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Centrafrique : entre fiction et réalité

[ La rédaction |Mis à jour|31 juillet 2014 ]  

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   L’écrivain français Vincent Crouzet publie aux éditions Belfond un volumineux roman de 480 pages. Ce roman à clé, écrit et publié dans certains pays africains par un Africain, aurait valu à son auteur les tracasseries du pouvoir en place et les applaudissements de son opposition. Car le problème de la corruption qu’il traite touche tous les pays et singulièrement les pays africains. Radioactif est un roman qui égratigne les puissants, par ses allusions claires, et qui donne une véritable leçon aux donneurs de leçon.

    Aux Etats Unis, Vincent Crouzet aurait été protégé par le premier amendement.

   En France, la Brigade financière s’est contentée de l’entendre pendant sept heures, non pas pour le chicaner sur quelques mots : Végas par exemple, qui est considérée, à la page 407 du roman comme << une planète qui brille de mille feux >>, << Président >> qui est écrit dans pratiquement toutes ses occurrences avec une lettre majuscule, << équivaut >> qui est transitif direct à la page 31 et, à la fin de la page 240, le << …tout Paris bruisse…>> du journal Le Monde. Non. Elle ne l’a pas entendu non plus comme un vulgaire délinquant, mais plutôt comme un << allié >> de circonstance, pour tenter de comprendre << les dessous de l’affaire Areva / UraMin >>

L’affaire

   En 2007, Areva, le groupe industriel français spécialisé dans l’énergie nucléaire rachète pour 2 milliards 500 millions de dollars UraMin, une entreprise canadienne créée en 2005, immatriculée aux Iles Vierges britanniques et possédant des permis d’exploitation d’uranium en Afrique du Sud, en Namibie et en Centrafrique. Le groupe investit ensuite un milliard dans les mines de Trekkopje en Namibie. Ce qui porte ses dépenses à 3 milliards 500 millions de dollars. Mais cette bonne affaire << la plus grosse acquisition d’Areva >> se transforme bientôt en cauchemar pour ses dirigeants. Car entre temps le cours de l’uranium avait baissé et s’était même complètement effondré après Fukushima. On découvre alors que le géant du nucléaire français a racheté à prix d’or une coquille presque vide. Madame Lauvergeon, la présidente du directoire, est accusée d’avoir payé << soixante quinze fois la valeur initiale d’UraMin. >> Deux audits sont lancés en 2010 et 2011. Le 3 juin 2014, le domicile de madame Lauvergeon est perquisitionné, ainsi que le siège d’Areva et le domicile de Sébastien de Montésuis, le personnage de Guillaume de Rouvroy qui, dans Radioactif, lance l’enquête policière en mettant en relation le colonel Montserrat, agent de la DGSE et le Radjah.

   Voici ce que déclarait le 23 juin 2014, à France Info, l’auteur du roman : << J’ai la ferme conviction que cette affaire a été montée pour distribuer des sommes d’argent considérables à des hautes personnalités tant africaines que françaises. >>

  Le personnage principal

     Les dirigeants centrafricains ont coutume de nommer, dans leur entourage, des experts, des directeurs généraux et même des ministres étrangers, de la sous-région ou de nationalité française. En 2005, le président en exercice est allé à l’autre bout du monde pour se trouver un vice-ministre des Affaires étrangères. Dans le roman, il s’appelle Fahad Khan, le Radjah, aphérèse de maharadjah. Il est né en 1952, de père hindou, de mère saoudienne et de nationalité pakistanaise. Il se dit cendré, brown, apparenté noir pour justifier sa proximité ou plutôt sa connivence avec les présidents centrafricains, les deux qu’il a servis et sur lesquels je reviendrai. Il est << de taille moyenne, en léger surpoids >>. Il arrive à Bangui précédé d’une réputation sulfureuse : il a fait de la prison au Pakistan, il a détourné de l’argent, il a été condamné par contumace par un tribunal français, mais il est riche. Le président démocratiquement élu lui sert, sur un plateau en or de Bagandou, la nationalité centrafricaine. Le voilà Centrafricain, puis << super-conseiller spécial >> à la présidence. Il a l’oreille du président. Il en profite pour lui demander de faire payer << au prix fort >> sa fréquence à Air France qui << se comporte (…) en Afrique francophone, avec une arrogance coloniale sans bornes. >> Cet épisode pourrait laisser penser que le Radjah travaille pour son pays d’adoption. Il n’en est rien. En réalité, il règle ses comptes avec les Français, qui l’ont condamné, qui le considèrent comme leur ennemi numéro un en Afrique et qui vont, d’après lui, chercher à le tuer.

   Le Radjah ne travaille que pour accroître sa fortune, << une montagne de dollars >>, et accessoirement pour le président centrafricain, surtout le deuxième. C’est lui qui négocie sa part du gâteau Murana. Il n’est question nulle part de la RCA. Fahad Khan ne fait même pas semblant d’endosser le costard de la diplomatie centrafricaine. Son titre l’ayant mis à l’abri des poursuites françaises, il peut se consacrer à l’érection de sa << montagne de dollars >>.

Un homme prévoyant et secret

   On ne sait pas tout de lui. On le soupçonne d’avoir financé le coup d’Etat qui a chassé le président démocratiquement élu du pouvoir. Il a toujours un plan B pour rebondir. Il aide le régime en place mais aussi son opposition. C’est ainsi qu’après le coup d’Etat de 2003, alors qu’une véritable chasse aux sorcières s’était abattue sur les caciques du régime déchu, il passe dans le camp du nouveau président et, en prime, reçoit une promotion.

   Il est omniprésent dans le roman. C’est lui qui informe le narrateur. Il sait tout sur tous ceux qui gravitent dans le monde interlope de l’uranium, un minerai stratégique. Il contracte des amitiés de circonstance. Mais dans son bras de fer avec les Français, il ne pèse pas lourd. Il est chassé de l’entourage du président centrafricain. Les Français le croient perdu quand ils demandent et obtiennent du Royaume Uni son extradition. Mais il dispose, contre eux, d’une arme secrète.

Les Centrafricains dans Radioactif

   Ce sont des personnages secondaires, même s’ils apparaissent dès le deuxième chapitre du roman, dans une analepse. Ils sont peu nombreux comme les personnages d’une tragédie. Ils sont peu nombreux comme les castes qui ont conduit la Centrafrique en enfer.

    On retrouve parmi eux ou plutôt à leur tête le personnage principal, Fahad Khan. Il connaît mieux la Centrafrique que les présidents centrafricains. C’est lui qui découvre le gisement d’uranium de Ndunga nord dont << la teneur en radioactivité est exceptionnellement haute >>, C’est lui qui achète des diamants à Oumar Younous, un des lieutenants de Djotodja, alors chef rebelle, c’est encore lui qui découvre que << les creuseurs >> de la rivière irradiée de Nzako sont << des enfants esclaves >> enlevés par << des collecteurs libanais >>, enfin c’est lui qui va faire soigner ces enfants qui, de toute façon, étaient condamnés.

Les deux présidents centrafricains

   Ils sont désignés par leur titre. Mais le texte précise, pour lever tout risque de confusion, que le premier régnait en 2001 quand le Radjah fut nommé conseiller spécial. 2001, période particulièrement troublée de l’histoire de la Centrafrique, un tournant dans le règne du président démocratiquement élu. Qui échappe à une tentative de coup d’Etat revendiquée par le général Kolingba. Sauvé in extrémis, ce président surnommé par dérision ou par affection Kouayanga devient soupçonneux, à la limite parano. Il a son ministre de la Défense dans le collimateur. Son chef d’Etat-major s’enfuit, avec une partie de l’armée et lui déclare la guerre. Ce général est le deuxième président centrafricain de Radioactif. Beaucoup mieux campé que son prédécesseur.

   Il est l’auteur du coup d’Etat de 2003, << le chef d’Etat-major putschiste >>. En réalité, il n’était plus chef d’Etat-major de l’armée au moment du coup d’Etat. Pour ceux qui ne l’auraient pas deviné, le texte précise que le nouveau président centrafricain a un neveu, Sylvain << devenu par la grâce tribale ministre des mines. >>

   Ces deux présidents sont sous la coupe du maharadjah. Il faut peut-être préciser que dans ce pays pauvre où les fonctionnaires tiraient (et tirent toujours) le diable par la queue, où le président n’avait pas un avion personnel pour se déplacer, le sémillant bonimenteur pakistanais disposait d’un jet et surtout des arguments sonnants et trébuchants, plus convaincants que ses boniments. C’est lui qui parle des présidents centrafricains, qui n’existent que par lui. Il ne les appelle pas << Excellence >> comme il est de coutume sous ces latitudes, mais <<Frère >> ou << Brother >> ou encore << Bros >> à la manière africaine. Il travaille aussi pour les présidents namibien et sudafricain, le successeur de Nelson Mandéla.

   Conseiller spécial du président démocratiquement élu, il se prend pour son Premier ministre. A Bangui, les Français lui en veulent, non pas parce qu’il a escroqué les Américains, mais bien parce qu’il influe sur la politique centrafricaine, parce qu’il leur fait de l’ombre << Le Radjah nous chie dans les bottes depuis plus de dix ans. Ca a commencé avec l’affaire d’Air France, puis il a renversé son maître à Bangui pour servir le nouveau patron, il est devenu le cauchemar de nos ambassades là-bas, et il s’est intéressé à l’uranium…>> Quand il est incarcéré à Paris, Nogaret, le numéro un de Murana envoie Balthazar, un de ses acolytes, dire au président centrafricain que << la France est de retour. >>

   Le personnage du Radjah symbolise la mainmise de l’étranger sur la Centrafrique et sur ses dirigeants. Il fait penser, la passion du lucre en moins, à un colonel français qui gouvernait le pays à la place d’un autre président.

Le thème de la corruption

   Il s’agit de la trame du roman : une gigantesque affaire de corruption initiée depuis Paris, et qui a des ramifications en Afrique et en Amérique.

   Ce roman détonne dans l’univers de la corruption, où les pays africains caracolent en tête de tous les hit-parades. Le dernier publié, celui de Transparency International qui fait autorité, avait classé la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud, la Libye, la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale, le Tchad et l’Erythrée parmi les pays les plus corrompus de la planète. Aucun de ces pays, paradoxalement ne sert de cadre à ce roman, qui se déroule entre la France, le Royaume Uni, l’Afrique du Sud, la Centrafrique, les Iles Vierges britanniques, le Ghana et l’île de Jersey. On voit bien ici que les Etats pauvres du continent noir n’ont pas l’apanage de la corruption.  Des pays bien notés par Transparency International (la France, le Royaume Uni) voisinent avec des pays mal notés (la Centrafrique, l’Afrique du Sud) et un paradis fiscal, les Iles Vierges britanniques. La corruption dont le versant européen s’appelle rétrocommission touche tous les pays du monde. Il reste que son épicentre dans Radioactif est la France : << …Hallucinant…La France. Tu imagines…Là, y a des trucs qui vont pas. Comme chez les Blacks, comme chez les bougnoules. Pas mieux. >> s’indigne le personnage principal.

   La France ou, plus précisément, quelques Français, qui ne s’appliquent pas les leçons de bonne gouvernance qu’ils continuent de dispenser aux Africains.

   Radioactif

Vincent Crouzet

Editions Belfond, Paris, 2014

480p. 21,50 euros

 

Le, 30 juillet 2014

GBANDI Anatole

Forum de Reims

 



31/07/2014

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