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De l’état d’urgence au projet de réforme de la procédure pénale : quand l’exception devient la règle

Africa7-Mis à jour le 07/02/2016

La controverse sur l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français a fait passer au second plan la réforme pénale et l'inscription de l’état d’urgence dans la Constitution qui concerneraient, elles, tous les Français.

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"Des vies bouleversées". Celle de Karim, assigné à résidence depuis le 15 novembre, ou encore d'Amar, perquisitionné à son domicile, tous deux interrogés par Amnesty International dans un rapport dénonçant "l’impact disproportionné de l’état d’urgence en France", publié jeudi 4 février.

Comme l’ONG, le Défenseur des droits Jacques Toubon a dénoncé l’entrée de la France dans "l’ère des suspects" avec l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. Le projet de révision constitutionnelle sera examiné par l’Assemblée nationale vendredi 5 février. Une fois votée, la réforme permettrait de pérenniser le système, d’y avoir recours plus facilement et pour des durées plus longues.

C’est pourtant sur un autre chantier législatif que l’état d’urgence – qui doit théoriquement prendre fin le 26 février – devrait laisser l’héritage le plus lourd : celui de la réforme pénale, qui compte faire glisser certaines de ses mesures sécuritaires d’urgence dans le droit commun.

France 24 a recensé les principales mesures qui devraient perdurer une fois l’état d’urgence levé.

  • Les assignations à résidence

La loi sur l’état d’urgence de 2015 donne la possibilité au ministre de l’Intérieur d’assigner à résidence "toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public". Les assignés ont l’obligation de pointer régulièrement au commissariat et peuvent, dans certains cas, être sommés de porter un bracelet électronique.

Le projet de réforme de procédure pénale vise à rendre permanente cette disposition en donnant la possibilité d’assigner à résidence, pour une durée maximum d’un mois, les personnes soupçonnées de s’être rendues à l’étranger pour participer à des activités terroristes. En ligne de mire, les Français revenus de Syrie ou d’Irak et susceptibles de "porter atteinte à la sécurité publique lors de leur retour sur le territoire français". L’équivalent d’un contrôle judiciaire, le juge en moins.

  • Les perquisitions de nuit

L’état d’urgence permet au ministre de l’Intérieur et aux préfets d’ordonner des perquisitions à domiciles "de jour et de nuit", sans l’aval préalable d’un juge.

Le projet de loi du gouvernement prévoit que les perquisitions de nuit, dont l’autorisation était jusqu’alors donnée par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, selon le cadre de l'enquête, puissent être directement et normalement ordonnées par le préfet ou le procureur. Donc par un haut fonctionnaire d’État ou par un magistrat relevant hiérarchiquement du ministre de la Justice.

  • La surveillance d’Internet

Si la loi sur l’état d’urgence de 2015 a supprimé le contrôle de la presse ou de la radio initialement prévu par la loi de 1955, elle l’a remplacé par la possibilité pour le ministre de l’Intérieur de bloquer les sites "faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à des actes terroristes".

Le projet de loi précise et rend encore une fois cette mesure permanente en proposant de condamner à 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende les personnes consultant des sites "provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme" ou faisant leur apologie. Le texte prévoit des exceptions, mais uniquement pour les journalistes, les chercheurs, les avocats ou les enquêteurs. Méfiance donc pour les internautes lambda curieux.

Le texte permettrait aux procureurs d’autoriser le parquet à utiliser des "lmsi-catcher", une technologie qui permet d’intercepter des communications téléphoniques dans un certain périmètre, sans autorisation préalable d’un juge.

  • Le renforcement des pouvoirs de la police

Les policiers et les gendarmes pourraient être autorisés à fouiller les bagages et les véhicules sur simple demande du préfet et de procéder à des contrôles d’identité, hors suspection de délit. Sur ce dernier point, la police aurait également la possibilité de retenir une personne, même mineure et sans la présence d’un avocat, pendant quatre heures, "lorsqu'il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste". À noter qu’aucune définition du terme "terrorisme" n’est donnée par le texte.

Les policiers, gendarmes et militaires devraient pouvoir bénéficier d’un principe "d’irresponsabilité pénale", même "hors cas de légitime défense", lorsque l’usage de leur arme est "rendu absolument nécessaire pour mettre hors d'état de nuire une personne venant de commettre un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons sérieuses et actuelles de penser qu'elle est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin des premiers actes".

Avec la constitutionnalisation de l’état d’urgence et avec la réforme pénale, le gouvernement entend bien faire de l’exception, la règle. Si dans le rapport d’Amnesty International, il est question "des vies bouleversées" de Karim, d’Amar et des quelques centaines de personnes directement touchées par les mesures sécuritaires de l’état d’urgence, il pourrait bientôt devenir l’affaire de millions de Français.

Il est vraisemblable que le projet sera amendé lors de la discussion au Parlement. Mais la loi, en tout cas, s’apprête peut-être à connaître un bouleversement.

©France24



07/02/2016

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