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Centrafrique : Chroniques douces-amères – 29

[ Par Prosper INDO |Mis à jour|21 janvier 2015 ]

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« Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs »(Beaumarchais)

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Eloge de la Sangaris.

 

Qu’on ne s’y méprenne point. Il n’est pas ici question des forces internationales françaises de l’opération Sangaris. Il s’agit de saluer la trajectoire flamboyante de Marie-Noëlle Koyara, nouveau ministre de la Défense nationale. C’est une première, sans doute en Afrique, point dans le monde. Après avoir été ministre de l’Agriculture, de la Promotion de la femme, du Développement rural, puis de l’Equipement, elle aborde un ministère de souveraineté pour la dernière ligne droite de la transition. Elle aura été ministre sous Patassé, sous Bozizé, sous Djotodia et sous C. Samba-Panza. Cette longévité politique est sans doute le signe d’une manière de faire ou d’être.

 

En langue sango, le papillon Sangaris se dit « Poupoulengué », littéralement, « la perle du vent ». Tout est dit.

 

Eloge de l’engagement.

 

Le cinquante-troisième candidat aux prochaines élections présidentielles vient de se déclarer. Il s’agit de l’ex-ministre Crépin Mboli-Goumba, lequel indique que sa candidature est portée par « le constat précoce et affligeant… du terrible complexe d’infériorité de la classe politique de notre pays et son incapacité à faire développer notre pays ». Le constat établi perdure, malgré son passage aux gouvernements du Premier-ministre Nicolas Tiangaye, comme ministre d’Etat et porte-parole du gouvernement. Hic ! L’article 106 de la Charte constitutionnelle de la transition dispose que « le Chef de l’Etat de la transition, le Premier Ministre de transition, les membres du gouvernement de transition et les membres du bureau du Conseil national de transition sont inéligibles aux élections présidentielles et législatives organisées à l’issue de la transition ». Cette disposition échappe à la révision. On ne fera pas injure à l’ex-ministre d’ignorer les textes. Sa candidature est donc soit inutile soit fantaisiste.

 

Le juriste dit : la morale est source du droit !

 

Eloge de l’instabilité : un gouvernement pour la fin.

 

Pour une fois, le Chef de l’Etat de la transition aura tenu parole. Le 15 janvier 2015, Catherine Samba-Panza exigeait un remaniement technique du gouvernement. Elle l’aura obtenu en 24 heures chrono ! Mais le résultat sent la confusion : le premier gouvernement Mahamat Kamoun n’aura tenu que 3 mois. Le second s’enfle comme la grenouille de la fable, passant de 26 à 31 membres. Pis, les ministères de souveraineté (Défense nationale, Justice, Sécurité publique, Finances et Budget) changent encore de titulaires pour la troisième fois en moins d’un an ! Résultat, l’ancien ministre Aristide Sokambi, alias « le météorite », aura quitté l’administration du territoire pour la défense nationale où il ne sera resté que 3 mois ; le voilà parti pour la justice ! Idem pour Mme Koyara qui, après l’agriculture, était hier à l’équipement et, aujourd’hui, à la défense nationale. Le clou du spectacle ? La nomination du professeur Bernard Simiti, nostalgique d’un passé révolu, à la tête du département de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Il pourra deviser tranquillement sur l’empire esclavagiste du Dar-el-Kouti de Sénoussi et rêver à la reconstitution de son « tata » !

 

A la fin, le prochain président de la République ne pourra racler que les fonds de caisse.

 

Eloge de la futilité.

 

La composition de la commission préparatoire du Forum inter-centrafricain de Bangui a été installée le 7 janvier 2015. Outre la désignation controversée du représentant des Centrafricains de l’étranger, cette commission révèle d’autres subtilités – pour ne pas dire anomalies – qui ne laissent pas de surprendre. Ainsi, parmi les représentants des groupes armés, figurent le professeur Hamat Mal Mal, théoricien de la partition du pays et secrétaire général du Front patriotique pour la renaissance du Centrafrique, la branche politique de l’ex-Séléka du président démissionnaire Michel Djotodia. Autre incongruité, la désignation d’un membre du Conseil national de transition (CNT) comme personnalité indépendante, l’institution parlementaire étant représentée par un autre conseiller national. La dite commission préparatoire, dont les conclusions semblent acquises d’avance, a tout d’un comité Théodule.

 

Lorsqu’il s’agit de faveurs, mieux vaut arroser ses propres amis.

 

Eloge de la force.

 

Le « général » Andjilo, soupçonné de nombreuses atrocités et exactions à Bangui et dans plusieurs autres localités de province, vient d’être arrêté à Bouca, dans le nord-ouest du pays, au cours d’un combat engagé avec le bataillon camerounais de la Minusca. Le chef anti-Balaka, Rodrigue Ngaïbona alias Andjilo – littéralement le volé – est poursuivi pour assassinats, rébellion, détention illégale d’armes de guerre, association de malfaiteurs, viols, pillages. Il est considéré comme l’un des meneurs de la traque du 5 décembre 2013 lancée à la poursuite des populations musulmanes, et sans doute aussi l’attaque du 9 octobre 2014 contre le convoi des Casques bleus de la Minusca, causant la mort d’un  soldat pakistanais. On ne comprend donc pas l’ire de la coordination des anti-Balaka dont le porte-parole, un certain Igor Lamaka, a dénoncé une justice à deux vitesses : « le mouvement populaire anti-balaka, qui s’est transformé en parti politique, a amorcé le processus des consultations à la base et de la réconciliation ».

 

Il faut tout leur expliquer : La réconciliation n’est pas la justice, laquelle tient sa force de la loi !

 

Eloge de la tragédie : un Casque bleu se suicide.

 

Un Casque bleu faisant partie des éléments militaires de la République démocratique du Congo, détachés dans la ville de Bambari, centre du pays, s’est donné la mort avec son arme de service dans la nuit du 12 au 13 janvier 2015.  La tragédie est née de la lenteur de la procédure d’évacuation de ce militaire, victime d’une rage de dent depuis plusieurs jours déjà. On a beau être un fier militaire, on n’en demeure pas moins homme, de chair et de sang comme dirait l’autre, et donc sensible à la douleur et à la souffrance. Mourir d’une rage de dent, ceux qui en ont souffert savent qu’on peut se cogner la tête à mort contre le mur. Le décès d’un homme est toujours une tragédie.

 

La Minusca ne peut se dédouaner d’un tel gâchis !

 

Eloge de Boganda.

 

Afin de préparer le retour, dans leurs quartiers du 3ème arrondissement, des déplacés de l’aéroport de Bangui-M’Poko, les organisations humanitaires ont organisé du 13 au 16 janvier 2015 des visites guidées des sites abandonnés. Pour les ONG, « lorsque les visites prendront fin, celui qui se sent disponible pour regagner le quartier, il peut le faire volontairement, une aide pourrait l’accompagner si c’est possible ».

Selon les témoignages, « les quartiers de Ramandji, Boulata, situés dans le 3ème arrondissement sont envahis par les hautes herbes. C’est sinistre, les murs sont démolis jusqu’à leurs fondations. Le retour dans ces conditions est impossible à l’heure actuelle ». Que conseiller aux uns et autres ? Lire et parcourir l’ouvrage plein de tendresse et de générosité de l’autre Boganda, Benjamin Bougniers-Boganda. Photos et textes restituent la candeur d’un village d’antan, plein de charité ! Que faire ? Tracer un cadastre, dresser un plan d’occupation des sols, délimiter un lotissement, établir des voieries, définir un parti-pris architectural réplicable, un système constructif simple de panneaux préfabriqués en ateliers ; avec l’aide du fonds Bêkou et le coup de main de la population du quartier, lancer l’opération « Ramandji. Bâtissons notre vie ! ». Il suffit d’un géomètre, d’un architecte, d’un ingénieur et d’une entreprise générale.

 

Mais voilà, je ne suis pas le gouvernement !

 

Eloge de la raison.

 

Les enseignants des établissements primaires, secondaires et techniques du secteur public, qui étaient en grève d’avertissement depuis le mercredi 14 janvier 2015, ont suspendu leur mouvement ce vendredi 16 janvier 2015. Les deux points de revendication sont : la mauvaise gestion du département de l’Education nationale et la persistance de la sécurité. Concernant ce dernier point, le secrétaire général de la confédération syndicale des travailleurs centrafricains (CFTC), Sabin Kpokolo prend à témoin : « Vous avez vu ce qui s’est passé en France. Douze personnes sont mortes, François Hollande a mobilisé le monde entier. Ici, nous mourrons comme des mouches et aucune autorité ne peut mobiliser le monde entier ». Comparaison n’est pas raison, camarade !

La preuve ? Le ministre de l’Education nationale, Gisèle Bédan, a été remerciée et la grève a pris fin.

 

Aux grands « mots », les grands moyens.

 

Eloge des chiffres.

 

Malgré de multiples accords de cessation des hostilités et autres tentatives visant à mettre fin au conflit, la violence n’a pas cessé en République centrafricaine. Les chiffres avancées par l’IRIN pour mesurer l’impact du conflit donnent le tournis. Au-delà du nombre des tués, des réfugiés ou des personnes déplacées, un chiffre somme toute banal donne l’ampleur des dégâts. Il s’agit du nombre des organisations non gouvernementales, nationales et internationales, intervenant désormais en Centrafrique : elles sont 105. Le montant demandé dans le cadre du plan de réponse stratégique pour 2015, visant à répondre aux besoins de 2 millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire : 613 millions de dollars !

 

Le monde entier n’est peut-être pas au chevet de la RCA, mais peu s’en faut.

 

Eloge de la pauvreté.

 

Le budget de la RCA pour l’exercice 2015 s’élève à près de 228,5 milliards de francs CFA, soit environ 348.346.000 euros. Pour le ministre des Finances, Bounandélé Koumba, le budget 2015 vise à rétablir la sécurité, la cohésion sociale et l’autorité de l’Etat : « La spécificité de cette loi des finances, c’est que par rapport à l’année dernière, nous avons des charges de 228 milliards de francs CFA, des ressources de 268 milliards de francs CFA, ce qui nous dégage un gap de 59 milliards de francs CFA ». Et d’ajouter, « Nous allons avec le concours de nos partenaires au développement chercher les ressources extérieures pour le financement du gap » ! Pour lui donner tort, les membres du CNT ont proposé deux amendements visant la réduction des taxes sur l’importation des véhicules d’occasion et des matériaux de construction, ainsi que la réaffectation des 150 millions de francs CFA alloués au ministère du Tourisme pour l’organisation du concours Miss Centrafrique 2015.

 

Le ministre Bounandélé Koumba ne sait pas tenir son budget, raison pour laquelle il prend la direction du ministère des Télécommunications.

 

Eloge de la concertation.

 

Le représentant spécial des Etats-Unis pour la République centrafricaine, W. Stuart Symington, a estimé que la consultation à la base est une condition sine qua non pour la réussite du Forum de Bangui. Au sortir d’une audience avec le ministre de la Réconciliation nationale, Jeannette Déthoua, le diplomate considère que le ministre doit s’investir pour que les Centrafricains des provinces soient écoutés avant la tenue du Forum ; c’est une opportunité qui va permettre aux Centrafricains de prendre la destinée de leur pays en main. Même tonalité du côté du représentant chinois à Bangui. Les deux diplomates sont  prêts à s’investir pleinement dans la recherche d’une paix durable.

 

Pour une fois, Chinois et Américains sont d’accord ; il serait bête de pas en tirer profit.

 

Eloge de la bêtise.

 

Une humanitaire française de 67 ans, travaillant pour l’organisation non gouvernementale catholique CODIS, a été enlevée lundi matin 19 janvier 2015 à Bangui en compagnie d’un prêtre centrafricain, le frère Gustave, par quatre hommes en armes. Les ravisseurs, qui se réclament de la coordination des anti-Balaka, réclament la libération d’un de leur chef, le nommé Rodrigue Ngaïbona, alias « général Andjilo », arrêté par la Minusca le samedi 17 janvier 2015 à Bouca, nord-ouest du pays. Les anti-Balaka, qui se prétendent chrétiens, devraient pourtant savoir que leur chef a plaidé la repentance le 4 janvier dernier devant les chefs des quartiers du 4ème arrondissement et s’était engagé à ramener le calme !

 

Tout doit être fait pour tordre le cou à la jurisprudence « Abdoulaye Miskine » : la libération d’un assassin contre la vie d’un innocent.

 

Paris, le 20 janvier 2015 

 

Prosper INDO



26/01/2015
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