies se sont prononcées favorablement et nous permettront, très prochainement et durant le mois de mars, de mener une opération de maintien de la paix.

 

De la même façon, l’Union européenne – Élisabeth Guigou en a parlé – est déjà intervenue sur le plan humanitaire, en matière de sécurité et en matière politique.

 

Pour ce qui est du budget des OPEX, évoqué par certains d’entre vous, je vous conseille, chers collègues, de relire la loi de programmation militaire : le financement est déjà prévu par l’article 4.

 

M. Pierre Lellouche. C’est insuffisant !

 

M. le président. Monsieur Lellouche, s’il vous plaît !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. J’entends et je lis des critiques sur les erreurs de planification militaire, qui auraient été commises en raison d’une sous-estimation de la détermination des protagonistes. Pour ma part, je me borne à constater qu’il est plus facile de commenter des opérations militaires après coup que de les planifier et de les conduire.(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Et quelle méconnaissance, quelle arrogance vis-à-vis de nos états-majors, alors que leur compétence est reconnue partout dans le monde ! Ils avaient anticipé et préparé cette mission, et nous le savons.

 

M. Yves Fromion. Personne n’accuse les militaires !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous savons tous ici qu’une opération militaire implique une prise de risque. Ce n’est donc pas tant la question du risque et de son évaluation qui doit nous occuper que la mesure du danger qui guette la République Centrafricaine. C’est l’ampleur de ce danger qui justifie notre action et notre vote d’aujourd’hui.

 

Mes chers collègues, quelle serait la conséquence d’un retrait de la France ? À ce jour, nous avons toutes les raisons de craindre une immense guerre ethnique. Il en résulterait au mieux une partition de ce pays. Au pire, nous serions les témoins d’un génocide. Dans tous les cas, nous assisterions au suicide d’une nation.

 

Du point de vue stratégique, il faut affirmer ici que les conséquences d’une déstabilisation de cette région de l’Afrique se feraient sentir en Europe. les Français doivent en être conscients, l’Afrique est notre voisine et il est vain de nier la géographie. Le Livre blanc de 2012 a corrigé –heureusement ! – celui de 2008, le vôtre, monsieur Jacob…

 

M. Yves Fromion. Là, on rigole !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.…en maintenant nos forces prépositionnées dans cette zone. Heureusement, car si cela n’avait pas été le cas, nous n’aurions pas pu intervenir en Centrafrique ni au Mali.

 

M. Yves Fromion. N’importe quoi !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. En réalité, si nous n’étions pas intervenus ou si nous nous retirions, nous serions contraints d’y retourner bientôt, dans des conditions pires que celles d’aujourd’hui. Il est d’ailleurs certain que ceux des pays amis qui, toujours, laissent entendre qu’il est urgent de ne rien faire et que la France court après son histoire en Afrique, seraient les premiers à nous demander de prendre nos responsabilités face à la tragédie en cours.

 

Car oui, il est vrai que seule la Constitution de notre pays permet une intervention rapide. Et seule la France, en Europe, a su maintenir un budget de la défense à l’égal des années précédentes et aux normes de l’OTAN.

 

M. Yves Fromion. Et qui vous a laissé une belle armée en héritage ?

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous avons pris nos responsabilités en toute connaissance de cause. La France s’est rendue en Centrafrique pour interrompre les exactions de la Séléka ; aujourd’hui, c’est fait. Elle avait pour mission de désarmer la Séléka ; c’est fait. Les mercenaires étrangers sont partis. Autant de succès notables.

 

M. Yves Fromion. Allez donc voir ce qui se passe en réalité !

 

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous irons, monsieur Fromion. Et je sais que vous vous y êtes rendu dernièrement. Certes, d’autres difficultés sont apparues. Mais la guerre, c’est cela : on a beau essayer de tout planifier, rien ne se passe comme prévu. Notre devoir aujourd’hui est de continuer à faire baisser la violence sur place et à soutenir le processus de transition politique entamé autour de la Présidente. Pour ce faire, notre dispositif a d’ores et déjà été renforcé.

 

Bien sûr, j’ai une pensée pour les soldats disparus, qu’ils soient français ou africains. J’aimerais pouvoir assurer les soldats qui sont sur place de la clarté du cadre d’ordres de l’Assemblée nationale. Aussi, je vous invite, chers collègues, à voter la continuité de cette opération. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

 

M. le président. Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin public dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

 

La parole est à M. le ministre de la défense.

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, quelques mots pour répondre, sur l’essentiel, aux différents intervenants.

 

Je voudrais commencer en saluant avec vous la mémoire du caporal Damien Dolet, qui a trouvé la mort ce dimanche en Centrafrique dans des circonstances accidentelles. Un hommage solennel lui sera rendu dans quelques jours. Je veux également saluer celle des caporaux Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio.

 

Je remercie les orateurs des différents groupes d’avoir rendu hommage à nos soldats. En tant que ministre de la défense, je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, du soutien que vous leur avez apporté. Je suis convaincu que l’appui de la représentation nationale est essentiel pour nos armées. Je sais que les soldats écoutent nos débats et je suis sûr que les interventions des différents orateurs et l’unanimité de notre assemblée derrière leur action les conforteront dans leur dynamique et leur professionnalisme.

 

Je voudrais revenir sur un certain nombre de questions que vous avez posées. D’abord, je constate qu’aucun des intervenants n’a remis en cause la nécessité de l’intervention en Centrafrique. Le président Le Roux l’a dit, mais d’autres orateurs aussi : nous revenons de très loin et si la France n’était pas intervenue, il y aurait eu des massacres de masse, dont nous aurions eu indirectement la responsabilité.

 

Nul ne pouvait ne rien faire, ni les Africains, ni la France, ni les Nations unies. Je voudrais rappeler à cet égard, monsieur le président Jacob, si vous me le permettez, que nous détenons notre mandat des Nations unies. Vous avez vous-même reconnu au début de votre intervention que c’était indispensable. C’est la raison pour laquelle nous sommes intervenus le 5 décembre et pas avant, le mandat des Nations unies étant intervenu à ce moment-là.

 

Ce mandat a une durée de six mois, renouvelable. Nous sommes solidaires de cet agenda et nous maintiendrons cette solidarité d’agenda avec celui du Conseil de sécurité. Je tenais à vous le dire parce que c’est la réalité.

 

M. Jean Launay. Très bien !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Contrairement à ce qu’a affirmé le président Chassaigne, il n’y a pas eu d’aggravation de la situation. Je me suis rendu trois fois en République Centrafricaine depuis deux mois et demi ; j’ai pu constater les progrès réalisés en matière de sécurisation. Si nos forces n’étaient pas intervenues, il y aurait effectivement eu une aggravation et des massacres de masse. Aujourd’hui, un certain nombre de quartiers de Bangui sont sécurisés. On circule dans Bangui, les taxis, les écoles fonctionnent, ce qui n’était pas le cas auparavant. Aujourd’hui, j’en informe l’Assemblée nationale, l’université vient de rouvrir. Il y a donc eu des progrès sensibles grâce à l’intervention de nos forces en République Centrafricaine, même si, dans la province, la sérénité et la sécurité ne sont pas encore revenues. Mais on ne peut pas dire qu’il y a eu une aggravation du fait de l’opération Sangaris.

 

Notre intervention a également donné un coup d’arrêt à la déliquescence de l’État et permis la mise en place d’une équipe de transition politique dont les uns et les autres ont bien voulu souligner le sérieux et la volonté.

 

Notre intervention a également permis aux ONG de retrouver une certaine capacité d’action, même si elle n’a pas encore atteint sa plénitude ; il n’empêche qu’au départ, les ONG étaient totalement incapables de venir en aide aux nombreuses populations en souffrance.

 

Il y a donc eu, en deux mois et demi, beaucoup d’avancées, sinon une nouvelle donne dans la situation en République Centrafricaine. Et contrairement à ce qui a été dit, nous ne sommes pas seuls dans cette affaire : les forces centrafricaines, dans les différentes interventions des uns et des autres, sont souvent passées par pertes et profits. On les ignore…

 

M. Pierre Lellouche. Il n’y en a pas !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …lors qu’elles comptent désormais 6 000 hommes. On avait dit, lors d’un précédent débat, qu’elles ne seraient jamais suffisamment nombreuses et que le chiffre annoncé par les Nations unies ne serait pas atteint. Or il est atteint, et ces forces sont organisées.

 

La MISCA a eu plusieurs soldats tués, auxquels il faut rendre hommage. On compte à ce jour dix neuf soldats de différentes nationalités morts pour la Centrafrique. Les forces africaines sont là, elles sont fières d’être là et elles accomplissent leurs missions. Certes, certaines ne sont pas aussi opérantes que les forces françaises, mais beaucoup sont robustes et de qualité. Elles remplissent leurs missions, il faut le dire dans cette enceinte, car je considère qu’on l’a un peu oublié. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

 

M. Charles de Courson. Très juste !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Quand j’entends dire que nous sommes seuls en Centrafrique alors qu’il y a sur le terrain 6 000 militaires africains, je ne suis pas certain que l’Union africaine apprécie ce genre de propos. C’est pourquoi je tenais à leur rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

 

Des questions ayant été posées sur ce point, je voudrais donner quelques précisions sur la mission EUFOR décidée par l’Union européenne. Ce n’est que la quatrième intervention militaire européenne dans l’histoire depuis la décision de mettre en oeuvre une politique de sécurité et de défense commune ; celle-ci a été décidée rapidement et à l’unanimité. L’état-major de la mission EUFOR est en place depuis la semaine dernière : je l’ai visité vendredi à Athènes. La force européenne pourra se déployer dans le courant du mois de mars.

 

Plusieurs pays ont déjà annoncé leur contribution. Une conférence de génération de forces s’est tenue aujourd’hui, qui a déjà permis certaines avancées. Une nouvelle conférence aura lieu dans quelques jours. L’Union européenne est au rendez-vous, un peu tardivement, c’est vrai, mais la décision a été rapide et la mise en oeuvre le sera tout autant : elle sera assurée par un général français, le général Pontiès. Je suis convaincu que l’Union européenne sera en situation de nous aider à agir demain.

 

M. Thierry Mariani. Encore heureux !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Quelles sont nos missions aujourd’hui ? La première, c’est la sécurité. Elle doit revêtir trois formes.

 

D’abord, une capacité de déploiement militaire suffisante hors de Bangui. C’est notre préoccupation. Le renforcement de la MISCA, désormais opérationnelle, plus l’arrivée de l’EUFOR doivent nous permettre d’y parvenir. On a pu constater que lorsque Sangaris et la MISCA se déployaient hors de Bangui, la sécurité revenait. Cela a été le cas, notamment à l’ouest. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité porter le nombre de militaires déployés de 1 600 à 2 000.

 

Je profite de cette occasion pour répondre au président Jacob sur les OPEX. La procédure est simple, elle est inscrite dans la loi de programmation militaire : lorsqu’une opération extérieure supplémentaire est décidée en cours d’année, son financement est intégralement pris en charge par le budget de l’État.

 

M. Jean Launay. Il fallait le rappeler !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’était le cas l’année dernière pour la mission au Mali ; ce sera également le cas cette année. Les choses à cet égard sont très claires, et inscrites dans la loi. Je suis convaincu que les parlementaires seront vigilants sur ce point.

 

M. Pierre Lellouche. L’an dernier, c’était 700 millions !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En ce qui concerne le ministre de la défense, si M. Lellouche

accepte que je continue à parler…

 

M. Pierre Lellouche. Vous ne dites pas la vérité !

 

M. le président. Monsieur Lellouche, s’il vous plaît !

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En ce qui concerne le ministre de la défense, puisque chacun se préoccupe de la bonne mise en oeuvre de nos interventions, la préoccupation majeure, à mon sens – ceux qui sont allés sur place ont dû s’en rendre compte –, c’est le besoin urgent d’une sécurité de proximité.

 

C’est la raison pour laquelle nous avons pris la décision d’engager des forces de gendarmerie. En effet, l’opération militaire se transforme progressivement en opération de gendarmerie. Les forces françaises déployées comporteront donc des gendarmes, comme d’ailleurs la force européenne.

 

J’évoquerai en quelques mots la situation politique. M. Folliot s’interrogeait sur la date des élections présidentielles, fixées au mois de février prochain ; c’est pour nous une nécessité. Il faut tout mettre en oeuvre pour que ce processus aboutisse et pour éviter toute tentative de partition de la République Centrafricaine, qui d’ailleurs ne serait acceptée par aucun État de la région.

 

M. Philippe Folliot. Cela ne se fera pas. Vous savez que c’est impossible.

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous pensons comme vous, messieurs Folliot et de Rugy, que l’exode vers l’Est de certaines populations musulmanes doit être provisoire. Il faut encourager l’indispensable réconciliation, comme le font les autorités religieuses et la présidente Mme Samba-Penza. Cette réconciliation passera par une élection présidentielle.

 

Je rappelle enfin à l’ensemble des intervenants, qui tous ont souligné cette nécessité, que nous sommes là-bas en relais d’une opération de maintien de la paix des Nations unies, dont il reste à mettre au point le dispositif. Un rapport du secrétaire général des Nations unies est prévu dans quelques jours ; dans un mois, la procédure s’engagera en vue d’une intervention réelle des Casques bleus avant la fin de l’année.

 

Nous sommes dans une situation de relais aux côtés de l’Union africaine et de l’EUFOR européenne, en attendant une indispensable opération des Nations unies qui permettra à ce pays de voir le retour de la sérénité, la fin des souffrances et l’avènement de la paix à laquelle il aspire depuis de nombreuses années et que nous essayons pour l’heure de rétablir grâce à nos propres forces, au professionnalisme, à la qualité et au sang-froid de nos soldats. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)

 

M. le président. Monsieur le ministre, nous vous remercions.

Le débat est clos.

 

 

VOTE EN APPLICATION DE LARTICLE 35, ALINEA 3, DE LA CONSTITUTION

 

M. le président. Nous allons maintenant procéder au vote sur l’autorisation de la prolongation de

l’intervention des forces françaises en République Centrafricaine.

(Il est procédé au scrutin)

 

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 463

Nombre de suffrages exprimés 442

Majorité absolue 222

Pour l’adoption 428

contre 14

 

(L’Assemblée nationale a autorisé la prolongation de l’intervention des forces françaises en

Centrafrique.)

 

Ordre du jour de la prochaine séance

 

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Questions à Mme la ministre de la justice ;

Questions à Mme la ministre du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron

[Mardi 25 Février 2014]



28/03/2014

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